C CARÊME 03 LUC 13,01-09 (12)

Chimay : 20 mars 2022

 

Frères et sœurs, les jours et les semaines passent et notre marche vers Pâques se fait plus précise. La Parole de Dieu de ce dimanche nous invite à accueillir Dieu qui veut libérer son peuple. Cette libération passe par un engagement résolu sur le chemin de la conversion. Pour nous faire comprendre combien c’est important, Jésus présente des événements qui ont frappé les esprits en son temps.

L’Évangile nous parle de gens qui viennent à Jésus pour lui rappeler ces Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu’ils offraient un sacrifice. Leur sang avait été mêlé à celui des holocaustes. Ce qui était l’injure suprême. Alors on s’interroge : comment expliquer un sort si horrible ? Beaucoup pensent que c’est un châtiment de Dieu, et en déduisent que s’ils sont épargnés, c’est qu’ils sont irréprochables.

Jésus réagit très fermement contre cette manière de voir. Il rappelle que les malheurs qui s’abattent sur le monde et sur les hommes ne viennent pas de Dieu. Il n’y a aucun lien entre la souffrance et le péché. Un autre jour, on posera à Jésus la même question au sujet de l’aveugle-né : « Qui a péché pour qu’il soit né ainsi, lui ou ses parents ? » Et Jésus répondra : « Ni lui, ni ses parents » (Jn 9,2-3). Tout l’Évangile nous dit et nous redit inlassablement que « Dieu est amour » (1 Jn 4,8). Il n’est surtout pas un chasseur de primes sans cœur.

Jésus nous met en garde : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Lc 13,3). Ce n’est donc pas notre péché qui entraîne notre condamnation, mais notre refus de conversion, c’est-à-dire d’ouvrir nos yeux intérieurs et de tourner nos regards vers lui. Ce n’est pas Dieu qui va nous faire périr, c’est nous qui irons à notre perte. C’est pour cela que le Christ nous recommande de ne pas remettre notre conversion à demain. La mort peut arriver d’une manière imprévue. Car le danger le plus grave, c’est celui de la mort éternelle qui sépare définitivement l’homme de Dieu.

Bref, Jésus n’appelle pas ses contemporains à se préparer à une éventuelle mort subite, mais à comprendre l’importance du moment présent : Israël est comme un figuier stérile dont tout autre que Dieu aurait déjà décidé l’abattage. S’il patiente quelque temps encore, les trois ans de la prédication du Christ, il est urgent d’en tenir compte. Passé ce délai, Dieu confiera la réussite de son projet à un autre peuple, l’Eglise, qui portera du fruit parmi les païens.

Chacun de nous est donc invité à se convertir, à changer de comportement et à se détourner de ses péchés. Tout au long de ce Carême, nous entendrons cet appel à revenir vers le Seigneur par la prière et la pratique des sacrements. Cette conversion passe aussi par une plus grande attention aux autres, en particulier aux plus démunis. Ce temps du Carême nous est donné pour nous libérer de tous nos égoïsmes. Ce qui fait la valeur d’une vie, ce n’est pas ce que nous possédons mais ce que nous donnons, c’est notre accueil, notre partage, notre amour. À travers le plus petit de nos frères, c’est Jésus qui est là, nous enseigne-t-il (Mt 25,40).

Dans l’épître aux Corinthiens (1 Co 10,1-6.10-12), l’apôtre Paul nous présente un autre aspect de cette conversion que Dieu attend de nous : il nous invite à une relecture des événements de l’Exode. Paul rencontre à Corinthe des esprits forts qui prétendent pouvoir tout voir, tout entendre, raisonner sur tout. Pourtant, ni leur foi, ni les sacrements ne les dispensent d’être prudents et de se défier d’eux-mêmes. L’histoire sainte est pleine d’enseignements à ce sujet. Malgré leur confiance en Moïse, bien qu’ils aient tous traversé la mer Rouge, mangé la manne et bu l’eau du rocher, les Hébreux n’ont pas tous atteint la terre promise. Ceux qui se sont laissés aller sont tombés en cours de route. Dieu était là pour libérer son peuple de l’esclavage du péché, mais beaucoup sont morts parce qu’ils s’étaient éloignés de Dieu. Cette lecture vient nous rappeler une fois de plus que le Carême est un temps de conversion, un temps qui nous invite à rester bien accrochés à ce rocher qu’est le Christ.

Le livre de l’Exode (3,1-8.10.13-15) nous annonce une bonne nouvelle. Il nous parle de la rencontre de Moïse avec Dieu. Moïse se trouve devant ce buisson qui flambe mais qui ne se consume pas. Ce buisson, c’est le symbole de Dieu. Moïse découvre que Dieu est un feu ardent. Plus tard, saint Jean dira que « Dieu est amour » (1 Jn 4,8). Cet amour est un feu qui ne se consume pas car il est éternel (Ps 135). Il va en priorité vers les pauvres, les opprimés et les exploités. Le Dieu que rencontre Moïse est celui qui voit la misère de son peuple, entend ses cris et vient pour le sauver : « J’ai vu la misère de mon peuple… Je connais ses souffrances ». (Ex 10,7-8). Le vrai Dieu est avec tous ceux qui sont opprimés et réduits à la misère, qui ne valent rien à nos yeux. Il est avec eux pour les délivrer. Mais il ne veut pas le faire sans nous.

Aujourd’hui comme autrefois, Dieu voit la misère de son peuple. La spéculation qui affame les plus pauvres. L’accaparement des terres est un phénomène très fort dans de nombreux pays et il y fait de nombreuses victimes. Et que dire de la guerre ! Tout cela, Dieu le voit. Et comme pour Moïse, il voit aussi notre capacité à réagir contre l’injustice et l’esclavage. La conversion à laquelle Jésus nous appelle suppose un retournement profond. C’est à ce prix que nous pourrons « donner du fruit à l’avenir, un avenir plus juste » (Lc 13,9).

Tout au long de ce Carême, accueillons cet appel à nous convertir. Faisons nôtre la prière du psaume 94 : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur » (Ps 94,7c-8a). 

Il est dans nos vies des moments de révélation auxquels nous ne prêtons guère attention, espérant peut-être des signes plus grandioses. Moïse faisait paître le troupeau de son beau-père, et comme cela nous arrive parfois, il alla au-delà du désert. La Bible laisse pressentir l’importance du moment : « Il parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb » (Ex 3,1). Une expérience qu’en d’autres termes nous faisons aussi parfois. Mais le berger est surpris. Scène inhabituelle : un buisson en feu qui ne se consume pas. Moïse s’approche pour comprendre, mais entend surtout une parole lui ordonnant « d’ôter ses sandales, car le sol qu’il foule est une terre sainte » (Ex 3,5).

A la question de Moïse, Dieu répond : « Je suis qui je suis » (Ex 3,14). On ne peut connaître Dieu à moins de faire l’expérience de sa présence et de son action pour les hommes. Alors, on verra qu’« Il-est-avec » le pauvre dans l’angoisse, le petit réduit à la misère, l’humilié sous la botte des exploiteurs. Il est avec eux pour les délivrer. Mais seul celui qui, comme Moïse, s’est compromis avec Dieu pour délivrer ses frères sait cela autrement que par les livres.

Sur notre chemin de Carême, il nous faudra guetter ces terres de révélation, ces buissons ardents, et comme Moïse, il nous sera confié une mission. Elle sera au-delà de ses forces, mais le Seigneur affirme qu’il sera à ses côtés. Il lui communique même son nom, plein de mystère, mais qui affirme clairement sa présence aux côtés de son peuple. Voilà ce qui nous est donné aujourd’hui sur le chemin de Pâques, la possibilité d’appeler Dieu par son nom propre, car il nous l’a donné. Le Carême est un temps de (re)découverte, une invitation à ne pas manquer les signes de Dieu qui se révèle, déroutant parfois, déplaçant nos questions. Mais qui ouvre nos vies sur une libération.