A 26 MATTHIEU 21, 28-32 (16)

Chimay : 01.10.2023

Frères et sœurs, les textes bibliques de ce dimanche dénoncent les incohérences qui peuvent exister dans nos jugements. C’est ce qui se passait au temps d’Ézéchiel (18,25-28). Le prophète s’adresse à un peuple déporté loin de sa terre natale. La nation juive a été disséminée en terre païenne. Beaucoup pensent que c’est à cause des fautes des générations précédentes qu’ils subissent une telle catastrophe. Le prophète réagit contre cette mentalité : il rappelle à chacun ses responsabilités ; le Seigneur ne veut pas la mort du méchant et, si étrange que cela paraisse, il offre à tout homme la chance de refaire sa vie. S’il se convertit, « c’est certain, il vivra, il ne mourra pas » (Ez 18,28).

Dans la lettre aux Philippiens (Ph 2,1-11), saint Paul nous donne des précisions sur ce que doit être cette conversion. Il nous parle de vie fraternelle, d’humilité et même d’abaissement (Ph 2,1). Notre modèle doit être le Christ. Il a accepté la mort par amour de ses frères. Les sentiments que Paul réclame des chrétiens et l’attitude qui en découle se fondent sur ceux de Jésus au milieu des hommes (Ph 2,5). C’est cette attitude qui lui a valu de triompher. Et c’est à ce triomphe sur la mort et le péché qu’il veut tous nous associer. Avoir les mêmes sentiments que lui, c’est être tout entier orienté vers le salut et la vie des hommes.

Dans l’Évangile, Jésus nous nous raconte la parabole des deux fils qui sont envoyés par leur père pour travailler à sa vigne. Ces enfants qui disent oui mais ne font rien, nous en connaissons tous. Quand on leur demande de faire quelque chose, ils savent dire un oui convaincant, mais une heure plus tard, on les retrouve devant leur télévision ou plongés sur leur téléphone portable sans avoir bougé le petit doigt. À travers ce constat, Jésus nous interpelle sur notre vie : « Vous avez de belles paroles mais vous ne faites pas ce que Dieu attend de vous. Votre vie n’est pas en accord avec ce que vous prétendez être. Vous croyez être parfaits, mais vous n’êtes pas convertis ». On ne peut se contenter de dire : « Oui, Seigneur » (Mt 7,21). Il faut accueillir la volonté du Père et l’accomplir. Or, celle-ci peut nous être signifiée par des gens que nous estimons être loin de Dieu.

Au même moment, nous avons des mal-croyants notoires, des gens de mauvaise vie, voleurs et tricheurs, des femmes qu’on disait perdues : les uns et les autres étaient considérés comme irrécupérables. Or voilà qu’ils accueillent l’annonce du Salut : ils se convertissent et changent de vie. Leur “non” est devenu un “oui” parce qu’ils ont cru à l’amour de Dieu qui les ouvrait à un avenir nouveau.

Ce que Jésus dénonce, c’est l’orgueil et aussi le mépris à l’égard du pécheur. Ce dernier est enfoncé dans son passé et sa mauvaise réputation. On ne lui laisse aucune chance, mais Dieu n’est pas ainsi. Comme nous l’a rappelé le prophète Ézéchiel, le juste peut se pervertir et le méchant se convertir. Jésus voit ce qu’il y a dans le cœur de chacun. Il accueille le pécheur qui revient à lui. Les publicains et les prostituées avaient commencé par dire non à cet appel. Mais ils se sont convertis. Ils ont accueilli celui qui, seul, pouvait donner un sens à leur existence. Cette rencontre avec Dieu a complètement changé leur vie. Tout au long des évangiles, nous découvrons que les grands témoins de la foi sont des pécheurs pardonnés : Zachée, Lévi, Marie-Madeleine, Marthe, Marie et Lazare, la femme adultère, saint Paul, la liste est longue.

Au-delà des grands prêtres et des anciens qui veulent le piéger, Jésus s’adresse aussi à chacun de nous ; c’est à nous qu’il pose la question : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » (Mt 21,31). Seule réponse possible : l’authentique fidélité se trouve chez celui qui obéit, même s’il a commencé par dire non. Il y a là un paradoxe. Mais le Royaume annoncé par Jésus donne la première place à ceux qui occupent la dernière place : les publicains et les prostituées. La vérité n’est pas là où nous croyons qu’elle se trouve. La vérité est en Dieu seul. Les paraboles énoncées pas Jésus tracent ce chemin que Dieu enseigne aux humbles, à ceux qui écoutent sa voix et ouvrent les yeux de la foi.

Quelle sera notre réponse à l’appel de Dieu ? La réponse nous appartient mais il ne faut pas oublier d’en tirer les conséquences : nous ne pouvons pas nous contenter de bons sentiments, de superbes résolutions, d’ardentes prières… il en faut bien sûr, mais si les actes ne suivent pas, nous ne sommes pas convertis. On dit un peu à la blague que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pourtant une simple visite à un malade compte plus qu’un beau discours sur la maladie ; un pardon donné a plus de poids qu’une dissertation sur la paix.

En ce jour, nous entendons la Parole du Père nous dire : « Mon fils, va travailler aujourd’hui à ma vigne ! » (Mt 21,28). Cette vigne c’est le Royaume de Dieu, Royaume d’amour, de justice et de paix. C’est là que Dieu veut rassembler tous les hommes, y compris ceux qui sont loin de lui. La relation père-fils de la parabole que nous lisons aujourd’hui désigne la relation qui unit Dieu aux siens. Nous sommes tous des fils, nous dit Jésus. Et nul, mieux que lui, n’a montré comment être fils : « Obéissant jusqu’à la mort de la Croix » (Ph 2,8).

Au terme de son ministère, parvenu à Jérusalem où il a été accueilli par une foule enthousiaste, Jésus doit affronter les autorités religieuses. Le bref discours imagé de ce dimanche est une réplique à l’incrédulité manifeste des grands prêtres et des anciens à la prédication de Jean Baptiste, pourtant reconnu juste selon la Loi, et à celle de Jésus lui-même, prédicateur itinérant sans diplôme. Nous sommes tantôt l’un, tantôt l’autre de ces deux fils de l’évangile de ce jour. Nous voudrions bien « faire la volonté » de Dieu mais nous hésitons souvent, surtout lorsqu’il se présente sous la forme des plus nécessiteux. Peut-être parce que Dieu nous semble autoritaire, voire insensible, alors qu’il est avant tout un père dont l’Évangile ne cesse de révéler la tendre sollicitude. Pour nous encourager, nous pouvons voir dans les personnages dont Jésus mentionne la conversion, publicains et prostituées, destinataires inattendus du Royaume, ces hommes et ces femmes de nos jours qui se sont soudainement ouverts au Dieu de Jésus Christ. Ils ont renoncé au profit et au confort matériel, et placé l’amour au centre de leur vie ; ils ont accueilli le regard de miséricorde de Jésus alors qu’ils se considéraient comme indignes d’être aimés. Le nombre de baptêmes d’adultes augmente chaque année. Ces conversions sont des passages tangibles du Christ dans la société de notre temps et dans nos communautés, malgré nos fragilités. Qu’elles nous interpellent, rejoignant nos lenteurs à croire et à agir, et dégagent nos cœurs de leurs torpeurs !

Travailler à la Vigne du Seigneur, c’est participer à cette œuvre de rassemblement, c’est témoigner de la foi et de l’espérance qui nous habitent. Nous sommes tous envoyés dans ce monde pour y être des messagers de l’Évangile. C’est à notre amour que nous serons reconnus comme disciples du Christ. Nous allons célébrer ensemble cette Eucharistie : qu’elle soit pour chacun de nous le lieu du repentir qui précède un engagement plus vrai dans la vigne du Seigneur.