Chapitre pour le Jour de Pâques

Abbaye de Scourmont

Mission pour la vie

Nous avons eu de belles célébrations liturgiques ces derniers jours, et nous avons entendu de nombreuses lectures cette nuit. Les paroles n’ont pas manqué.Il ne convient donc pas de faire un long « chapitre » ce matin.Je crois d’ailleurs avoir déjà souhaité de Joyeuses Pâques à chacun d’entre vous. Je veux quand même le faire de nouveau à vous tous comme Communauté.

Le Christ est vraiment ressuscité !Alléluia !

          Dans mon bureau, sur le mur qui fait face à la porte d’entrée, il y a un tableau où vous pouvez voir deux caractères japonais dans une très belle calligraphie. Ces deux caractères représentent le mot Chi-mai.C’est l’oeuvre du Maître Zen, Hōzumi Genshō de Kyoto, qui donne de temps à autre des sessions de méditation en notre hôtellerie et qui m’a donné ce tableau.Il a rendu ainsi le mot « Chimay » par deux caractères japonais qui se prononcent « Chi-mai » et qui signifient « mission pour la vie ». Je trouve que c’est un très beau nom !

En cette belle fête de la Résurrection, qui est la fête de la Vie, puisque c’est la fête de la victoire sur la mort, je crois qu’il est bon de se rappeler que la mission de notre communauté est de nourrir la vie : la nourrir en chacun de nous personnellement, en nous comme communauté, mais aussi la nourrir en tous ceux qui viennent prier avec nous – et ils ont été nombreux en ces Jours Saints – et en tous ceux qui entrent en contact d’une façon ou de l’autre avec notre abbaye. Il est bon de se rappeler que nous avons cette « mission ».

Rappelez-vous de nouveau les mots du Prologue de la Règle où Benoît cite la phrase de l’Écriture : « Quel est celui qui désire la vie... ? ». Et il offre la vie monastique selon sa Règle à ceux qui répondent « oui » à cette question.

Si nous sommes au monastère, c’est que nous voulons vivre en plénitude, quel que soit notre âge, que nous soyons dans notre premier ou notre deuxième siècle de vie !

Donc, en cette fête de la Résurrection, je vous souhaite à tous la plénitude de la Vie.

Armand VEILLEUX

Chapitre du 4 mai 2014

Communauté de Scourmont

Réflexion sur le sacerdoce

L’ordination sacerdotale que nous avons eue hier est l’occasion de réfléchir un peu sur le sacerdoce et sa place dans la vie d’un moine.

Cependant je voudrais tout d’abord souligner comment la célébration d’hier a été une belle expression de l’insertion de notre communauté dans l’Église et la société. C’était avant tout une célébration communautaire, puisque c’est un membre de la communauté qui était ordonné pour exercer un ministère dans la communauté. Le lien avec notre Église locale était évident, puisque c’est l’évêque du diocèse où se trouve notre monastère qui ordonnait Damien.Et un bon nombre de prêtres du diocèse, reliés au monastère de diverses façons étaient aussi présents. Le lien avec l’Église universelle était souligné par la présence de prêtres et fidèles du diocèse de Soissons, où est né Damien, accompagnant sa nombreuse famille. Le lien avec l’Ordre était souligné par la présence de notre Père Immédiat et de moines et moniales d’autres monastères de notre Ordre. Il faudrait aussi mentionner la présence d’autres communautés monastiques du pays.Enfin les liens tout à fait spéciaux que maintient Scourmont avec la population locale étaient évidents dans la présence des nombreux amis de la communauté, y compris celle de plusieurs membres du personnel laïc de l’abbaye et des sociétés reliées à l’abbaye, sans oublier, bien sûr, les Laïcs cisterciens.C’était donc à la fois une fête communautaire et une célébration d’Église.

Mais je pensais surtout, ce matin, réfléchir sur le sens du sacerdoce. Et pour cela j’ai relu, hier, ce que dit le Catéchisme de l’Église universelle, qui fait une synthèse des enseignements de Vatican II sur le sujet.

On ne peut, évidemment comprendre le sacerdoce chrétien sans le relier au sacerdoce du Christ, auquel il est une participation. Dans la Nouvelle Alliance, il n’y a qu’un seul sacrifice et qu’un seul prêtre. À travers la célébration de l’Eucharistie le sacrifice du Christ n’est pas multiplié, ni même renouvelé ou répété.Il est simplement rendu présent, pour que nous puissions y communier. Le prêtre est un fidèle qui participe d’une façon particulière au sacerdoce du Christ à travers des ministères qui lui sont confiés.

Il est intéressant que le Catéchisme, dans la ligne de Vatican II, après avoir décrit le rôle sacerdotal du Christ, dit que toute l’Église est « sacerdotale » et que c’est tout d’abord l’ensemble des fidèles qui, de par leur baptême et leur confirmation, participent, chacun selon sa vocation, au sacerdoce du Christ. Au sein du Peuple de Dieu certains sont appelés à exercer un sacerdoce ministériel et sont ordonnés à cet effet. Ces deux sacerdoces – le sacerdoce universel des fidèles et le sacerdoce ministériel -- sont ordonnés l’un à l’autre. Comment ? La réponse de Vatican II (reprise dans le Catéchisme de l’Église universelle et plus récemment dans la dernière encyclique du Pape François), est que le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce universel. Le rôle des ministres ordonnés est de permettre à tous d’exercer leur sacerdoce universel, les uns et les autres participant à l’unique sacerdoce du Christ.

C’est une très belle vision, qui permet de comprendre aussi la place du sacerdoce dans la vie monastique.L’attitude des premiers moines, en Égypte en particulier, était de refuser le sacerdoce et de se contenter du ministère des prêtres nommés par les évêques.Assez rapidement se développa l’habitude que nous retrouvons dans la Règle de saint Benoît, de faire ordonner quelques prêtres pour les besoins du monastère. Par la suite, beaucoup plus tard, se développa une tendance à faire ordonner tous les moines puis un retour à la conception d’un monachisme laïc avec le nombre de prêtres nécessaires pour les besoins sacramentels.

L’important est de comprendre que tous les Chrétiens et donc tous les moines (et moniales !) participent au sacerdoce du Christ. Dans l’Église, ceux qui sont ordonnés prêtres ne sont pas plus chrétiens que les autres, mais ils reçoivent un ministère pour aider les autres chrétiens à vivre leur vie chrétienne et donc à exercer leur sacerdoce universel.De même, un moine qui est ordonné prêtre, n’est pas plus moine que les autres, mais il a un ministère sacramentel à remplir au service de la communauté monastique et, éventuellement, au nom de la communauté, auprès des fidèles qui viennent au monastère.

Donc, une ordination, au sein de la communauté, c’est une grâce non seulement pour la personne qui reçoit cette ordination, mais pour toute la communauté.Finalement elle nous rappelle que le sacerdoce le plus important est le sacerdoce universel de tous les Chrétiens qui participent tous au sacerdoce du Christ, puisque le sacerdoce ministériel est ordonné à ce sacerdoce universel.

C’est aussi l’occasion pour nous de prier pour les vocations dans notre Église diocésaine et dans les autres diocèses de Belgique et de France.Nous avons actuellement le spectacle autour de nous de quelques prêtres très âgés qui consacrent énormément d’énergies au service de quelques douzaines de paroisses sans curés. Demandons au Seigneur d’ouvrir le coeur de plusieurs jeunes à un appel au service de leurs frères dans le sacerdoce ministériel.

Armand VEILLEUX

Dimanche des Rameaux

Chapitre à la Communauté de Scourmont

24 mars 2013

Dieu qui n’en peut plus

Nous allons entendre deux fois cette semaine  le récit de la Passion de Jésus: ce matin selon saint Luc et vendredi, selon saint Jean. Tout au long de cette Sainte Semaine nous allons entendre aussi beaucoup d’autres textes bibliques nous parlons des souffrances du Messie. Nous avons déjà entendu ou lu ces textes de nombreuses fois, année après année. Si nous les lisons de nouveau ce n’est pas simplement pour nous rafraichir la mémoire. Nous les relisons afin que la Parole qu’ils véhiculent nous atteigne dans notre aujourd’hui tant individuel que collectif.

Il me semble que la première phrase du texte d’Isaïe que nous aurons comme première lecture à la Messe, et que nous venons de lire à Laudes pourrait nous servir de grille de lecture pour toutes nos célébrations de la Semaine Sainte. Isaïe nous présente l’image du Serviteur de Yahvé, juste victime de la violence et de l’oppression injuste. Jésus, dans sa Passion, non seulement est la réalisation de cette prophétie, mais il incarne et représente tous les justes de tous les temps, victimes de l’ambition, de la jalousie, de la convoitise. Sa mort est la prophétie de la mort de toutes les victimes innocentes des guerres et des oppressions de toutes sortes. Et Pilate incarne dans sa faiblesse et ses calculs égoïstes tous ceux qui, au long des âges, ne cessent de se laver les mains devant les injustices qu’ils ne peuvent s’empêcher de reconnaître comme telles, mais qu’il serait trop dérangeant de dénoncer.

Nous pouvons mettre dans la bouche de Jésus ces paroles d’Isaïe :

Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus.

Il n’est pas rare de nos jours d’entendre des personnes dire qu’elles n’en peuvent plus. La crise économique qui depuis quatre ans frappe tous les pays et qui frappe plus durement les plus faibles, est loin d’être terminée. Il y a quelques mois c’étaient surtout les populations de la Grèce qui en souffraient. Ces derniers temps ce sont les Chypriotes, après les Espagnols et les Italiens. Même près de nous les gens réduits à demander de l’aide en disant qu’ils n’en peuvent plus augmentent sans cesse en nombre. Et plusieurs autres n’en peuvent plus pour d’autres raisons, soit familiales, soit religieuses.

Le Message de l’Écriture est que Quelqu’un est venu sur notre terre pour réconforter tous ceux qui n’en peuvent plus. Et comment l’a-t-il fait ? – En « se laissant instruire », comme dit Isaïe, en devenant lui-même quelqu’un qui n’en peut plus. Ce que nous révèle le récit de la Passion, ce n’est pas un Dieu tout-puissant qui viendrait nous réconforter dans notre faiblesse. C’est au contraire un Dieu qui n’en peut plus. Un Dieu qui ressent « frayeur et angoisse » lorsqu’il approche de la mort. Un Dieu qui dit « mon âme est triste jusqu’à mourir », un Dieu qui meurt dans un grand cri après avoir dit « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ». Un Dieu aussi humain qu’il est possible de l’être et qui nous révèlera par sa victoire sur la mort que nous sommes faits pour la Vie et qu’il y a, en nous aussi, une semence de résurrection et de vie éternelle.

Ce Dieu qui est en proie à la contestation, qui est trahi par l’un des siens, qui est mis à mort pour des raisons d’ambition politique, c’est l’expression ultime de l’Emmanuel, le Dieu avec nous, que nous avons célébré à Noël. Et c’est sur le fait qu’il s’est montré « avec nous » dans tous les aspects de notre vie que repose notre espérance d’être pour toujours « avec Lui ».

Armand Veilleux

Le nouvel évêque de Rome

Dans un entretien récent j’ai commenté la note par laquelle Benoît XVI annonçait sa démission aux cardinaux réunis en consistoire.Aujourd’hui j’aimerais commenter le mot de salutation du pape François aux fidèles assemblés sur la Place Saint Pierre le soir de son élection.

Le nom de François qu’il a choisi est déjà tout un programme. Un programme qui correspond d’ailleurs à ce qu’on sait de son mode de vie comme archevêque de Buenos Aires.Mais, pour le moment, je m’en tiendrai au texte même de son allocution.

On peut noter d’abord le ton de bonhommie.Ses premiers mots ne sont pas des mots solennels et hiératiques, mais les mots d’une salutation toute normale « Frères et soeurs, bonsoir ». Et il termine son bref discours par une salutation tout aussi familière : « Bonne nuit et bon repos ».

Ce qui est le plus frappant est que, du début à la fin de son discours, il se situe comme évêque de Rome, et qu’il ne fait aucune allusion à son rôle personnel à l’égard de l’Église universelle.Il mentionne simplement, comme en passant que l’Église de Rome, dont il est devenu évêque, « est celle qui préside toutes les Églises dans la charité ». Il s’agit d’une vision théologique d’une très grande importance.

Alors que tout le monde parle depuis des semaines de celui qui sera le nouveau « pape », il précise, dès la première phrase de son allocution que «la tâche du Conclave était de donner un Évêque à Rome. Et, après une remarque humoristique sur le fait qu’on est allé le chercher quasiment à l’autre bout du monde, il ajoute : « C’est là que nous en sommes ! La communauté diocésaine de Rome a son Évêque ». Les mots sont choisis  ne parle pas de la réalité abstraite du diocèse, mais bien de la réalité vivante de « la communauté diocésaine de Rome ». Il mentionne aussi le cardinal Vicaire de Rome qu’il a à ses côtés dans la loggia. Et lorsqu’il fait allusion à son prédécesseur, pour demander de prier pour lui, il ne l’appelle pas « le pape émérite » selon le titre que la curie avait décidé qu’on lui donnerait.Il l’appelle « notre Évêque émérite, Benoît XVI ».

Ces nuances de langage ne sont pas sans importance.À partir du moment où les papes ont commencé à voyager à travers le monde, les commentateurs ont souvent utilisé l’expression d’évêque de l’Église universelle ; ce qui est une erreur théologique.La théologie la plus traditionnelle enseigne que chaque évêque, même s’il est – pour le moment – nommé par Rome, reçoit son autorité directement de Dieu et que chaque évêque a, dans son diocèse la même autorité que l’évêque de Rome sur son propre diocèse.L’évêque de Rome, étant le successeur de Pierre, à qui le Christ a confié la mission de confirmer ses frères dans la foi, préside à la communion de toutes les Églises.Le pape François le dit d’une façon un peu différente, lorsqu’il dit, comme je l’ai rappelé il y a un instant, que c’est l’Église de Rome qui préside toutes les Églises dans la charité. Il y a probablement là la base pour un déblocage majeur du mouvement œcuménique.

Le pape François n’était certainement pas sans ignorer qu’il y avait sur la Place Saint-Pierre de nombreux touristes venant de toutes les parties du monde. Et pourtant, tout au long de son allocution il ne s’adresse qu’à ses diocésains de Rome.Et quelle est la première chose que le pape François fait avec sa communauté diocésaine ? Il ne leur fait pas de grands discours théologiques ou recommandations morales.Il les fait prier – prier pour leur évêque émérite – en utilisant tout simplement la prière qui vient tout droit de l’Évangile, le Pater, mais en italien.

Il explique ensuite qu’eux et lui commencent ensemble un cheminement qu’il veut un cheminement de fraternité, d’amour, de confiance. Il les invite à prier les uns pour les autres et pour le monde entier afin qu’advienne une grande fraternité.

Un autre moment important de cette brève rencontre du pasteur avec sa communauté ecclésiale, est qu’il les invite à le bénir, en intercédant sur lui, dans le silence, la bénédiction de Dieu avant qu’il n’intercède lui-même la bénédiction de Dieu sur le Peuple. Et il s’incline longuement pour recevoir la bénédiction.Il y a là une reconnaissance très explicite du sacerdoce universel des laïcs. C’est le « fidèle » François qui, même s’il est pape, reçoit la bénédiction des autres fidèles.

Au début et à la fin il remercie la foule pour son accueil.Ces mots aussi ne sont pas à prendre à la légère.Il ne se considère pas comme quelqu’un établi sur le diocèse de Rome ou sur l’Église entière, soit par Dieu soit pour le Conclave. Il considère plutôt qu’il a été « donné » par le Conclave à l’Église qui est à Rome et qu’il est accueilli en son sein par la communauté ecclésiale de Rome.

Lorsqu’il parle de « ses frères les cardinaux » qui l’ont élu, il affirme aussi la collégialité épiscopale -- cette collégialité affirmée par Vatican II, mais qu’aucun pape depuis lors n’a su comment mettre en exercice.Les Synodes de l’Église universelle devaient être un exercice de collégialité, mais n’ont été jusqu’ici que des organes de réflexion ou de consultation et non des organes de décision collégiale.

L’avenir nous dira si ce pape voyagera de par le monde comme ses deux prédécesseurs.Je ne serais pas surpris qu’il opte plutôt pour se promener à pied ou en métro dans la ville de Rome comme il le faisait à Buenos Aires. Ira-t-il à des événements comme les Journées Mondiales de la Jeunesse l’été prochain, à Rio ? C’est probable, mais pas certain. S’il décidait de ne pas y aller cela pourrait avoir une signification profonde. Cela permettrait à ces rencontres de trouver un nouveau souffle en se dissociant du culte de la personne du pape, qui a de plus en plus marqué ces rencontres, et en renvoyant les jeunes à leurs propres pasteurs.

Il me semble que nous nous retrouvons en plein dans la ligne ecclésiologique de Vatican II.Prions pour que pontificat apporte un nouveau souffle à la mise en oeuvre du Concile, en son cinquantième anniversaire.

Scourmont, le 17 mars

Armand Veilleux

mars 2013)

Dimanche le 7 juillet 2013

Chapitre à la Communauté de Scourmont

Encyclique sur la Foi

Le pape François a publié sa première encyclique vendredi dernier. La première encyclique d’un nouveau pape est toujours quelque chose qu’on attend avec une certaine curiosité, sinon avec impatience, pensant y discerner les grandes lignes de son pontificat. On dit que François en prépare une sur la pauvreté qui pourrait paraître avant la fin de l’année, qui sera en quelque sorte sa véritable première encyclique, et qui présentera les grandes lignes déjà bien connues de l’orientation pastorale qu’il veut donner à l’Église.

La présente encyclique a ceci de particulier qu’elle a été écrite « à quatre mains » selon l’expression utilisée par le pape lui-même. C’est là une expression d’origine musicale pour désigner une œuvre écrite en collaboration par deux auteurs. Benoît XVI a publié trois encycliques : la première sur la charité en 2005 et une deuxième sur l’espérance, en 2007. On s’attendait à une troisième sur la foi, mais celle de 2009, sous le titre Caritas in Veritate avait pour objet « le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité », à l’occasion du quarantième anniversaire de l’encyclique Populorum progressio, de Paul VI sur le grand thème du développement des peuples. Mais Benoît XVI travaillait toujours sur le troisième élément de sa trilogie : charité, espérance et foi, lors de sa démission. Il a remis à son successeur le texte de ce qui aurait été la troisième encyclique de cette trilogie. François, comme il l’explique au nº 7 de l’encyclique, l’a assumé et le publie en son nom en y ajoutant quelques éléments personnels.

Il s’agit donc essentiellement d’une réflexion théologique de Benoît XVI, dans le style qu’on lui connaît ; mais on retrouve ici ou là des expressions qu’utilise souvent François comme, par exemple : « Ne nous laissons pas voler notre espérance » dans ce passage qui est certainement de la main de François :

Ne nous faisons pas voler l’espérance, ne permettons pas qu’elle soit rendue

vaine par des solutions et des propositions immédiates qui nous arrêtent sur le chemin, qui « fragmentent » le temps, le transformant en moments; c’est le temps qui gouverne les moments, qui les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne, d’un processus. L’espace fossilise le cours des choses, le temps projette au contraire vers l’avenir et incite à marcher avec espérance. (º 57).

On trouve dans cette encyclique quelques autres phrases choc qui, sans le dire explicitement apportent l’éclairage de la foi chrétienne sur des problèmes que vit notre monde actuel, comme par exemple le mariage entre personnes du même sexe, l’avortement, l’euthanasie, etc. Par-dessus tout, la foi est présentée comme le fondement d’une vraie joie toujours vécue en communion, à l’opposé de l’individualisme et de la recherche d’un bonheur superficiel qui isole et conduit facilement au désespoir

Ce genre de réflexion est assez proche de celles que présente François dans ses homélies quotidiennes spontanées qui ne sont pas des traités théologiques mais des réflexions pastorales enracinées dans un contexte humain bien concret.On peut mettre son style personnel en relation avec ce qu’il disait aux nonces apostoliques, qu’il recevait récemment et à qui il rappelait leur responsabilité dans le choix des évêques leur disant qu’il fallait chercher de véritables pasteurs plutôt que de grands théologiens, ajoutant que le place de ceux-ci est dans les universités, où on en a grand besoin.

On perçoit la grande humilité du pape François dans ce geste inédit d’un document qui sert de transition entre deux pontificats, permettant à son prédécesseur d’achever la grande trilogie qu’il avait prévue et que la diminution de ses forces ne lui avait pas permis de terminer durant son pontificat.

Voici un coup d’œil rapide sur le texte. Il y a tout d’abord une introduction sur la lumière de la foi, où le Christ est présenté comme la vraie lumière. Ensuite le texte est divisé en quatre chapitres. Le premier chapitre intitulé « Nous avons cru en l’amour », est une vision globale de la foi, à partir d’Abraham, notre père dans la foi et de la foi d’Israël jusqu’à la plénitude de la foi chrétienne et de son expression dans la vie de l’Église.

Le deuxième chapitre intitulé « Si vous ne croyez pas vous ne comprendrez pas » traite des relations entre la foi et la raison, un thème que Joseph Ratzinger n’a cessé de traiter depuis ses premiers écrits comme jeune théologien jusqu’à ses derniers documents comme pape. Le troisième chapitre traite de la transmission de la foi et le quatrième, sans doute plus propre au pape François que les précédents, intitulé « Dieu prépare pour eux une cité » (He 11,16) traite de la foi et du bien commun, de la foi et la famille ainsi que de l’importance de la foi pour la vie en société et se termine par une belle réflexion sur la souffrance.

Le tout se termine par une réflexion sur la Vierge Marie : Bienheureuse celle qui a cru » et une prière à Marie.

Profitons de la lecture de cette Encyclique pour approfondir notre propre foi.

Armand VEILLEUX

THE NEW BISHOP OF ROME

In a recent talk, I commented on the tenor in which Benedict XVI announced his retirement to the cardinals gathered in the Consistory.Today I wish to comment on the greeting given by Pope Francis to the faithful who were assembled in St. Peter’s Square the night of his election.

The name, Francis, chosen by him already indicates quite a program.It is a program which corresponds, moreover, to what we know of his way of life as Archbishop of Buenos Aires.But, for the moment, I will keep to the words in the text of his speech.

First we note his good natured way of speaking.His first words are not said in a solemn or “hierarchical” mode, but they are the normal way we greet others:“Brothers and Sisters, good evening.”He ends his brief discourse on a familial note: “‘Good night and have a good rest.”

What is most striking is that from beginning to the end of his discourse, he situates himself as the Bishop of Rome, and he makes no allusion to his personal role with regards to the Universal Church.He simply mentions, in passing, that the Church of Rome, of which he has become the bishop, “is the one which presides over all the churches in charity.”This bespeaks a theological vision of great importance.

Although the whole world has been speaking for weeks about the person who would be the new “pope”, he makes it clear, from the first phrase in his speech that “the task of the Conclave was to provide Rome with a bishop.And afterwards, in a humorous remark on the fact that they went almost to the ends of the earth to find him, he adds: “This is where we have come.The diocesan community of Rome has its Bishop.”His words are chosen.He does not speak about the diocese in abstract terms, but rather as the living reality of the “diocesan community of Rome”.He also mentions the Cardinal Vicar of Rome, who is at his side on the balcony.And when he refers to his predecessor, to request prayer for him, he does not call him the “Pope Emeritus” according to the title which the curia had decided would be given him.He calls him: “our Bishop Emeritus, Benedict XVI.”

These linguistic nuances are not without their importance. From the time when popes began to go on their world travels, the commentators often used the expression:“Bishop of the Universal Church”.This was a theological error. The most traditional theology teaches that each bishop, even if he should be –in this instance—named for Rome, receives his authority from God, and each bishop has, in his diocese, the same authority that the Bishop of Rome has for his own diocese.The Bishop of Rome, being the successor of Peter, to whom Christ has confided the mission to confirm his brothers in the faith, presides at the communion of all the Churches.Pope Francis says it in a way that is a bit different when he mentions, as I noted a moment ago, that it is the Church of Rome which presides over all the churches in charity.We find in that statement a probable basis for a major opening in the ecumenical movement.

Pope Francis was certainly aware that there were, at St. Peter’s Square, numerous tourists from all corners of the world.And yet, the entire length of his speech, he addresses himself only to those of the diocese of Rome.And what is the first thing that Pope Francis does with his diocesan community?He does not preach long theological discourses or give them moral directives.He has them praying—praying for their Bishop Emeritus—using simply the prayer that comes straight from the Gospels, the Pater.

He then explains that he and they are beginning a journey together, which he wishes to be a journey of fraternity, love and trust.He invites them to pray for one another, and for the entire world that it may become a great fraternity.

Another important moment in this brief meeting between the pastor and his ecclesial community, is that he invites them to bless him by asking for him, in silence, the blessing of God- before he intercedes, himself, for God’s blessing on his People.And he bows down a long time to receive the blessing.We find there, a very explicit recognition of the universal priesthood of the laity.It is the “faithful” Francis, who, even if he is Pope, receives the blessing from the other faithful.

At the beginning and again at the end, he thanks the crowd for their hospitality.These words, also, are not to be taken lightly.He does not consider himself as someone who has been established over the diocese of Rome or over the entire Church, either by God or by the Conclave.He considers himself rather as someone who has been “given” by the Conclave to the Church at Rome and that he is welcomed to the heart of this Church by the ecclesial community of Rome.

When he speaks of his “brothers the Cardinals” who have elected him, he also affirms episcopal collegiality.This collegiality was affirmed by Vatican II, but no pope since the Council has known how to put into practice. The universal Church Synods were to have been an exercise of this collegiality, but up to the present, have only been instances of reflection and consultation, rather than instances of collegial decision-making.

Only the future will tell us whether this Pope will travel the world over as his two predecessors have done.I would not be surprised if he would opt, instead, to travel by foot or by metro in the city of Rome as he has done in Buenos Aires.Will he hold the World Youth Days next summer in Rio?It’s probable but not certain.If he decided not to go, it could have profound signification.It would permit him to find a new spirit in his encounters, by disassociating himself from the cult of the person of the Pope, which has more and more marked these encounters, and it would send the young back to their own proper shepherds.

It seems to me that we find ourselves fully in line with the ecclesiology of Vatican II.Let us pray that this pontificate brings a new impetus to the work of the Council in this, its 50th anniversary.

Scourmont, the 17th of March

Armand Veilleux

mars 2013)

28 octobre 2012 – Abbaye de Scourmont

Chapitre à la Communauté

L’histoire n’est pas finie !

Au cours des dernières semaines, j’ai pris un peu de temps pour lire attentivement en privé le livre de Giovanni Miccoli sur le pontificat de Jean-Paul II (et aussi les deux premières années de Benoît XVI), que nous lisons au réfectoire. Je le faisais en autre choses pour nourrir ma réflexion en vue de la préparation d’une conférence sur l’espérance qui prendra sans doute comme point de départ le texte de la Première Lettre de Pierre qui nous exhorte à « rendre compte de notre espérance ».

À la suite de cette lecture et de plusieurs autres, il m’apparaît de plus en plus clairement que le regard optimiste ou pessimiste que l’on porte sur le monde d’aujourd’hui avec tous ses problèmes, ainsi que la façon d’interpréter d’une façon dynamique ou statique (sinon rétrograde) le Concile Vatican II, dépend de notre attitude face à l’histoire.

Un philosophe américain, Francis Fukuyama, publia en 1992 un livre sur La Fin de l’Histoire qui eut une grande popularité aux États-Unis, en particulier auprès de la droite républicaine et eut une influence certaine sur les entreprises guerrières des deux présidents Bush. Pour Fukuyama, avec la chute du mur de Berlin et l’écroulement de l’empire soviétique, on était arrivé à la fin de l’histoire. La démocratie libérale de type occidental allait imposer définitivement sa suprématie sur tout l’univers. On connaît la suite.

Tous les intégrismes, qu’ils soient de droite ou de gauche, religieux ou laïques, ont ceci en commun qu’ils nient l’histoire. Et pourtant, sans histoire il n’y a pas d’espérance. Alors que Dieu a pris la peine d’entrer dans notre histoire par l’Incarnation de son Fils, et de donner ainsi un sens et une finalité à l’existence humaine, tous les replis identitaires impliquent un refus de l’histoire pour se réfugier dans la trompeuse sécurité de vérités intemporelles.

Les tensions qu’on peut percevoir de nos jours dans l’Église, spécialement, comme je viens de le dire, dans l’interprétation de Vatican II relèvent d’attitudes opposées face à l’histoire. On pourrait éclairer cela par l’histoire de deux évêques très différents l’un de l’autre, dont les destinées furent en quelque sorte parallèle, mais très différentes l’une de l’autre.

Dans les années 1920 une crise secoua le Séminaire français à Rome, dirigé alors par un certain Henri Le Floch, ardeur défenseur de l’Action française. Celle-ci, comme on le sait, incarnait un refus de l’histoire en refusant l’évolution de la société et de l’Église depuis la Révolution française, refusant tout particulièrement la reconnaissance par Rome de la Troisième République. L’attitude passionnée du supérieur Le Floch, qui était très influent dans les milieux romains, mais qui fut par la suite démis de sa fonction, obligea les étudiants à se diviser en deux blocs : les monarchistes et les républicains. Parmi ces étudiants de l’époque se trouvaient Marcel Lefebvre et Léon-Étienne Duval, le premier dans le clan des monarchistes, évidemment, et le deuxième dans celui des républicains.Tous deux devinrent par la suite évêques en Afrique, l’un au Sénégal l’autre en Algérie.

À Dakar, Lefebvre exerça son épiscopat dans une mentalité tout à fait colonialiste, opposé à l’inculturation et jugeant qu’il était beaucoup trop tôt pour africaniser l’Église.Muré dans ses principes abstraits il ne vit pas passer le cours de l’histoire. Duval arriva comme évêque dans une Algérie en pleine ébullition.Il sentit tout de suite où allait le mouvement de l’histoire.Il se fit l’avocat du dialogue, du respect mutuel et de l’indépendance des Algériens.

Jean XXIII décida à ce moment la tenue d’un Concile dans le but que l’Église s’incarne dans l’histoire du monde auquel elle avait été envoyée. Nos deux évêques se retrouvèrent à Vatican II, Lefebvre non plus comme évêque de Dakar mais comme Supérieur Général des Spiritains, et Duval tout récemment transféré de Constantine à Alger. Duval se situa clairement dans la majorité conciliaire, dans la ligne de Jean XXIII, sur toutes les questions cruciales, porte-parole de l’épiscopat d’Afrique. Lefebvre fut l’un des acteurs de la minorité hostile à tout aggiornamento, refusant toute rencontre avec le monde contemporain pour se réfugier dans des vérités intemporelles et un moment passé et figé de l’histoire. Après le Concile, comme on le sait Lefebvre allait générer un schisme, Duval allait encourager et supporter jusqu’au bout l’humble petite communauté de Tibhirine qui incarnait son rêve d’une Algérie où vivraient ensemble, dans l’harmonie, Arabes et Européens, musulmans et chrétiens. C’est à cause de lui que la communauté ne fut pas fermée en 1963, comme notre Ordre l’avait décidé. J’eu l’occasion de le visiter avec Dom Christian de Chergé en janvier 1996. Il mourut quelques jours après nos frères et partagea leurs funérailles.

Deux parcours absolument différents. L’un s’accrochant à des vérités abstraites et à des moments passés de l’histoire comme s’ils étaient des absolus ; et l’autre percevant d’un regard contemplatif le travail de Dieu dans le flux de l’histoire dans laquelle son Fils s’était incarné.

Et maintenant

Cinquante ans après le Concile, nous nous retrouvons dans un dilemme semblable, face à son interprétation.Pour certains, Vatican II est un événement épisodique du passé qui n’a rien changé à une Église sainte et immuable. Pour d’autres ce fut un moment de l’Histoire du Salut dont les ondes de choc continuent de nous atteindre et de nous interpeller et qui se ressentiront jusqu’à la Parousie, opérant dans l’Église, si elle accepte de se convertir, une croissance ininterrompue aux modalités imprévisibles. Non, cette histoire n’est pas finie ! Il appartient à chacun de nous de la continuer.

Armand VEILLEUX