Homélie pour le 25e dimanche temps ordinaire

année A

Scourmont, 24 septembre 2023 (cf. Tre Fontane 2008)

Is 55, 6-9 ; Ps 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18

Ph 1, 20c-24.27a ; Mt 20, 1-16

 

Le sort de ceux qui sont appelés par Jésus

1. Injustice ?

Ils s’étaient levés de bon matin, et le maître était venu les chercher pour qu’ils travaillent toute la journée. Mais, le soir, ils n’ont pas reçu plus d’argent que ceux qui venaient d’être embauchés en fin d’après-midi. Tous ont reçu le même montant, et les premiers arrivés ont considéré cela comme une injustice. Dans un groupe, il est conseillé de tenir compte de la situation et de l’attitude de chacun pour ne pas provoquer murmure, envie, divisions. Pourquoi alors cette parabole semble-t-elle présenter l’attitude du maître, qui donne à chacun le même montant, comme un exemple à suivre ?

2. Pourquoi c’est possible pour Dieu ?

Ici, nous devons nous rappeler que nous avons affaire à une parabole, et non à un récit historique ; Jésus ne dit pas que l’attitude de Dieu serait semblable à celle de ce patron, mais que ce patron agit comme Dieu agira : de même que ce patron donne à tous ses ouvriers le même salaire à la fin de la journée, sans tenir compte de la durée de leur présence, ainsi fera Dieu à la fin des temps : il donnera à tous la récompense promise. Car ce que Dieu offre à un homme, ce n’est jamais une paye ou un salaire en fonction du travail accompli ; c’est un don qu’il fait. Si quelqu’un a travaillé dans le groupe des premiers, ce qu’il reçoit peut être considéré comme un salaire ; mais s’il a peu travaillé, Dieu peut donner le même montant : il est libre dans ses dons.

Dans les versets qui précèdent cette parabole, Pierre demande à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre : quelle sera donc notre part ? » Et Jésus répond : « Celui qui aura [tout] quitté, à cause de mon nom, […] recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. » Matthieu a choisi l’expression « aura en héritage » pour montrer que celui qui reçoit n’a aucun droit. Dans cette réponse de Jésus, nous avons le sens du denier de la parabole : qu’est-ce que Dieu peut donner ? – Une seule chose : la vie éternelle, et celle-ci ne peut pas être fractionnée : ou elle est entière ou elle n’existe pas. À ses ouvriers, Dieu ne peut faire qu’un seul don : la vie éternelle pour chacun. Une telle attitude de la part d’un patron créerait sans doute des problèmes dans un groupe d’ouvriers ; mais qu’en est-il dans le domaine spirituel ?

3. L’ordre de la terre ne sera pas reconduit dans le royaume de Dieu

Cette parabole se présente comme l’explication du verset qui la précède immédiatement : « Beaucoup de premiers seront derniers, beaucoup de derniers seront premiers. En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine… » Et c’est plus ou moins la même phrase qui est reprise à la fin de la parabole : « C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement une vérité qui se trouve souvent dans l’Évangile : dans le royaume de Dieu, tout sera changé ; l’ordre en vigueur sur la terre sera complètement bouleversé : les riches seront pauvres, les pauvres riches ; ceux qui ont tout laissé recevront le centuple ; ceux qui pleurent riront ; ceux qui rient pleureront ; les premiers seront derniers et les derniers premiers. C’est aussi l’enseignement de cette parabole rapportée seulement par Matthieu.

4. À qui est adressée cette parabole ?

Une autre question se pose avec ce texte : pour qui Jésus a-t-il dit ceci ? En d’autres termes, qui seraient ces premiers auxquels Jésus dit que, dans le royaume de Dieu, ils pourraient bien se retrouver les derniers ? Et qui seraient ces derniers, qui pourraient se retrouver premiers ?

Dans le passage qui précède immédiatement, il y a l’histoire du jeune homme riche qui n’a pas voulu abandonner ses richesses pour répondre à l’appel de Jésus. Puis, la demande des disciples : « S’il est si difficile pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu, qui pourra être sauvé ? » « Tout est possible à Dieu, répond Jésus. » Mais Pierre : « Nous, nous avons tout laissé pour te suivre, qu’obtiendrons-nous ? » Jésus déclare : « Lorsque le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous siégerez vous aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Et celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs [et tout le reste] recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. » C’est ce qu’enseigne l’évangile de ce dimanche.

5. La problématique

Nous pourrions résumer ainsi la question abordée : les douze disciples que Jésus a appelés pour les envoyer dans sa vigne auront-ils, eux aussi, une récompense adaptée ? Ils se sentent comme des enfants sans défense (19, 13-15), et, en tant qu’enfants, les derniers de tous. Ceux qui apparaissent comme les premiers, ce sont les pharisiens, les scribes, les sadducéens, qui posent des questions très compliquées à Jésus, et il est probable que les apôtres ne comprennent pas toutes les réponses. Alors, ils sont un peu découragés et ils demandent : « Nous qui avons tout laissé, nous recevrons quelque chose ? » « Oui, dit Jésus, vous vous sentez les derniers, mais dans le royaume de Dieu, les derniers seront les premiers – vous serez sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël – et les premiers seront derniers. »

6. Et nous ?

Et nous ? Que penser de cet évangile ? D’abord, que la bonté de Dieu est infinie : il donne à chacun le maximum de ce qu’il peut recevoir : notre cœur n’est pas assez grand pour accueillir tout le don de Dieu, qui est Dieu lui-même ; il reçoit ce qu’il peut. Et puis, nous ne devons pas nous évaluer les uns par rapport aux autres ; aux yeux de Dieu, nous sommes tous égaux, c’est-à-dire tous objets de son amour infini ; je ne suis pas inférieur ou supérieur à mon frère, puisque tous les deux, nous sommes aimés par celui qui nous sauve ; nous ne sommes rien sans lui. Et enfin, chacun doit répondre à l’appel de Dieu, à n’importe quel moment de sa vie : il n’est jamais trop tard pour s’engager à la suite de Jésus ; Dieu a besoin de chacun pour sa vigne ; écoutons sa voix, et nous recevrons de lui, à la fin de notre existence, le denier de la vie éternelle.