Noël 2025

Frères et sœurs, il y a deux évangiles qui nous parlent de la naissance de Jésus. Matthieu, d’abord, avec l’épisode des mages venus d’Orient, qui mettent en émoi le roi Hérode et tout Jérusalem, ce roi qui, à la nouvelle de la naissance de l’enfant, réunit grands prêtres et scribes, puis fomente le massacre des innocents, et provoque la fuite en Egypte de la sainte famille. Dans cet évangile, la naissance de Jésus vient donc tout bouleverser. Ce point de départ est comme un coup de tonnerre annonçant un orage qui emporte tout sur son passage et qui ne s’achèvera qu’avec la Résurrection du Christ, qui, là encore, comme sa mort, est décrite comme un grand bouleversement avec notamment un tremblement de terre.

A contrario, il y a l’évangile de Luc que nous venons d’entendre. Cette fois, tout commence la nuit, à l’écart, avec un enfant couché, caché, pourrions-nous dire, dans une mangeoire. Les seuls témoins sont des bergers, là encore des hommes qui vivent en marge des grands bouleversements du monde. Il y aura certes une armée d’anges et un Gloire à Dieu retentissant, mais juste pour eux, juste pour les amener à ce simple signe de l’enfant dans une mangeoire. Dieu naît, Dieu apparaît en douceur, discrètement, tout simplement dans la vie d’une famille – celle de Joseph et Marie – comme il l’a fait, dans l’épisode précédent, dans la vie de Zacharie et Elisabeth, les parents de Jean-Baptiste. Une incarnation qui ne se fait pas dans les grands évènements du monde, mais au cœur de la vie ordinaire, au cœur de chacun et qui, de là, pourtant, inexorablement, pourra gagner le monde entier : Jérusalem, d’abord, à la fin de l’évangile, puis Rome avec le second récit de Luc, celui des Actes des Apôtres. Ainsi, avec saint Luc, nous passons de l’ombre à la lumière, dans un mouvement continu, presque ordinaire, mais inarrêtable ; et notre présence en cette nuit en est comme une confirmation, en tous les cas un autre signe.

Par cette naissance en douceur, Dieu veut rétablir sa présence, sa demeure parmi nous, en Jésus qui est à la fois totalement homme - comme le montre ce bébé qui va grandir dans une famille de charpentier et qui mourra sur une croix - et à la fois Dieu, Fils du Père, deuxième personne de la Trinité qui est communion d’amour dans l’Esprit. C’est donc Jésus qui réalise à la perfection la présence du divin dans l’humain, la présence de la vie divine en nous et dans notre monde, l’engagement de Dieu en nous et avec nous. Comme le dit saint Paul : « en lui, dans son propre corps, habite toute la plénitude de la divinité » (Col 2,9). Et cet enfant, devenu grand, va nous dévoiler le mystère de Dieu : un Dieu amour, communion, qui ne cesse d’engendrer, qui ne cesse de donner naissance par le don total de soi. Et Dieu veut que nous entrions dans ce mouvement d’amour, ce mouvement qui donne naissance, qui donne la vie aux autres et qui, dans le même temps, invite non pas à prendre la vie, mais à l’accueillir, à la recevoir de Lui et des autres, comme un enfant.

Cette naissance dans la crèche est un appel à naître et à croître en vie divine. Mais nous devons savoir - à l’instar de cet enfant déjà présent, de ce « Sauveur » déjà donné « qui est le Christ, le Seigneur », comme le disent les anges aux bergers - que le don de la vie divine nous est déjà fait dans sa totalité : tout est déjà donné ! Mais c’est à nous, à notre liberté, de nous déterminer, de choisir ce que nous voulons, où nous voulons aller, vers qui aller, avec qui ? Notre chemin de vie, notre chemin de croissance, n’est donc pas un chemin qui va de l’indigence à la plénitude, mais un chemin de reconnaissance, à l’instar de ces bergers invités à reconnaître le « Sauveur » dans un « signe » qui n’est autre qu’ « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Il s’agit de découvrir la naissance de Dieu dans le monde, d’accueillir une présence qui se donne gratuitement, ou, à l’inverse, de la refuser, de s’y fermer, de ne pas vouloir la voir. Il s’agit d’enlever de notre chemin tout obstacle qui empêcherait cette vie déjà présente de se donner, comme une graine qui ne peut pousser sous un rocher. Bref, la vie de Dieu naît et grandit en nous quand nous nous mettons à la suite du Christ, c’est-à-dire à la suite de cette humanité pleinement habitée par Dieu, cette humanité dont la volonté est totalement tournée vers Dieu. Comme le dit l’Eglise, « Tout ce que le Christ a vécu, il fait que nous puissions le vivre en lui et qu’il le vive en nous » (CEC 521) ; invitation, à notre tour, à nous remettre entre ses mains, à nous laisser coucher dans une mangeoire.

Frères et sœurs, Noël n’est pas seulement vécu dans la crèche, mais bien aujourd’hui, dans cette assemblée que nous formons ensemble, dans chacune de nos vies. Fêter Noël, c’est accueillir cette vie de Dieu qui est déjà en nous, qui est déjà dans mon frère, dans ma sœur ; c’est croire en la plénitude de la vie en moi, en toi, en nous. Alors, dans un monde trop souvent sombre, que cette eucharistie nous donne de passer de l’ombre à la lumière.