5 septembre 2010
Chapitre à la Communauté de Scourmont

Le Renoncement

Au risque de faire double emploi avec l’homélie du jour, je voudrais, dans ce chapitre, commenter un peu l’Évangile de la messe d’aujourd’hui avant de donner de nouveau quelques nouvelles de nos communautés du Kivu et du Rwanda. En effet cet évangile traite d’une des dimensions la plus essentielles de la vie chrétienne et de la vie monastique : le renoncement. Cela nous a d’ailleurs valu, au troisième nocturne de l’Office des Vigiles, un extrait d’une Conférence de Jean Cassien sur ce thème, distinguant trois formes de renoncement.

Une première chose à remarquer est que l’Évangile – celui de Luc en particulier, nous présente l’exigence du renoncement comme une exigence fondamentale de la vie chrétienne et non pas comme quelque chose de propre à un petit groupe de Chrétiens qui voudraient être plus parfaits.

En effet, le texte de l’Évangile de Luc que nous avons à la Messe de ce matin se trouve au coeur d’une longue section (9,51-19,27) dont le thème principal est celui de la montée de Jésus vers Jérusalem, où il sera mis à mort.À ce stade, de grandes foules le suivent dans cette montée.Elles l’acclameront le jour des Rameaux au moment de son entrée à Jérusalem, mais nous savons aussi avec quelle rapidité elles le lâcheront et demanderont sa mort.

C’est à ces foules – et non pas à quelques disciples choisis – que Jésus trace les exigences qui s’imposent à quiconque veut le suivre.Ces exigences peuvent se résumer à deux : la première est celle que saint Benoît résume dans sa Règle par les mots : « Ne rien préférer au Christ. » (RB 4,24)« Si quelqu’un vient à moi, dit Jésus, sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et soeurs et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. »La deuxième exigence est la disposition à accepter toutes les souffrances, y compris la non-compréhension et la persécution qu’une telle option radicale peut provoquer.C’est de cette « croix » que parle Jésus, et non pas de petites mortifications qu’on pourrait s’imposer.«Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi, dit-il, ne peut pas être mon disciple.»

Luc rapporte ensuite deux logia de Jésus qu’il est le seul évangéliste à avoir conservés.Il s’agit de deux enseignements de prudence humaine :avant de se mettre à construire quelque chose, on doit s’asseoir pour examiner si l’on a tout ce qu’il faut pour mener le projet à bonne fin ; et avant de partir en guerre contre quelqu’un, on doit vérifier si l’on a les forces nécessaires afin de ne pas se faire écraser par l’adversaire.

Après ces deux remarques de bon sens, Jésus enchaîne : « De même... – et ce ‘de même‘ est très important – celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens, ne peut pas être mon disciple. »Cela montre que, dans la pensée de Jésus, la seule attitude « prudente » si l’on veut être son disciple, consiste à se détacher de tout ce qui n’est pas Lui.C’est la seule attitude « prudente », car autrement l’on ne peut être heureux, étant divisé entre deux maîtres.Là où est ton trésor là est ton coeur.Et là où est ton coeur là est ton bonheur.Si notre coeur est divisé entre Jésus et quelque chose d’autre, nous ne pouvons être heureux car nous ne vivons que divisions internes et insatisfaction.

Il y a quelques jours, à la messe de jeudi, nous avions comme Évangile le récit de la pêche miraculeuse, qui se terminait par la phrase : "Laissant tout, ils le suivirent".Cette dernière phrase nous donne évidemment la clé pour la compréhension de tout le récit.On ne peut s'attacher à Jésus sans se détacher de tout le reste.On ne peut se mettre à sa suite sans abandonner tout ce qui pourrait nous retenir ailleurs.Luc, en ce début de son Évangile, veut montrer comment les Apôtres, et Pierre en particulier, ont fait cette rupture radicale.

Mais qu'ont-ils abandonné au juste?Matthieu dit : "laissant là leur barque et leur père, ils le suivirent".Marc ajoute les ouvriers "laissant leur barque, leur père et leurs ouvriers". Luc, toujours plus radical dit simplement:"laissant tout".Ce "tout" signifie beaucoup plus que des propriétés matérielles.Il signifie d'abord un métier (pour les apôtres, leur métier de pêcheurs), puis une place dans la société, un rôle à jouer.Tout ce par quoi une personne s'identifie normalement dans la société.

Lorsque nous sommes entrés au monastère nous avons laissé derrière nous tout ce que nous avions.Ce pouvait être beaucoup de choses ou peu de choses.Nous avons aussi quitté notre famille d'origine et renoncé à former notre propre famille.Et puis, au fur et à mesure que nous avançons dans cette vie monastique nous nous apercevons qu'il y a un autre renoncement plus important et plus difficile -- un renoncement toujours à refaire; celui dont parlait Jésus lui-même lorsqu'il disait: "Celui qui ne se renonce pas à lui-même ne peut être mon disciple".Qu'est-ce que se renoncer à soi-même?C'est tout d'abord renoncer à toutes les choses avec lesquelles nous nous identifions, afin de découvrir graduellement notre véritable identité, le "nom" que Dieu nous a donné.

Le renoncement qui coûte le plus, et celui qui nous échappe subtilement le plus souvent, c'est le renoncement à trouver notre identité dans ce que nous faisons, dans le rôle que nous pouvons avoir dans la société ou dans la communauté.Quelle que soit la charge que nous ayons, que ce soit la responsabilité d'un secteur important de la vie communautaire ou celle de troisième assistant à l'époussetage, notre tentation est toujours de trouver notre importance et même notre identité dans ce que nous faisons, dans les services que nous rendons "généreusement" à la communauté.

Dieu prend alors divers moyens de nous détacher de ces fausses identification, pour nous conduire à notre véritable identité.Ou bien ce sont simplement les exigences de la vie communautaire, qui demandent des changements d'emploi, ou bien nous rencontrons un insuccès dans ce dont on nous avait chargé -- et nous devons être remplacés --, ou bien c'est la maladie qui nous rend incapables de faire ce par quoi nous étions appréciés, ou bien c'est l'âge qui nous demande de laisser l'un après l'autre les services que l'on rendait avec beaucoup de dévouement et aussi beaucoup de satisfaction.Il y a là un processus de dépouillement constant et graduel qui dure toute la vie et qui n'est jamais terminé, et qui peut facilement nous faire peur.Car lorsque nous sommes dépouillés de toutes les choses auxquelles nous nous identifions, il ne nous reste plus que notre identité, le "je" qui avait ces choses et ne les a plus, qui faisait ces choses et qui ne les fait plus, qui avait ce titre et qui ne l'a plus.Il ne nous reste plus que le "nom" que Dieu nous a donné, le nom nouveau reçu au bord du lac lorsque nous y avons laissé notre barque.Et alors Jésus, nous dit à chacun, comme à Pierre: "N'aie pas peur".

Chapitre pour la profession temporaire de Père Frédéric Rubwejanga
Scourmont, le 1er novembre 2010

Je ne suis pas venu faire ma volonté (Jean 6,38)

« Le premier degré d’humilité est l’obéissance sans délai.

Elle convient à ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ ».

Dès le début de sa Règle, après le Prologue et après une brève description de la structure interne de la communauté monastique, Benoît traite de trois vertus fondamentales qui sont profondément reliées l’une à l’autre : l’obéissance, le silence et l’humilité.Elles sont tellement reliées que, même s’il parlera longuement au chapitre 7 des douze degrés d’humilité, il commence le chapitre 5, sur l’obéissance, en disant que le premier degré d’humilité est l’obéissance sans délai.

Dès le début du Prologue, Benoît s’adressait à quiconque voulait revenir à Dieu par le labeur de l’obéissance.Dans le chapitre 58, sur la réception des frères il demandera que l’on s’assure que le candidat qui veut entrer dans la communauté soit capable de se donner assidument à l’obéissance et à l’humilité aussi bien qu’à l’opus Dei. Et, lorsqu’il sera admis à s’intégrer à la communauté il promettra sa stabilité, sa conversion et son obéissance. Cela est logique puisqu’un cénobite, selon Benoît, est quelqu’un qui a choisi de vivre dans une communauté, sous une règle commune et un abbé.

Pourquoi cette insistance de Benoît sur l’obéissance ?Serait-ce le souci d’un fondateur d’affirmer sa propre autorité, comme on le voit souvent de nos jours dans les textes des fondateurs de communautés dites « nouvelles ». Non ! La raison, Benoît la donne dès la deuxième phrase de ce chapitre 5, où il dit que l’obéissance "convient à ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ » (his qui nihil a Christo carius aliquid existimant).Il est même difficile de traduire dans une langue moderne toute l’intensité, l’intimité et même la tendresse de cette expression de Benoît.Il ne s’agit pas simplement d’aimer le Christ d’une sorte de froide charité théologale.Il s’agit de n’avoir rien de plus « cher » que Lui.

Mais quel est le lien entre l’obéissance et l’amour du Christ ? C’est que l’obéissance est l’attitude la plus fondamentale du Christ Lui-même à l’égard de son Père. Non seulement il nous a donné l’exemple en se faisant obéissant jusqu’à la mort -- et la mort de la croix -- comme le chante le si bel hymne christologique du chapitre deuxième de la Lettre aux Philippiens, mais l’obéissance est l’essence même de son lien au Père. Obéir c’est n’avoir qu’une volonté avec celui à qui on obéit.Obéir c’est aussi « écouter ». Or le Père engendre son Fils, son Verbe, en le disant ; et le Fils se reçoit du Père en l’écoutant. Ce qui se passe entre le Père qui dit son Verbe et le Verbe qui est dit par le Père c’est l’amour, appelé aussi Esprit. Nous sommes là au coeur de la vie trinitaire, au sujet de laquelle nous ne pouvons, évidemment, que balbutier en utilisant des images.

Lorsque le Verbe s’est incarné, il a dit, selon la belle expression de l’Épître aux Hébreux : « Voici que je viens pour faire ta volonté ». « Ut faciam voluntatem  ». C’était, cher Père Frédéric, votre devise épiscopale – et déjà la devise de votre vie sacerdotale -- et vous voulez en faire la devise de votre vie monastique.

Vous avez bien compris que l’obéissance ne consiste pas d’abord à obéir à des ordres ou à observer des règlements, mais à se soumettre par amour à la volonté de Dieu qui se manifeste à nous de mille et une façons. Elle se manifeste d’abord dans notre existence de créature, y compris dans nos limites personnelles ; elle se manifeste dans les événements du monde, de l’Église, de notre communauté. Elle se manifeste aussi, évidemment dans les exigences de la vie monastique que nous avons choisie, avec sa dimension de solitude, de prière et de travail, et dans celle de la vie communautaire.Cela impliquera que, pour l’harmonie de la communauté on se soumette à des façons de faire qui n’ont rien d’essentiel, et souvent rien d’important en elles-mêmes, mais qui assurent la cohésion d’un groupe. Cela implique aussi, bien sûr, qu’on se soumette aux décisions de ceux qui, au sein de la communauté sont responsables de tel ou tel secteur et à celles de celui qui est appelé à veiller sur la communion de l’ensemble.Tous ces comportements d’obéissance, vous le savez, n’auraient aucune valeur, et même aucune signification, si ce n’étaient des moyens d’incarner dans notre vie de tous les jours notre obéissance au Christ, laquelle requiert, pour être vraie, que nous n’ayons vraiment rien de plus « cher » que Lui.

Eh bien, cher Père Frédéric, puisque vous désirez poursuivre au sein de notre communauté cet effort de faire toujours la volonté du Christ, qui a été le but de votre vie comme évêque, je vous invite à prononcer votre engagement à vivre cette obéissance au sein de notre communauté.

Armand VEILLEUX

Chapitre pour l’Épiphanie, 2011

La rencontre de l’Autre

            L’imagination populaire, au cours des siècles, a développé beaucoup de poésie et de folklore autour de ceux qu’on a appelés les « Rois mages ». En réalité l’Évangile ne les présente pas comme des rois, ni même comme des personnages importants, mais comme des personnes mal vues par le judaïsme officiel, aussi bien en tant qu’étrangers qu’en tant que « mages », c’est-à-dire des astrologues.Matthieu veut souligner le fait que les deux premiers groupes – et d’ailleurs les deux seuls – qui viennent présenter leurs hommages à Jésus n’appartiennent pas aux puissants de la terre mais sont au contraire des personnes considérées comme marginales : les bergers et les mages.

On perçoit, dans ce récit symbolique, la réaction de l’Évangile de Matthieu face à conscience de leur supériorité raciale que démontraient les chrétiens d’origine juive de Syrie où fut écrit cet Évangile.Devant cet orgueil et cet exclusivisme hérités de l’Ancien Testament, l’Évangile invite à reconnaître le « roi des juifs » dans un petit enfant nu, déposé dans une mangeoire, et le fait reconnaître comme tel non par les puissants aussi bien laïcs que religieux d’Israël, mais par des « étrangers » venant de loin et exerçant une profession méprisée, celle d’astrologues.

À notre époque où se généralise à nouveau – particulièrement en Occident, mais aussi un peu partout dans le monde -- une méfiance grandissante à l’égard de l’ « étranger » et de quiconque est « différent », ce récit prend une signification tout à fait actuelle.Il nous montre que lorsque nous nous fermons à l’étranger et surtout lorsque nous voulons réduire le monde aux limites de nos croyances et de nos appartenances, nous reproduisons aussi bien l’attitude d’Hérode que celle des prêtres et des scribes d’Israël.Peut-être manquons-nous alors les nombreuses manifestations de Dieu, les nombreuses Épiphanies qui nous sont offertes par Dieu.

À la foi en l’universalité du salut offert par Dieu, s’opposent tous les fondamentalismes. Et la célébration de l’Épiphanie, cette année, prend sans doute une importance nouvelle, du fait que l’année qui vient de se terminer a été marquée d’une façon tout à fait particulière par l’exacerbation de tous les fondamentalismes --que ce soit le fondamentalisme islamique, qui ne représente aucunement l’Islam, ou le fondamentalisme d’un christianisme politique d’extrême droite, qui prétend pouvoir exterminer le mal, et qui n’a rien de chrétien, ou encore un certain fondamentalisme laïque, que nous connaissons trop bien en Belgique, et qui est d’ailleurs aux antipodes d’une laïcité éclairée.

Le texte évangélique sur les Mages, très riche en symboles, nous enseigne beaucoup de choses.D'abord, nous devons, comme les Mages, apprendre à discerner tout ce que Dieu nous dit de Lui-même à travers la nature et les événements naturels. L'histoire des Rois Mages a nourri l'imagination toute naïve de notre enfance.Il nous faut, à l'âge adulte, développer une seconde naïveté qui nous permette de discerner de temps à autre une étoile qui nous indique la volonté de Dieu sur nous et avoir le courage de la suivre, même sans savoir où elle nous conduit.Se laisser emporter dans une recherche spirituelle, au-delà des supports de la culture humaine et religieuse environnante a d'ailleurs été la caractéristique commune du monachisme de tous les âges.De fait, les mages de notre évangile apparaissent étrangement proches de ces moines itinérants qu'on trouve à l'époque de Jésus à travers l'Asie et qu'on trouvera dans le christianisme syriaque de la première génération.

C’est l’occasion de nous demander où en est notre ouverture à l’autre?Après quelques décennies caractérisées par un développement considérable du dialogue entre les peuples, les cultures et les religions, nous assistons actuellement un peu partout en Occident à un mouvement de recul et de fermeture à l’autre – à l’autre venant d’autres pays et d’autres cultures, ayant d’autres coutumes et d’autres traditions religieuses.Un vent de xénophobie est perceptible un peu partout.Dans ce contexte l’Évangile nous fait une obligation particulière, en tant que Chrétiens, non seulement degarder nos cœurs ouverts à la largeur de celui de Dieu, mais aussi de travailler de façon concrète à maintenir ou à rétablir le dialogue à tous les niveaux.

L’Église – notre Église – qui avait cédé durant assez longtemps à la tentation de se replier sur elle-même tout en se faisant prosélyte, a soudain redécouvert admirablement au moment du Vatican II, ce que Paul – dans la seconde lecture de la messe d’aujourd’hui -- appelle le « mystère ». Dans un des grands documents du Concile « Nostra aetate » l’Église a reconnu l’action de Dieu dans toutes les grandes religions de l’humanité, appelant à un esprit de fraternité et de dialogue. Plus de quarante ans après le Concile il est toujours tout aussi important de garder vivante notre foi en la possibilité et la nécessité d’un dialogue proprement religieux entre les croyants des diverses religions, c’est-à-dire un dialogue où sans jamais mettre sa foi entre parenthèses, on se rencontre au niveau de ce qui est le plus intime à notre vie, notre rencontre de Dieu, au delà de toutes les théologies et de tous les systèmes.

Il y a 25 ans Jean-Paul II avait convoqué à Assise des représentants de toutes les grandes religions pour une Journée de prière en commun et donc de partage de l’expérience religieuse.À l’occasion de ce 25ème anniversaire Benoît XVI vient d’annoncer la convocation d’une réunion semblable, de nouveau à Assise, sur le thème de la Paix.Prions pour que ce soit non seulement une rencontre inter-culturelle mais bien une journée de communion au niveau de l’expérience proprement religieuse.

En tant que Cisterciens nous avons la grâce d’appartenir à un Ordre international ; et notre Abbaye a des maisons filles sur divers Continent.Cela fait que notre communauté de Scourmont est actuellement composée de moines provenant de plusieurs nationalités et donc de plusieurs cultures.C’est une richesse et une grâce dont nous devons remercier Dieu.

En regardant les événements quotidiens aussi bien de l'Église que de la société civile, il est facile de nos jours d'être pessimistes et même de se laisser déprimer.La vocation de tout chrétien et encore plus celle des personnes qui ont été appelées à une forme de vie contemplative, est de savoir contempler les étoiles dans la nuit du monde contemporain, et d'y discerner toutes les manifestations, toutes les Épiphanies de Dieu.

Armand VEILLEUX

21 novembre 2010 – Fête du Christ Roi

Chapitre à la Communauté de Scourmont

Un roi qui meurt pour sauver son peuple

La fête du Christ Roi est toujours une bonne occasion de méditer à nouveau sur le texte du Prologue de la Règle de saint Benoît qui dit : « À toi s’adressent mes paroles, qui que tu sois, qui, ayant renoncé à ta volonté propre, pour suivre le Christ Seigneur, le vrai roi, prends les très fortes et glorieuses armes de l’obéissance. »

Saint Benoît parle du Christ Roi, mais l’image qu’il utilise n’est pas celle d’un maître sévère ayant ses sujets et ses esclaves à ses pieds.C’est celle d’un maître plein de bonté.À vrai dire, Benoît, en bon Romain du 6ème siècle, utilise des images militaires.Le Christ est un roi qui est descendu dans la bataille contre les puissances des ténèbres.C’est le Christ, tel qu’il nous est décrit dans la Lettre aux Philippiens.Il s’est humilié, anéanti ;il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix.Il a renoncé à revendiquer son égalité à Dieu.Il a renoncé à ses droits et privilèges, pour adopter cette forme ultime et parfaite de l’amour qu’est l’obéissance.Et c’est pour cela que le Père l’a gratifié et lui a donné le nom de Seigneur (Kyrios).Il trône sur la croix et il revient dans sa gloire à la fin des temps.

La célébration liturgique du Christ Roi fut instaurée en 1925 par Pie XI, qui l’avait assignée au dernier dimanche d’octobre. C’était l’époque où l’Église, qui boudait encore les républiques récemment établies dans le monde occidental, conservait une certaine nostalgie des monarchies en voie de disparition. (C’était d’ailleurs l’époque où certains, comme l’avait fait Dom Guéranger à la fin du 19ème siècle, affirmaient que l’Église était une monarchie). La réforme du calendrier après Vatican II a transféré cette solennité au dernier dimanche de l’année liturgique, lui donnant ainsi un caractère plus eschatologique (et moins politique).

Au troisième nocturne ce matin, nous avions une belle homélie de saint Jean-Chrysostome où il affirmait que c’est le propre du roi de mourir pour son peuple. Dans l’antiquité la royauté apparaît lorsque des groupes humains, des tribus, des nations demandent à quelqu’un de fort, courageux et entreprenant, de se mettre à leur tête pour organiser leur vie collective et en particulier leur défense contre les attaques de leur ennemis. Le roi est donc normalement le premier sur la ligne de combat dans les batailles et le plus exposé. Il s’agit tout d’abord d’un service qui se transforme facilement en pouvoir sur son propre peuple et parfois en asservissement.

Dans la littérature monastique pachômienne il y a un petit ouvrage appelé le Liber Orsiesii, qui est l’oeuvre de Horsièse, le deuxième successeur de saint Pachôme à la tête de la Koinonia ou Congrégation pachômienne. Or l’un des points centraux de ce document est de mettre en garde les supérieurs et tous ceux qui ont des responsabilités dans la communauté de profiter de leurs fonctions pour se donner des privilèges ou se procurer des satisfactions que les autres membres de la communauté n’ont pas.Rien n’est plus opposé à l’esprit du Christ, comme nous le rappelle l’évangile d’aujourd’hui, dans le récit de la crucifixion selon saint Luc.

Dans cette scène, alors que le peuple reste là, silencieux à regarder le Christ crucifié, tous les autres se déchainent et, finalement disent la même chose.Les chefs du peuple juif ricanent et disent : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même ». Les soldats se moquent de lui et disent : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même » Et même le premier des deux larrons lui dit : « N’es-tu pas le Messie ?Sauve-toi toi-même ».

« Sauve-toi toi-même » répètent-ils tous.Comme si Jésus était venu pour se sauver lui-même et non pour sauver tous ceux qui étaient perdus.On l’invite à montrer sa puissance en descendant de la croix.Mais il est justement monté sur la croix pour manifester sa faiblesse – notre faiblesse, qu’il avait assumée.Ils sont tous trop conscients de leur pouvoir et de leur valeur personnelle pour se rendre compte qu’ils ont besoin d’être sauvés.Il ne peuvent imaginer rien d’autre qu’un roi plein de pouvoir et de puissance, alors que la fonction première du roi que Dieu avait donné au Peuple à l’époque de Samuel était de défendre les pauvres, les petits, la veuve et l’orphelin, de faire justice aux faibles et aux opprimés.

À notre époque où l’Église après avoir été dépouillée de son pouvoir a perdu aussi même sa crédibilité auprès d’une grande partie de la population, elle serait bien mal venue de faire de la fête du Christ Roi une occasion de triomphalisme.Elle doit plutôt voir son modèle dans le roi qui meurt sur la croix, non pas pour se sauver lui-même, mais pour sauver son peuple, comme le pasteur qui risque et donne sa vie pour ses brebis.

Le bon larron – dont je parlerai plus longuement dans l’homélie de la messe, ce matin – demande à Jésus de se souvenir de lui « Souviens-toi de moi quand tu viendras établir ton règne ».C’est le souvenir qui relie au Christ les croyants de tous les temps, c’est-à-dire ceux qui se souviennent de lui et de la recommandation qu’il leur a faite : « Faites ceci en souvenir de moi ».Mais c’est aussi, et avant tout, le souvenir que Lui, Jésus, a de tous les siens, qui les relie à Lui. « Souviens-toi de moi » dit ce larron qui n’avait évidemment pas entendu la recommandation de Jésus à la dernière cène, mais qui savait peut-être ce que Jésus avait dit de la femme qui lui avait arrosé les pieds de parfum, les avait arrosés de ses larmes et essuyés de ses cheveux : « Partout où cet évangile sera annoncé, avait-il dit, on rapportera ces faits en mémoire d’elle ».

C’est ce souvenir que Jésus a de nous qui établit un pont entre l’éternité et notre vie d’ici-bas. Le royaume éternel de Dieu est alors instauré dans le moment présent : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

Notre vie, qui se veut une vie de prière continuelle, c’est-à-dire une vie en présence de Dieu, s’efforce de conserver présent en nos coeurs le souvenir de Jésus. Mais cela n’est possible que parce que Jésus se souvient lui-même de nous. Il est notre roi parce qu’il a donné sa vie pour nous défendre et nous racheter. Efforçons-nous de faire de même les uns pour les autres.

Armand VEILLEUX 

1 janvier 2010 – Voeux de l’An Nouveau

Communauté de Scourmont

Bonne Année !

Du point de vue liturgique, le 1er janvier est la Fête de Marie, Mère de Dieu. C’est ce que nous célébrons tout au long des Offices Liturgiques de la journée et que nous célébrerons particulièrement durant l’Eucharistie.

C’est aussi le début de l’année civile et l’occasion de se souhaiter une « Bonne Année ».Je ne crois pas qu’il faille opposer ces deux calendriers.Les deux sont importants pour nous.Même si nous avons quitté – ou pensons avoir quitté – le « monde » en entrant au monastère, le calendrier civil est celui par lequel sont déterminées nos dates de naissance, de baptême, de profession, d’ordination et tous les événements importants de notre vie personnelle, communautaire et collective.

Ce calendrier civil, basé sur la rotation de la terre sur autour du soleil, est ce qui nous relie à l’ensemble des rythmes de la nature physique, qui constituent une immense symphonie dont les dimensions dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Avant Galilée on pensait que l’univers se limitait à la terre et à quelques autres astres et étoiles visibles à l’œil de l’observateur. Puis on a découvert que tous ces astres connues tournent autour du soleil, puis que notre soleil n’est qu’une étoile parmi des millions d’autres formant une galaxie, puis qu’il y a des millions de galaxies qui constituent l’univers.Et les scientifiques disent maintenant que notre univers dont les limites atteignent des millions d’années lumière n’est qu’un univers entre des millions d’autres univers. C’est à toute cette immense danse cosmique que nous relie notre lien avec le calendrier civil !

C’est la tradition de se souhaiter bonne année en ce premier jour de l’année civile.Est-ce plus qu’une formule ? – Pour quiconque a la foi, il est certain que cette année, comme toutes les autres, sera une année de grâces. Mais il nous est tout à fait impossible de prévoir quelles grâces nous viendront de Dieu en cette année.Nous espérons pour chacun de nous une bonne santé.Mais nous savons aussi que nous aurons tous à un moment ou l’autre de petits ou de gros problèmes de santé. L’important sera pour chacun de nous de bien les vivre.

Du point de vue matériel, l’année qui se termine aura été une année encore difficile.Les pays industrialisés et la grande industrie (ainsi que le monde bancaire) sont graduellement sortis de la crise économique de l’année précédente. Mais les pays en voie de développement et les pauvres dans tous les pays continuent de souffrir de cette crise.Nous ne pouvons pas dire que nous avons été très touchés dans notre vie de tous les jours.À ce point de vue, nous appartenons au monde des privilégiés.C’est donc pour nous une obligation de continuer à faire profiter largement les pauvres qui nous entourent et ceux des pays pauvres des ressources dont nous disposons pour le moment.

Le 1er janvier est aussi est aussi considéré depuis longtemps comme la « Journée Mondiale pour la Paix ». Malheureusement l’année qui se termine a été marquée par beaucoup de bruits de guerre, beaucoup de violences en plusieurs parties du monde et beaucoup d’insécurité. Nos communautés africaines et particulièrement celle de Murhesa l’ont vécu avec intensité ces derniers temps. L’année nouvelle ne commence pas avec de meilleures augures.Que pouvons-nous faire ?Il est clair qu’aucun d’entre nous n’a d’influence sur les rouages de la politique internationale.Mais nous avons tous l’obligation d’introduire de la paix dans le monde, en veillant à maintenir cette paix en chacun de nos coeurs, dans nos relations personnes avec Dieu, dans nos relations les uns avec les autres et dans nos relations avec les personnes de notre milieu et avec notre environnement.

Comme par les années précédentes, je voudrais prendre, pour vous exprimer mes voeux, la très belle bénédiction qu’on trouve à la première lecture de la Messe d’aujourd’hui (et que nous avons eu comme lecture à Laudes), et qui est tirée du Livre des Nombres.Cette lecture n’a évidemment rien à voir avec la Fête de Marie, Mère de Dieu (pour laquelle sont choisies les deux autres lectures).Elle a été choisie précisément comme une expression des voeux en ce premier jour de l’année civile.

En voici le texte :

Que le Seigneur te bénisse et te garde!

Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu'il se penche vers toi!

Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu'il t'apporte la paix!

Le souhait est tout d’abord que Dieu nous bénisse.Cela ne veut pas dire faire simplement un signe de croix ( !) de la main, comme lorsque quelqu’un nous demande de le bénir !Cela veut dire qu’on demande que Dieu prononce sur nous la parole qui nous rende heureux (makarioi) – une parole nécessairement efficace -- et qu’il nous garde, nous conserve dans ce bonheur.La même réalité est exprimée par les deux phrases suivantes utilisant des images différentes.La première est « que le Seigneur fasse briller sur toi son visage », ce qui pourrait se traduire de façon plus juste par : « qu’il te montre un visage souriant ».Et la deuxième est : « Que le Seigneur tourne vers toi son visage – ce qui signifie, qu’il te regarde avec amour et bienveillance – et qu’il t’apporte la paix ».Cette paix dont nous avons tous besoin et dont notre monde a tant besoin.

C’est donc la bénédiction que je veux prononcer sur vous :

Que le Seigneur vous bénisse et vous garde!

Que le Seigneur fasse briller sur vous son visage, qu'il se penche vers vous!

Que le Seigneur tourne vers vous son visage, qu'il vous apporte la paix!

Armand Veilleux

Chapitre pour le 1 janvier 2011

Voeux pour l’An Nouveau

Longtemps avant que l’on ne considère le 1er janvier comme début de l’année civile, l’Église de Rome célébrait la fête de Marie comme Mère de Dieu, en l’Octave du Jour de Noël. On voit en cela toute la sobriété et la justesse théologique du culte de Marie dans l’Église des premiers siècles. Longtemps avant que la piété populaire – pas toujours bien éclairée du point de vue théologique – ne multiplie les titres de Marie, l’Église la célébrait sous le titre qui fait essentiellement toute sa gloire : elle est Mère de Jésus de Nazareth qui est le fils de Dieu.Elle est donc Mère de Dieu. Toute sa gloire lui vient de son Fils, et sa célébration, qui fut durant très longtemps l’unique fête mariale du calendrier liturgique, se situe dans la lumière du mystère de l’Incarnation, le jour octave de la célébration de la naissance de son fils.

Ce mystère de Marie, Mère de Dieu, est l’objet de la célébration liturgique d’aujourd’hui. Mais le 1er janvier est aussi désormais – et depuis longtemps – considéré comme début de l’année civile. C’est l’occasion de se souhaiter toutes sortes de bonnes choses pour l’année qui commence.C’était aussi, dans nos familles chrétiennes traditionnelles, le jour où le père de famille bénissait sa famille. Cette tradition a inspiré le choix de la première lecture de la messe, qui nous rapporte la grande bénédiction prononcée par Aaron sur le peuple d’Israël au début de l’Exode du Peuple en direction de la Terre Promise.

La formule de bénédiction utilisée par Aaron est très belle : « Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il se penche vers toi... qu’il t’apporte la paix ».

C’est avant tout à travers son visage qu’une personne révèle non seulement ce qu’elle a dans le coeur, mais ce qu’elle est.C’est pourquoi tous les grands prophètes et les grands mystiques de l’Ancien Testament ont désiré voir la face de Dieu.De Moïse il est dit que Dieu lui parlait face à face comme à un ami. Le visage d’une personne peut éclater de joie, tout comme il peut est sombre, rempli de douleur ou de colère.C’est pourquoi l’homme qui désire voir la face de Dieu, a aussi peur de ne pas pouvoir supporter ce face à face.

La bénédiction d’Aaron demande donc : « Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage ».Le souhait est que la personne sur qui est prononcée cette bénédiction soit enveloppée, éclairée, transformée par la lumière qui jaillit de la face de Dieu. Or, lorsque Moïse demande à Dieu de lui faire voir sa gloire il ne lui est permis de la voir que de dos, c’est-à-dire en « marchant à sa suite », en se faisant son disciple.

La deuxième lecture, tirée de la lettre de Paul aux Galates, nous dit qu’à la fin des temps, en ce temps qui est le nôtre, la lumière de la face de Dieu s’est manifestée.Elle s’est « envisagée » ; est apparue sur un visage humain, celui de Jésus, né de Marie.La splendeur de la lumière divine est apparue sur le visage de Jésus.Cette face humaine, bafouée, voilée, défigurée,est l’effigie de la substance divine, comme cela fut révélé aux trois disciples privilégiés le jour de la Transfiguration.Nous-mêmes, transformés par l’Esprit Saint qui habite en nous, sommes transformés par cette lumière et savons que nous le verrons un jour face à face.

Le 1er janvier est aussi l’occasion de jeter un coup d’ sur l’année qui vient de s’écouler, afin de faire une sorte de bilan. Tout d’abord pour remercier Dieu des grâces reçues, et aussi pour reconnaître s’il y a lieu nos manques de correspondance à la grâce et percevoir ce que Dieu attend de nous pour l’année qui vient.Cela chacun doit le faire pour lui-même en son propre coeur. Nous devons aussi le faire en tant que communauté, en temps qu’Église et en tant que Société.

Au niveau communautaire nous avons beaucoup de choses dont nous pouvons rendre grâce à Dieu. Tout d’abord nous sommes encore tous là ! Nous avons tous vieilli d’une année, mais nous n’avons connu aucun décès (après ceux de Dom Guerric et Père Charles l’année précédente). La santé de nos anciens est stable, et grâce à la générosité de plusieurs frères, il nous est possible de leur donner ici-même, au sein de notre communauté, les soins dont ils ont besoin.Père Prieur a eu un sérieux accident de santé, mais il s’en est bien remis. Les postulants ne se bousculent pas au portillon, mais quelques candidats ont fait des stages en communauté, et cela pourra déboucher sur une ou l’autre entrée dans l’année qui vient.Et puis nous avons eu une profession temporaire et une profession solennelle. Notre situation matérielle est saine et nous permet d’aider assez largement les nécessiteux de notre région et d’ailleurs ainsi que diverses communautés de notre Ordre moins favorisées. – Donc nous avons beaucoup de choses dont nous pouvons et devons rendre grâce à Dieu.

En ce qui concerne l’Église – aussi bien l’Église universelle que celle de Belgique – ce fut une année difficile et pénible.Il y a eu toutes ces révélations sur des actes répréhensibles et parfois criminels commis par des membres de l’Église, ce qui est évidemment attristant. Et puis il y a aussi de la part de certains milieux un acharnement à vouloir en profiter pour noircir toute l’Église.C’est l’occasion de nous humilier collectivement ; mais cela ne doit pas nous empêcher de témoigner, surtout à travers notre vie, de notre foi et de nos convictions. Il faut évidemment prier tout spécialement pour ceux qui doivent, en ces circonstances, assumer des responsabilités pastorales au sein de l’Église.

Au niveau politique, ce n’est pas brillant non plus.Plus de 200 jours après les élections, la Belgique n’a toujours pas réussi à se donner un gouvernement.Autre situation à porter dans nos prières, car c’est vraiment la seule chose que nous puissions faire à notre niveau.

Le premier janvier est aussi depuis longtemps considéré comme une journée mondiale de prière pour la paix.Comme les années précédentes, celle-ci se termine dans les bruits de guerre : la guerre n’est pas finie en Irak ; elle fait rage de plus belle en Afghanistan. La paix n’est jamais totalement assurée au Congo, et la Côte d’Ivoire est au bord d’une guerre civile.Prions donc tout spécialement en cejour le Prince de la Paix pour tous ces peuples éprouvés.

Et je voudrais terminer en prononçant sur vous tous la belle prière d’Aaron :

« Que le Seigneur fasse briller sur vous son visage, qu’il se penche vers vous...etqu’il vous apporte la paix ».

Armand VEILLEUX

Chapitre pour le Dimanche des Rameaux

Scourmont, 28 mars 2010

Écoute et Parole

Le « chapitre » de ce matin sera bref, car les textes liturgiques d’aujourd’hui nous offrent une nourriture abondante, et aussi parce que le passage à l’heure avancée nous enlève une heure, ce matin.

Je voudrais simplement commenter brièvement la première lecture de la Messe, tirée du prophète Isaïe, et qui pourrait servir de commentaire ou de résumé de tout ce que disent les premiers chapitres de la Règle de saint Benoît.

Dieu mon Seigneur m'a donné le langage d'un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n'en peut plus. La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j'écoute comme celui qui se laisse instruire.
Le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.
J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. Je n'ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats.
Le Seigneur Dieu vient à mon secours ;c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j'ai rendu mon visage dur comme pierre :je sais que je ne serai pas confondu.
Parole du Serviteur de Dieu : Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. (Is. 50,4-7)

Il est question, dans ce texte, de parole, d’écoute et d’attitude de disciple. Ce texte qui, en Isaïe, décrit l’attitude du Serviteur de Jahvé, est appliqué au Christ dans le Nouveau Testament et pourrait tout aussi bien servir pour décrire l’idéal de la vie du moine.

Le prochain chapitre de la Règle de saint Benoît que nous j’aurai à commenter sera le chapitre sur le silence.Or, le silence n’a de sens que s’il est plein ; et il est plein s’il y a eu d’abord une attitude d’écoute de la Parole.Cette attitude est celle du disciple qui est disposé à se laisser instruire.

Si le bavardage est exclu par Benoît dans sa Règle, la parole y tient une place importante.Il faudrait que chacun de nous puisse dire, comme le Serviteur de Jahvé : « Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un homme qi se laisse instruire. ».Par qui ou par quoi doit-on se laisser instruire ?Tout d’abord par la Parole de Dieu.

Dans le petit livre Journal d’un Pèlerin russe, où l’on trouve une description et une mise en pratique de la « Prière de Jésus », le « pèlerin » écrit :  « un matin la prière me réveilla ».Je me demande si l’auteur n’a pas pris son inspiration dans notre texte d’Isaïe, où le Serviteur de Yahvé dit : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire. Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille... ».

Voyons-y une invitation à la prière continuelle, qui n’est rien d’autre qu’une écoute continuelle de la Parole, le Verbe de Dieu qui habite en nos coeurs.L’écoute de cette parole nous plongera dans un silence plus profond et si les paroles que nous aurons nous-mêmes à prononcer proviennent de ce silence, elles produiront certainement des fruits de paix et de communion.

Armand Veilleux