B CARÊME 01 MARC 01,12-15 (15)

Chimay : 18.02.2024

Frères et sœurs, depuis mercredi dernier, nous sommes entrés dans le temps du Carême. Cette période de quarante jours ressemble au grand nettoyage du Printemps. Il nous suggère de mettre au propre nos relations avec Dieu et avec les autres. En effet, nos relations ont pu être abîmées par toutes sortes d’incompréhension, d’insatisfaction, de mésentente ou de mépris. Trop souvent, nous pensons que Dieu doit nous considérer comme des gens bien ordinaires et sans valeur. Pour laver cette idée, la première lecture nous renvoie à l’histoire de Noé. Après le déluge qui a submergé et régénéré le monde, le Seigneur invite Noé et sa famille à sortir de l’arche pour collaborer à une création nouvelle. À travers la figure de Noé, c’est l’humanité toute entière qui est invitée à faire alliance avec Dieu.

Le livre de la Genèse (Gn 9,8-15) nous rapporte que, dès le départ, les hommes se sont détournés de Dieu. Ils ont sombré dans la violence. Le péché nous est présenté comme une rupture avec Dieu. Mais après le déluge, Dieu se manifeste à Noé ; il conclut avec lui une alliance de paix, une alliance universelle, symbolisée par un magnifique arc-en-ciel. C’est Dieu qui prend l’initiative de nous ramener à lui ; il le fait sans condition. Même si son peuple est infidèle, Dieu reste toujours fidèle à son alliance. Dieu garantit qu’il sera toujours présent aux côtés de son peuple : « J’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous » (Gn 9,9). Cette bonne nouvelle nous rejoint tous en ce début du Carême. Si nous sommes prisonniers de nos lourds penchants ou écrasés par nos lourds soucis, Dieu prend parti pour nous. La preuve, nous la trouvons dans les Évangiles : le Christ tient si fort à nous qu’il est mort pour nous sur une croix, « alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,8). Dieu, en Jésus-Christ, a fait quelque chose pour nous alors que nous-mêmes, nous ne pouvions rien faire pour lui. Ce n’était pas à cause de notre amour pour Dieu, mais à cause de son amour pour nous qu’Il a envoyé Jésus-Christ alors que nous n’étions pas intéressés ou même que nous n’avions aucun désir pour Dieu.

Dans sa lettre, saint Pierre revient sur le déluge (3,18-22) : il attire notre attention sur le petit nombre de sauvés, huit en tout. Ce chiffre lui permettra de mettre en valeur la grandeur du salut en Jésus : le déluge est comme une figure du baptême. Il est bien plus qu’une simple purification. La famille de Noé est ressortie vivante des eaux du déluge. Saint Pierre compare les eaux du baptême aux eaux du déluge. Désormais, c’est l’eau du baptême qui nous sauve. Par le baptême, nous sommes sortis de tout ce qui nous menait vers la mort et conduits vers Dieu. C’est lui qui fait alliance avec nous et qui nous invite à marcher avec lui. L’eau du baptême nous a régénérés et l’Esprit que nous avons reçu nous fait vivre dans l’espérance de notre résurrection.

L’évangile nous présente précisément celui qui accomplit cette œuvre de salut. Jésus vient d’être baptisé par Jean au bord du Jourdain. Il a été désigné comme le Fils bien aimé du Père. Aussitôt après cet événement, l’Esprit le pousse au désert. En fait la traduction est trop faible. Il faudrait dire : « Aussitôt l’Esprit le chasse au désert ». Les quarante jours au désert sont le temps de la lutte contre la tentation de se détourner de Dieu. Jésus, resté fidèle à Dieu durant l’épreuve, peut commencer sa mission et appeler à la conversion : le temps du combat définitif conte le mal est inauguré. Et pourtant, quelque chose d’infiniment paisible et doux semble clore cette épreuve : les animaux sauvages côtoient les anges qui servent Jésus.

Nous devons aussi souligner l’importance de ce « Aussitôt l’Esprit le pousse au désert » qui revient souvent dans l’évangile de Marc. Il y a là un message important pour notre Carême. Ce n’est pas : « Je commence demain ou plus tard… ». C’est aujourd’hui et maintenant que le Seigneur attend ma réponse à son appel.

Quand nous lisons l’évangile, nous pensons aux hébreux qui, au temps de Moïse, furent jetés au désert par Pharaon. Ils y ont vécu un exode qui a duré quarante ans. Avec l’évangile de ce dimanche, nous voyons Jésus qui commence un nouvel exode. Les hébreux allaient vers la Terre promise. Jésus va vers son Royaume et nous entraîne à le suivre. Tout au long du Carême, nous sommes invités à faire une « conversion », un demi-tour et à réorienter notre vie vers lui. Dans un monde marqué par les vacarmes des moteurs et les hurlements de la radio, de la télévision et de la publicité, nous penserons à réserver des zones de désert, de silence pour retrouver Dieu. Il est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6). C’est par lui et avec lui que nous allons au Père.

Au désert, le peuple hébreu s’est révolté contre Dieu. Jésus a lui aussi connu les tentations et les épreuves qui sont celles de tous les humains. Mais parce qu’il est habité par l’Esprit, il en est sorti vainqueur. Bien mieux qu’avec Noé dans la première lecture, cette victoire du Christ sur les forces du mal est le point de départ d’une nouvelle alliance. Cette alliance nouvelle et éternelle est offerte à « toutes les nations qui sont sous le ciel » (Ac 2,5). C’est la bonne nouvelle que Jésus proclame à travers la Galilée : « Les temps sont accomplis, le règne de Dieu est tout proche : Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1,15). Annoncer la Bonne Nouvelle, c’est dire que le règne de Dieu est en train de commencer. Le projet de Dieu est en train de se réaliser.

Tout au long de ce Carême, nous sommes invités à suivre Jésus au désert. Peut-être dans une démarche de plus en plus consciente de la présence aimante de Dieu en nous. Il veut nous associer à sa victoire. Souvent, nous demandons à Dieu de nous protéger. Or voilà qu’aujourd’hui, il nous conduit sur le lieu du combat. Il nous met en face de nos responsabilités. Mais il ne nous laisse pas livrés à nos seules forces. C’est avec le Christ que nous pourrons être victorieux des forces du mal. Nous pouvons vraiment nous appuyer sur lui. Son amour nous est acquis une fois pour toutes et rien ne peut nous en séparer.

Dans notre vie, le Carême n’est pas un contre-temps fâcheux. C’est un temps de libération. Nous sommes invités à nous libérer de tout ce qui nous empêche d’aller vers les autres et vers Dieu. C’est un temps pour aimer : « Quarante jours à prendre comme on prend des vacances, quarante jours à ne rien faire d’autre que d’aimer ». Jésus nous ouvre le chemin. Nous vivons dans un monde imprégné par l’indifférence, l’incroyance, la « non foi », la mauvaise foi. C’est pour ce monde que le Christ est venu. À travers notre vie et notre témoignage de foi, tous doivent pouvoir reconnaître que « le règne de Dieu est proche ». Entrons résolument dans cette alliance que le Seigneur nous propose.