A CARÊME 05 JEAN 11,01-45 (16)

Chimay : 26.03.2023

 

Frères et sœurs, avec l’histoire de Lazare, la vérité de la condition humaine nous rattrape : Lazare, l’ami de Jésus, le frère de Marthe et de Marie, est malade, et Jésus n’arrive pas à temps. Devant la mort de Lazare, larmes et chagrin : Lazare est au tombeau, ses sœurs et Jésus lui-même le pleurent. La vie qui est enlevée à Lazare, la peine de ses proches, la mobilisation du voisinage pour apporter du réconfort ne sont en rien anecdotiques. C’est ce que nous appellerions « la vraie vie », celle qui nous arrive chaque jours et sur laquelle nous peinons à mettre du sens : nos parents et nos amis décèdent, nous connaissons le deuil et la tristesse, des proches sont mortellement malades... il n’y pas ici de complaisance au malheur, mais il y a réellement à considérer que l’annonce de la résurrection ne peut être détachée de la réalité de « nos corps mortels ».

Nous vivons dans un monde sans Dieu qui souffre de maux de toutes sortes à cause des maladies, des guerres et des peurs qui en découlent. « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » (Jn 11,21). Voilà une parole qui sonne comme un reproche. Elle ressemble beaucoup à d’autres que l’on retrouve dans la Bible, en particulier dans certains psaumes ; on y reproche à Dieu son silence et son absence. Pendant le coronavirus, les églises étaient fermées, et les gens se posaient la question : « Où est-t-il notre Dieu ? que fait-t-il ? » Faire des reproches à Dieu, cela ne nous paraît pas correct. Mais nous oublions que notre Dieu c’est celui à qui on peut tout dire, même des paroles de reproches et d’incompréhension.

Ce cri de révolte, c’est déjà une prière. Notre Dieu c’est quelqu’un vers qui nous pouvons crier notre souffrance. Il n’est pas un Dieu lointain et absent auquel on cache certaines choses. Nous pouvons toujours lui dire les peurs et les interrogations qui nous tracassent. Quand tout va mal, nous pouvons toujours nous adresser à lui ; et si nous ne savons pas prier, nous pouvons toujours « crier » vers le Seigneur. La liturgie de ce dimanche nous propose le psaume 129 : « Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur, Seigneur écoute mon appel ; que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière » (Ps 129,1-2). 

Aujourd’hui, nous voyons Marthe et Marie reprocher à Jésus de ne pas avoir été là pour empêcher la mort de leur frère Lazare. Et pourtant, il avait été averti depuis plusieurs jours à l’avance de la maladie de son ami. Arrivé devant le tombeau, il est bouleversé d’une émotion profonde. Comme nous, il ressent douloureusement la mort d’un ami ou d’un parent. Mais à travers Lazare, c’est aussi la détresse de toute l’humanité qu’il voit, celle de tous ces hommes, femmes et enfants qui se trouvent enfoncés dans la misère et qui n’ont plus le minimum pour survivre. En ce jour, nous nous tournons vers lui et nous lui demandons qu’il nous donne un cœur semblable au sien, sensible à la peine des autres.

Si nous voulons comprendre quelque chose à cet évangile, il nous faut prendre en compte toutes nos interrogations face à la souffrance et à la mort. Nous sommes peut-être trop habitués à cet évangile. Nous l’avons entendu des centaines de fois, en particulier lors des célébrations de sépultures. Nous connaissons la fin de l’histoire. Nous savons que Jésus va faire quelque chose et que tout va rentrer dans l’ordre. Lazare sera « relevé » ; il pourra reprendre ses occupations, retrouver ses sœurs, ses amis. Mais un jour, il connaîtra de nouveau la mort.

L’évangile de ce dimanche ne nous présente pas ce geste de Jésus comme un miracle sensationnel mais comme un signe. Pour nous sortir de la mort, Jésus met au premier plan la confiance. D’abord sa propre confiance, intégralement acquise à son Père : « Je savais bien que tu m’exauces toujours » (Jn 11,42) ; ensuite celle qu’il suscite chez ses amis : « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jn 11,26). Le Ressuscité rend possible une vie dans la confiance, une vie libérée car déliée des angoisses. Au-delà du relèvement de Lazare, il nous parle de nous ; le message qu’il nous adresse est un message d’espérance. En lui, c’est le Dieu des vivants qui se révèle au monde. En ce jour, il nous fait entendre son appel : « Lazare, viens dehors ! » Aujourd’hui, c’est aussi à chacun de nous qu’il s’adresse : « Viens dehors ! » Il nous appelle tous par notre prénom pour nous renouveler cet appel : « Viens dehors… Je te libère de tes bandelettes… je te fais respirer un air nouveau… Ce n’est plus l’air des tombeaux et des cadavres, mais un air pur, celui où vivent les hommes ».

Cette promesse d’une vie nouvelle, ce n’est pas seulement pour après notre mort mais pour aujourd’hui. C’est aujourd’hui que Lazare est réveillé et qu’il va reprendre vie avec les autres. Mais le Seigneur compte sur nous pour enlever la pierre. Cette pierre, c’est celle de notre égoïsme et de tout ce qui nous ferme à Dieu et aux autres. Le Christ compte sur nous pour participer à cette œuvre de libération. Pensons à tous ceux qui sont opprimés, sans travail, affamés ; en ces jours, notre attention va vers tous les malades les plus éprouvés. Nous croyons que le Seigneur peut ouvrir ces tombeaux-là. Mais nous savons aussi que sa parole et son action passent par nos engagements.

Jésus aimait Marthe et sa sœur Marie, ainsi que Lazare. Le récit de ce dimanche s’inscrit dans leur ineffable amitié. Quand on s’aime à ce point, on ne sait comment en témoigner. « Seigneur, si tu avais été là ! » (Jn 11,21), disent Marthe et Marie. « Jésus pleura » (Jn 11,35), écrit saint Jean. Peut-on mieux signifier la proximité pendant un jour si intense dans la perte d’un proche, et si lumineux pour l’espérance du monde ? Le dialogue entre Marthe et Jésus est une catéchèse pour notre foi pascale. Lazare sort du tombeau pieds et mains attachés pour nous placer en attente de Qui tout se reçoit. Le visage de l’ami est enveloppé d’un suaire. Dieu prend visage en Jésus, et imprimera sur le saint suaire la marque de sa passion indicible pour l’humanité.

Aujourd’hui, puisons notre fraternité en Jésus ! Le père Xavier Thévenot, théologien et ami des souffrants, disait dans ses notes de retraite : « Quand ma foi en un Dieu sauveur est ébranlée par les assauts du mal, la seule façon de croire encore que le Dieu Amour existe est sans doute d’expérimenter la fraîcheur d’une source d’amour si petite soit-elle ; alors je puis me dire qu’elle s’alimente à la véritable nappe d’Amour qu’est le Dieu vivant de Jésus Christ ». L’amitié ici partagée par Jésus n’est donc pas un détour. Elle est le lieu de la manifestation du Fils déjà exaucé, nous appelant à croire que son Père l’a envoyé. Il est la Résurrection et la Vie ! (Jn 11,25).

Le Seigneur est toujours là. Il veut nous remettre debout chaque jour. Il vient faire sauter toutes nos bandelettes, celles de la peur, du désespoir et de la discorde. Il est le Dieu libérateur. Avec lui, nous sommes entrés dans l’ère de la résurrection. Désormais, tout redevient possible car il nous fait partager sa vie. C’est pour cela qu’il se donne à nous dans l’Eucharistie.

Jour après jour, et à tous les âges de notre vie, nous pouvons nous en remettre à Lui pour sortir de nos tombeaux et vivre pleinement. Pâques est devant nous.