C PÂQUES 05 JEAN 13,31-33a.34-35 (12)
Frères et sœurs l’Évangile que nous venons d’entendre nous rapporte une partie de « l’entretien suprême » de Jésus avec ses disciples. C’était au soir du Jeudi Saint. Jésus vient de laver les pieds de ses disciples. Judas est sorti pour le trahir. Dans le récit de ce dimanche, deux choses nous frappent : la première c’est la glorification ; l’heure de la mort est, pour Jésus, l’heure où il va être glorifié par le Père. La deuxième c’est le commandement qu’il leur laisse. C’est un commandement qui résume toute sa vie : « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34).
Jésus s’adresse une dernière fois aux disciples. Un chef politique aurait désigné son successeur. Un propriétaire aurait distribué ses biens. L’héritage de Jésus porte uniquement sur la relation. « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres ». Son testament se lit à l’ombre de la croix et à la lumière de la résurrection. Au Golgotha, Jésus a donné sa vie jusqu’au bout pour ses amis. Au matin de Pâques, son amour a définitivement triomphé de la mort.
Le mot important est « comme ». Jésus, le Maître et Seigneur, s’est mis au rang de l’esclave pour laver les pieds de ses disciples. En agissant ainsi, il leur a donné l’exemple à suivre. Cet exemple doit aussi inspirer notre comportement. Il ne s’agit pas d’imiter exactement ce que Jésus a fait – comme de laver les pieds de tout le monde – mais de nous mettre au service de nos frères. « Comme lui savoir dresser la table, comme lui nouer le tablier, se lever chaque jour et servir par amour comme lui » (Robert Lebel). Dieu a fait le premier pas vers nous ; en donnant sa vie sur la croix, le Christ nous manifeste un amour qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer.
Par ce commandement nouveau, Jésus souligne la valeur d’une vie donnée au « goutte à goutte » et pour les autres dans les activités de notre quotidien. Aimer revient à trouver sa joie dans la présence de l’autre. Le service est l’accomplissement de l’amour. Celui qui sert ne se trompe pas d’amour. Son but n’est plus d’être aimé. Il ne se regarde plus lui-même. Il ne se contente plus d’aimer aimer. Il aime en actes et en vérité et glorifie le Seigneur à travers ceux que le Père lui confie.
Nous devenons capables d’aimer nos frères parce que Dieu nous aime. Il dépose en nous sa propre capacité d’aimer. Être baptisé, vivre en baptisés, c’est devenir capables d’aimer de plus en plus comme Dieu. Bien sûr, nous savons bien qu’il y a le péché qui nous éloigne de cet amour. Mais par le sacrement du pardon et de l’eucharistie, nous repartons avec cette force d’aimer avec Jésus et comme lui.
Certains peuvent se demander pourquoi cet évangile nous est proposé en ce temps de Pâques. En fait, saint Jean l’a écrit bien après la résurrection du Christ. Depuis le jour de Pâques, tout est accompli ; le Christ est glorifié. Et Dieu est glorifié en lui. Le monde nouveau est advenu. C’est un monde où le péché est vaincu. Une vie nouvelle est en train de naître. Il n’y aura plus de pleurs ni de cris ni de larmes.
Cet Évangile vient nous rappeler notre mission. Il ne s’agit plus aujourd’hui de « laver les pieds » mais de faire taire les pleurs et les cris de ceux qui souffrent. C’est à nos gestes d’amour, de partage et de solidarité que nous serons reconnus comme disciple du Christ. Nous sommes envoyés pour annoncer au monde la bonté du Seigneur, sa tendresse et sa miséricorde. Il compte sur nous pour en être les messagers dans notre vie de tous les jours.
Le livre des Actes des Apôtres (14,21b-27) nous montre Paul et Barnabé qui ont travaillé avec ardeur à cette annonce de la bonne nouvelle. Paul porte le souci des communautés qu’il a fondées lors de ses voyages. Sans cesse, il revient les encourager devant les persécutions, redresser leurs erreurs et les organiser en choisissant des anciens pour les encadrer. « Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui » (Ac14,23). Il prend soin aussi de tenir au courant des progrès de la mission la communauté chrétienne qui l’a envoyé, pour que tous se sachent partie prenante de son labeur et se réjouissent de voir Dieu ouvrir la porte de la foi. Ils se sont efforcés de rester en relation avec ceux qui se sont convertis au Christ. Au cours de leur voyage missionnaire, Paul et Barnabé fondent et organisent de nouvelles communautés chrétiennes. Grâce à leur témoignage, la bonne nouvelle de l’Évangile se répand de plus en plus. Mais le plus important, c’est l’action de Dieu dans ces communautés. La mission c’est d’abord son œuvre. Mais tout s’est fait « avec eux ».
La seconde lecture est tirée de l’apocalypse de Saint Jean (21,1-5a). Pour la comprendre, il faut se rappeler qu’elle est écrite pour des chrétiens persécutés. C’est un message très fort et très solennel qui annonce un ciel nouveau et une terre nouvelle. C’est la victoire de l’amour sur toutes les puissances du mal. Le privilège d’être avec Dieu est pour tous. « Ils seront son peuple… Dieu sera leur Dieu » (Ac 21,3). Et nous saurons que la vraie demeure de Dieu, celle qui a toujours été la sienne, c’est l’homme, ce sont les hommes dont Jésus Christ s’est fait le frère, lui l’Emmanuel, c’est-à-dire : Dieu avec nous.
Voilà cette bonne nouvelle que nous entendons en ce dimanche. C’est une immense scène d’amour qui ne demande qu’à enserrer toute une communauté et même le monde entier. Nous ne pourrons en témoigner que si nous puisons à la source de cet amour. Aimer, c’est prolonger Dieu, c’est vivre à sa manière sans exclure personne. Ce qui fait la valeur d’une vie c’est un amour de plus en plus à la ressemblance de celui de Jésus pour nous.
Quelqu’un est glorifié, pour la Bible, lorsque sa vie donne sa pleine mesure. Jésus est ainsi glorifié lorsque son amour est parfaitement révélé par son sacrifice et sa résurrection. Pour Jean, c’est déjà au soir du Jeudi saint que Jésus est glorifié par anticipation : l’eucharistie est le sacrement de la mort et de la résurrection du Christ qui, avant de quitter les siens, leur révèle le secret de toute vie : aimer comme lui. Si l’amour du prochain existe déjà dans la tradition juive, il est nouveau de l’associer à l’amour des ennemis. Certains psaumes lus de manière littérale montrent que la mentalité d’alors n’y est pas prête. Mais l’est-elle davantage en ce début de troisième millénaire ?
Cependant, on constate qu’à chaque génération des chrétiens, des êtres humains parmi les meilleurs, ont témoigné d’un amour universel, parfois jusqu’à en mourir, tel saint Charles de Foucauld qui est canonisé aujourd’hui à Rome. Dans le quotidien de notre vie ordinaire d’hommes et de femmes quelconques, nous pouvons témoigner d’un amour fait de tendresse et de compassion, de respect pour tous les êtres, quelles que soient leur situation sociale, leur provenance, leur couleur de peau ou de cheveux. Cet amour-là est exigeant, il suppose de dépasser nos préjugés, entretenus par la haine et la bêtise.
Pour vivre une telle exigence de l’amour, confions-nous au Christ Jésus. Nous savons bien que notre désir de sainteté inclut l’offrande de notre faiblesse et nos pauvretés. Paul et Barnabé « confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui ». Notre mission commence par accepter de nous abandonner en celui qui nous a tout donné. Il s’agit de se laisser aimer afin de pouvoir aimer à notre tour.