B CARÊME 05 JEAN 12 20-33 (15)
Chimay : 17.03.2024
Frères et sœurs, tout au long de ce Carême, nous entendons la Parole de Dieu qui ne cesse de nous appeler à revenir vers lui. Avec la première lecture, nous découvrons qu’il a fait alliance avec son peuple. Par la voix du prophète Jérémie (31,31-34), le Seigneur a promis une alliance inouïe : il va lui-même déposer sa parole au cœur de chacun. Cette promesse s’accomplira en Jésus-Christ, Parole du Père, venu parmi les hommes établir une alliance définitive avec eux. Mais le peuple n’a pas respecté le contrat. Il a préféré faire confiance à d’autres divinités ou même à sa propre force. En se détournant de son Dieu, il a rejeté sa protection ; il a couru à sa perte.
Ce risque est toujours d’actualité. Il nous renvoie à notre vie et à celle de notre monde. La tentation est grande de se tourner vers d’autres dieux qui s’appellent l’argent, la recherche du pouvoir, de la célébrité, le désir de posséder toujours plus. Mais le prophète continue à nous renvoyer à l’essentiel : « Le Seigneur mettra sa loi au fond de nous-mêmes » (Jr 31,33). C’est en nous tournant vers le Seigneur que nous trouverons le vrai bonheur. Y croyons-nous ? Notre défaite est causée par notre manque de foi. Nous méritons ce reproche que le Seigneur faisait à ses disciples après qu’il eut calmé la tempête sur le lac : « Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? » (Mc 4,40).
Or voilà que dans l’évangile de ce dimanche, nous voyons la promesse de Dieu en train de se réaliser. Quelques Grecs venus à Jérusalem vont trouver Philippe pour lui dire : « Nous voudrions voir Jésus » (Jn 12,21). Ce dernier va le dire à André et tous deux vont le dire à Jésus. Ces Grecs, ce sont des étrangers. Ils nous font penser aux mages venus d’Orient pour se prosterner devant le Seigneur (Mt 2,1-12). C’est une manière de dire que la bonne nouvelle annoncée par le prophète n’est pas réservée aux seuls membres de son peuple. Elle est offerte à tous les hommes, de tous les pays et de toutes les générations. Comme Philippe et André, nous venons à Jésus pour lui présenter tous ces hommes et femmes en quête de vérité. C’est cela qui doit orienter notre prière pour les autres, pour les pauvres, pour les incroyants, pour ceux qui ne connaissent pas Dieu, pour ceux qui gouvernent le monde, etc.
En réponse, Jésus leur propose de le voir dans sa gloire. Et sa gloire, c’est sur la croix qu’il la manifeste. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meut, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24). Il s’agit toujours de mourir à l’égoïsme pour naître à l’amour, mourir à la peur pour naître à l’aventure, mourir aux certitudes pour naître à la foi. C’est seulement si nous sommes capables de mourir à nos habitudes, à nos mots tout faits, à nos vieilles routines que l’Église pourra s’ouvrir à d’autres cultures, d’autres attentes, d’autres avenirs. En effet, la graine qui meurt cesse d’être graine, elle devient semence. Ainsi la mort de Jésus va-t-elle apporter la vie au monde. Élevé sur la croix, il établira l’Alliance nouvelle et éternelle qui attirera tous les hommes à Dieu.
Nous allons entrer dans la grande Semaine Sainte. C’est l’heure que Jésus attend depuis le début de sa mission. Ces Grecs vont voir la mort de Celui qui est l’auteur de la vie, un homme élevé au-dessus de tous et cloué sur une croix. Ce Jésus élevé de terre connaîtra la gloire puisqu’il attirera tous les hommes à lui.
« Nous voudrions voir Jésus » (Jn 12,21). Oui, c’est vrai. Mais c’est surtout lui qui voudrait nous voir et nous attirer à lui. Or trop souvent, c’est nous qui lui tournons le dos. C’est ce qui se passe chaque fois que nous organisons notre vie en dehors de lui. Chaque fois que nous mentons aux autres et à nous-mêmes ; chaque fois que nous sommes injustes ; chaque fois que nous préférons le mal au bien. Nous n’accueillons pas l’amour qui est en lui. Nous voyons bien ce que cela donne. Nous assistons à des conflits qui n’en finissent pas de durcir les cœurs. Nous avons besoin de quelqu’un qui nous aide à sortir de la logique de la rancune et de la haine. Seul Jésus peut nous apprendre à aimer comme lui et à pardonner. Lui seul peut nous délivrer du mal.
« Nous voudrions voir Jésus » (Jn 12,21). Le pape François nous dit que nous devons le reconnaître là où nous ne pensions pas le trouver et sous les traits que nous n’avions pas imaginés. Il est dans ce malade que nous ne pouvons pas visiter sur son lit d’hôpital à cause de la peur des hôpitaux ; il est dans ceux qui, à cause de la crise, n’ont plus de travail, plus de logement, plus d’espérance. Tout ce que nous faisons « pour le plus petit d’entre les siens, c’est à lui que nous le faisons » (Mt 25,40). Mais nous nous disons qu’il y en a tellement que nous préférons ne pas bouger.
Cependant Jésus ne se contente pas de nous dire qui sont les petits, il nous dit aussi qu’il nous les donne comme frères parce qu’ils sont ses frères. En 334, Saint Martin partage son manteau avec un pauvre aux portes d’Amiens. L’histoire aurait pu s’arrêter là et faire mémoire de la belle charité de Martin. Mais… la nuit suivante, tandis que Martin s’abandonne au sommeil, le Christ lui apparaît. Il est vêtu du morceau du manteau dont Martin avait couvert les épaules du pauvre. Oui, c’était bien le manteau de Martin. Il le reconnaît sans peine, sans avoir besoin de le regarder de près, d’en tâter le tissu, comme les anges accompagnant le Seigneur l’invitaient à le faire. Et le Christ dit aux anges, d’une voix haute et claire : « Martin, encore catéchumène, m’a revêtu de ce manteau ». Et Martin se souvient des paroles que le Christ avait dites autrefois, quand il était sur la terre : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25,40).
Alors c’est vrai, cela vaut la peine d’aller à la rencontre de Jésus. Avec lui, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, aux prisonniers et aux exclus de toutes sortes. Il est celui qui fait miséricorde aux pécheurs. Son salut est offert à tous. Lui-même nous dit « qu’il n’est pas venu pour juger le monde mais pour le sauver » (Jn 3,17). Son Évangile est un message d’espérance et d’amour qu’il faut proclamer à temps et à contretemps par nos paroles, mais encore plus par nos gestes, par notre attitude.
Ce Jésus que nous voudrions voir est aussi aux côtés de ceux et celles qui s’engagent dans la lutte contre la misère. Chaque année, des hommes, des femmes et des enfants s’organisent en lien avec des organismes de bienfaisance pour faire de ce monde un monde de prière et de partage. Des chrétiens prennent l’initiative de jeûner et de se priver pour mieux partager avec les plus pauvres. En raison de leur situation précaire, ces derniers savent bien que l’homme ne peut pas s’en sortir seul. C’est pourquoi, un peu partout dans le monde, des gens s’organisent pour vivre différemment. Ils veulent construire une Église qui se met au service des autres. C’est cette Église-là qui nous permettra de rencontrer Jésus. C’est le message principal du pontificat du pape François.
Par l’Eucharistie, c’est l’heure de Jésus qui se poursuit. Prions-le pour qu’il nous entraîne dans son amour : « Cet amour qui va jusqu’au bout » (Jn 13,1).