A CARÊME 02 MATTHIEU 17,01-09 (13)

Chimay : 05.03.2023

Frères et sœurs, en ce 2e dimanche du Carême, l’Évangile nous recommande moins un effort de jeûne qu’un effort de marche. Quand nous lisons la Bible, nous trouvons beaucoup de gens qui se mettent en marche. Mais à chaque fois, c’est vers un but bien précis. C’est ce qui s’est passé pour Abraham (Gn 12,1-4) : il a dû quitter son pays, sa parenté et la maison de son père ; il s’est mis en marche vers le pays que Dieu lui destinait, sans savoir où il allait ; c’est un défi extraordinaire pour nous qui sommes si souvent attachés à nos sécurités, à notre confort, à nos certitudes, à nos biens, à nos souvenirs. Abraham nous est présenté comme le modèle des croyants qui met toute sa confiance en Dieu et qui accepte de répondre à son appel. « Abraham s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit » (Gn 12,4). L’aventure de la foi d’Abraham rejaillit en bénédiction pour toutes les familles de la terre (Gn 12,3).

L’apôtre Paul a, lui aussi, beaucoup marché (2 Tm 1,8-10). Il a parcouru différents pays pour annoncer l’Évangile au monde païen. Sa grande préoccupation était que la bonne nouvelle soit connue de tous. Aujourd’hui, il s’adresse à Timothée qui est affronté à des persécuteurs. Il l’encourage à tenir bon malgré les souffrances et les persécutions : « Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile » (2 Tm 1,1). Le mal et la mort n’auront pas le dernier mot. Alors, n’ayons pas peur de marcher à la suite du Christ qui veut nous associer à sa victoire.

L’Évangile que nous venons d’écouter nous ramène à un moment crucial de la vie de Jésus ; il est en chemin vers Jérusalem ; il vient d’annoncer à ses disciples qu’il y sera arrêté, condamné et mis à mort sur une croix. Pour eux, c’est insupportable. L’événement qui nous est rapporté aujourd’hui va les aider à s’ajuster au plan de Dieu : c’est Jésus qui amène trois d’entre eux « à l’écart, sur une haute montagne » (Mt 17,1). Dans le monde de la Bible, la montagne représente la proximité de Dieu et la rencontre avec lui ; c’est un lieu de prière. On y est vraiment en présence du Seigneur.

C’est sur cette montagne qu’a lieu la Transfiguration de Jésus. On l’appelle le mont Thabor. C’est comme un phare lumineux qui nous montre le point d’arrivée de notre vie humaine et chrétienne. En laissant entrevoir à ses disciples la beauté de sa divinité, Jésus leur révèle le but de son voyage. Cette lumière mystérieuse est une fenêtre ouverte sur la résurrection et la vie auprès du Père. Nous ne sommes pas comme des gens perdus dans le désert. Nous avons un guide, c’est Jésus lui-même. Il est le « chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), c’est par lui et avec lui que nous allons vers le Père.

Pierre est ébloui par cette vision extraordinaire. Il voudrait prolonger cet instant de bonheur et s’y installer. Mais la voix du Père le ramène à la réalité : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve toute ma joie : écoutez-le » (Mt 17,5). Cette voix donne l’explication de la grande lumière qui enveloppe Jésus : aujourd’hui, ils voient son visage transfiguré ; plus tard, au jardin des Oliviers, ils le verront défiguré. Le Messie qu’il nous faut écouter est un Messie crucifié, mais un Messie qui veut nous associer à sa victoire sur la mort et le péché. Ce passage de l’Évangile vécu par Pierre, Jacques et Jean veut offrir une connaissance plus intime de ce que le Fils de Dieu est venu vivre au milieu de nous : l’œuvre d’amour du Père à notre égard.

Cet Évangile de la Transfiguration nous décrit ce qui se passe chaque dimanche à la messe : après six jours de travail, Jésus nous conduit vers un lieu « élevé » ; nous avons tous besoin de nous élever ; il ne s’agit pas de fuir le monde ni de nous évader. Si le Christ nous appelle à lui, c’est pour nous faire connaître le Père. Comme pour les foules anonymes l’Évangile, il nous enseigne et nous nourrit.

Puis c’est le retour vers le quotidien moins brillant. La splendeur de Dieu, nous aurons toute l’éternité pour la contempler. Le Seigneur nous renvoie vers ce monde où la gloire de Dieu n’est pas toujours éclatante, mais elle y est. Le Seigneur nous propose de travailler à rendre ce monde meilleur. Le pape François nous parle souvent des « périphéries », de tous ceux et celles qui souffrent à cause de la maladie, des injustices, de la pauvreté matérielle et spirituelle. C’est dans ce monde tel qu’il est que nous sommes envoyés pour témoigner de l’espérance qui nous anime, mais aussi pour reconnaître la présence de Dieu dans nos frères et sœurs.

Le Carême est souvent comparé à une marche qui conduit à Pâques. D’expérience, pendant notre marche, nous pouvons rencontrer des faiblesses, des lassitudes, des remises en cause qui alourdissent le pas. La Transfiguration du Christ est d’abord une manifestation de sa divinité à l’image des grandes théophanies de l’Ancien Testament. Alors que bien des lieux sont décrits et identifiés dans les évangiles, la « haute montagne » se présente comme la montagne de Dieu, lieu de sa manifestation à Moïse ou à Élie. Ce sont d’ailleurs ces deux personnages qui échangent avec Jésus au cours du récit de l’évangile. Les éléments qui révèlent la divinité de Jésus sont à percevoir dans la perspective de la résurrection : Jésus est brillant, la lumière l’inonde, il transcende le temps ; enfin, les mots employés par le Christ « Soyez sans crainte », « Relevez-vous » appartiennent au vocabulaire des récits de Pâques. Jésus évoque son passage par la mort et sa résurrection.

Comme Pierre, Jacques et Jean, nous espérons que Dieu se manifeste à nous pour relancer notre marche mais nous ne pourrons jamais faire l’économie du déplacement pour aller vers le Seigneur. Les Apôtres ont abandonné leur quotidien, pour un temps, afin de se rendre sur la « haute montagne » comme Abraham qui a obéi à l’ordre du Seigneur de quitter son pays, afin de recevoir sa bénédiction et devenir une grande nation.

Nous commencions le Carême sous le sac et la cendre, dans l’errance de nos ténèbres intérieures. Voici Jésus transfiguré ! La Transfiguration donne une visibilité à la divinité de Jésus, mais elle nous enseigne aussi que cette divinité se manifestera pleinement dans la souffrance quand le Fils de Dieu donnera sa vie sur la Croix. C’est ce qu’affirme l’apôtre Paul à Timothée, l’exhortant de prendre sa part de souffrance dans l’annonce de l’Évangile.

Dans notre vie, les moments joyeux alternent aussi avec des moments de souffrances, des moments où tout semble plus difficile, voire, parfois, où il semble impossible d’aller de l’avant. Il est facile de croire et d’espérer quand tout va bien. Il est bien plus difficile de le faire dans les épreuves de la vie, que ce soit les nôtres ou celles de nos proches. C’est dans ces moments que l’on sait si l’on a la foi et si l’on espère vraiment dans le Seigneur. Quand tout semble perdu, est-ce que nous mettons encore notre confiance en lui ? Ou, comme les disciples, préférons-nous nous enfuir et aller voir ailleurs ? Cette vie est celle de la lutte pour la foi. Au Paradis, enfin, nous verrons Dieu face à face, comme il est, dans la lumière, et notre joie sera complète.