Homélies et conférences du Père abbé - Dom Damien Debaisieux

Saint Benoît 2024

(Mt 19, 27-29)

Frères et sœurs, vous connaissez probablement la fable de la Fontaine, la laitière et le pot au lait. Perrette porte sur sa tête un pot de lait qu’elle va vendre à la ville. Tout en marchant, elle se dit qu’avec cet argent elle pourra s’acheter des œufs qu’elle mettra à couver, et de réussite en réussite, elle achètera un cochon puis une vache et son veau et fera ainsi fortune. Mais emportée par ses rêves de grandeur, elle saute de joie, laisse tomber le pot et le lait se répandre. Et la Fontaine de dire : « adieu veau, vache, cochon, couvée ». Si je fais référence à cette fable en ce jour de la fête de saint Benoît, c’est en raison de l’évangile que nous venons d’entendre et du verset 29 : « celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre… ». Généralement, lorsque nous lisons ce verset, nous le lisons comme une énumération pleine d’entrain où nous faisons voltiger les mots, ce qui évoque toujours à ma pensée ce vers de la Fontaine : « adieu veau, vache, cochon, couvée ». Sauf que pour Perrette, tout cela n’était qu’imagination, « châteaux en Espagne », alors que pour nous, il s’agit bien, il s’agissait bien du concret de notre vie. Nous avons quitté, à cause de son nom, pour lui, une maison et ses souvenirs ; des frères et des sœurs, parfois partis trop tôt ; un père et une mère que nous n’aurons pas accompagnés dans leurs vieux jours ; des enfants que nous avons renoncé à avoir ; ou encore une terre, terre d’Afrique, d’Amérique ou d’ailleurs. Oui, nous passons bien vite sur cette énumération, et pourtant, nous le savons dans notre chair, dans notre histoire, tous ces mots ont du poids.

11e dimanche Ordinaire B

(Mc 4,26-34)

Juin 2024

Frères et sœurs, à l’arrière de l’Abbaye, il y a une parcelle sur laquelle poussaient des épicéas. Des arbres bien vert, toute l’année, mais sous lesquels il n’y avait qu’un tapis d’aiguilles brunâtre. Et puis, il nous a fallu couper ces arbres. Mais en à peine plus d’une année après, en ce printemps, ce sol apparemment stérile a révélé une vie étonnante, surprenante même pour ceux qui connaissaient si bien ce lieu ; une vie colorée par, cette fois, un tapis de fleurs et de couleurs. Après plusieurs décennies où elles n’ont pu émerger, le temps étaient enfin venu pour ces graines de devenir semences, herbes, fleurs.

Pentecôte

(Jn 15, 26-27 ; 16,12-15)

Mai 2024

Frères et sœurs, je ne vous demanderais pas un gros effort d’imagination si je vous propose de penser à un poisson rouge dans un petit aquarium rond. Et si vous suivez le mouvement de ce poisson imaginaire, vous voyez qu’il tourne en rond. Il paraît même que si vous mettez ce poisson dans un plan d’eau plus vaste, il continue de tourner en rond, jusqu’au moment où un courant l’entraîne et lui donne de sortir de ce cercle infernale, de ce cercle confortable.

6e dimanche ordinaire B

(Jn 15, 9-17)

Mai 2024 

« Aimez-vous les uns les autres » (12). Frères et sœurs, ces quelques mots sont parmi les plus connus que le Christ ait prononcés. Et, sur le papier, ils désignent ce que doivent vivre les chrétiens que nous sommes. Je dis sur le papier, car bien sûr, nous savons que ce n’est pas si simple, et ce n’est pas, loin s’en faut, l’exemple que nous montrons toujours.

Vigile Pascale

(Mc 16,1-7)

                                                                                                                         Mars 2024

Christ est ressuscité ! Frères et sœurs, après plus de 40 jours de Carême où nous avons préparé nos cœurs, déblayé nos vies, pour pouvoir accueillir la nouveauté de Dieu ; après nous être réunis dans la nuit et le froid ; après avoir marché ensemble à la lumière d’une flamme fragile ; enfin, après avoir écouté longuement les Ecritures, nous être plongés dans l’histoire de l’Alliance, la Parole du salut ; un cri s’est fait entendre : « Il est ressuscité ! » Alléluia ! Ces quelques mots que nous attendions, nous mettent en joie, et surtout, à l’image de ces femmes envoyées en Galilée, nous mettent et nous remettent en route. Comme le disait Christian de Chergé dans un texte que nous avons entendu ce matin, « tout bascule. C'est le commencement absolu ». Avec la Résurrection, les femmes, et nous avec elles, nous entrons dans une ère nouvelle alors même que « tout semblait s’achever », que tout paraissait perdu, scellé comme une pierre ferme « l’entrée du tombeau » (3). Notre joie vient de ce commencement, de la découverte de la nouveauté, de l’irruption de la Vie dans nos vies jusque dans la mort. Nous voilà donc comme avec une grande page blanche qu’il nous faut écrire à l’encre de nos vies, de nos vies en Jésus Christ ressuscité. Et cela doit nous mettre en joie.

Jeudi saint

(Jn 13,1-15)

Mars 2024

Frères et sœurs, un jour, un moine âgé, qui n’est pas de cette communauté, m’a dit : « Jusqu’à mes 50 ans, j’ai fait ! J’ai fait, parce qu’on nous disait que vivre c’était faire. Et puis, on nous a dit qu’il fallait être avant de faire ! Alors j’ai essayé d’être. Et un jour j’ai compris, sur le tard, qu’il ne fallait ni être, ni faire, ou plus exactement pour être et faire, il suffisait de déposer sa vie. » Déposer sa vie, ne pas vouloir la maîtriser, la programmer, la retenir ; l’abandonner dans les mains d’un autre, faire confiance à la vie elle-même parce qu’elle nous est donnée, voulue par Dieu ; parce qu’elle est la vie de Dieu. Déposer sa vie, comme Jésus « dépose son vêtement » ; comme Jésus se donne tout entier à son Père, à son amour, à son écoute ; comme Jésus, aux pieds de ses disciples, qui se donne à eux sans rien se refuser. Et pour ce moine, déposer sa vie, c’était alors oser la rencontre avec l’autre, sans calcul, ni peur ; aller vers lui avec tout ce que nous sommes, même ce que nous ne connaissons pas encore, et qui se donnera justement dans cette rencontre. Et donner à cet autre, lui tendre, lui offrir ce qui ne nous appartient pas parce que donné gratuitement, gracieusement autant à lui qu’à nous.

Rameaux

(Mc 11, 1-10 ; 14, 1 – 15, 47)

                                                                                                                         Mars 2024

Frères et sœurs, après l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, nous avons vu comment il en a été expulsé, là encore dans un cortège, mais cette fois dans celui d’un condamné à mort. Nous avons entendu le complot et la trahison ; la frayeur et l’angoisse ; l’abandon et le reniement ; les faux témoignages ; les crachats, les gifles et les coups ; les moqueries, les injures et les insultes ; la condamnation et la croix ; l’obscurité et la déréliction ; la mort et le tombeau. Si je me livre à une si longue énumération, c’est pour deux raisons. D’abord, ces souffrances, et bien d’autres encore, relatent la Passion de Jésus, et cette passion nous touche, nous afflige. C’est la passion de l’envoyé de Dieu que, rameaux en mains, nous avons adoré, nous et la foule de Jérusalem. Mais, dans nos rêves de grandeur et de vie plus facile, nous n’avions pas réalisé que cette venue de Dieu jusqu’à nous se faisait sur un « petit âne » (11,7). « Celui qui vient au nom du Seigneur » (9) vient simplement, humblement, parce qu’il vient comme un homme, parce qu’il vient à hauteur d’homme et de nos vies. Et celui qui meurt sur la croix, si « vraiment, [il est] Fils de Dieu » (15,39), comme le dit le centurion de l’évangile, il est aussi vraiment homme : un homme parmi les autres, un homme qui incarne, symbolise, signifie tous les hommes et toutes les femmes. En conséquence, et c’est la deuxième raison, ces souffrances que je viens d’énumérer, ne sont donc pas seulement celles de Jésus il y a 2000 ans, mais celles du Christ crucifié dans notre humanité ; celles de l’amour et de la vie de Dieu rejetés de notre humanité ; celles de tant d’hommes et de femmes, d’hier et d’aujourd’hui, d’ici ou d’ailleurs, de nos villes ou nos villages, à Gaza ou au Congo, trahis, abandonnés, moqués, torturés, mis à mort.

Mercredi des Cendres

(Mt 6,1-6.16-18)

Février 2024

Frères et Sœurs, par trois fois dans cet évangile, nous avons entendu ces mots : « ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (4.6.18). Et si c’était ça le Carême : Dieu qui voit dans le secret ; et Dieu, qui rend, qui veut donner, qui veut se donner ?

4e dimanche ordinaire B

(Mc 1,21-28)

Janvier 2024

« Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? » (24). Ce sont les mots de l’esprit impur dont nous parle saint Marc. Littéralement : « Quoi entre toi et moi ? » ou, autre traduction, « de quoi te mêles-tu ? ». Cette question, nous pourrions nous la poser. Qu’y a-t-il entre Jésus et moi ? Entre Jésus et nous, comme communauté monastique, comme communauté chrétienne ? Quelle est sa réelle place dans nos vies ? Dans quelle mesure est-il partenaire de notre quotidien ? Sa source et son but ? Finalement, qui est-il, ce Jésus ; qui est-il vraiment dans nos vies ?