C 06 LUC 06, 17.20-26 (11)
Frères et sœurs, les textes bibliques de ce dimanche résument ce qu’il y a de plus important dans le christianisme. Tout repose sur la confiance que nous mettons en Jésus. Être chrétien c’est s’engager derrière lui. C’était déjà, bien avant Jésus, le message du prophète Jérémie : « Heureux l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur » (Jr 17,7). Il nous faut recevoir cet appel du prophète comme un avertissement et un appel urgent à la conversion. C’est en nous appuyant sur Dieu que nous trouverons le vrai bonheur.
L’homme pour la Bible, est mis devant ce choix : la mort ou la vie, la malédiction ou la bénédiction. La mort, c’est le salaire de celui qui a misé sur lui-même, sur des garanties humaines ; la vie, c’est le salaire de celui qui a misé sur Dieu dans un abandon total et joyeux. Sur ces deux routes, les hommes seront aux prises avec les mêmes difficultés, la même sécheresse aride parfois. Qui s’est confié en Dieu éprouvera alors qu’il est le courant de vie qui ne manquera jamais. Qui d’entre nous n’a jamais découvert qu’au milieu de ses épreuves le Seigneur était pour lui comme un ruisseau d’eau vive ? Le Christ ressuscité est notre espérance pour cette vie et pour toujours.
Dans l’Évangile, Jésus nous montre le chemin du vrai bonheur. Son message n’est pas adressé à quelques personnes seulement mais à un auditoire extrêmement large. Il y avait là les « douze apôtres » mais aussi un grand nombre de ses disciples. Il y avait également une foule de gens venus de différentes régions. C’est une manière de rappeler que le message du Christ est offert à tous ceux et celles qui veulent être ses disciples. C’est aussi à chacun de nous qu’il est personnellement adressé.
En écoutant cet Évangile, nous avons pu remarquer que ce message du Christ se présente en deux volets : « Heureux vous les pauvres… Malheureux vous les riches… Heureux vous qui avez faim… Malheureux vous qui êtes repus… Heureux vous qui pleurez… Malheureux vous qui riez ». D’un côté, ceux à qui le bonheur est promis, de l’autre, ceux sur lesquels Jésus s’apitoie. Pauvres de vous qui êtes repus ; un jour viendra où vous manquerez des biens essentiels, de ce qui rassasie vraiment pour toujours.
Mais heureux êtes-vous, vous qui, aujourd’hui, êtes pauvres. Dieu s’occupe de vous : vous êtes ses privilégiés ; son Royaume est pour vous. Heureux êtes-vous, vous qui êtes pauvres, vous qui n’êtes pas emprisonnés dans vos richesses, vous qui vous tournez vers Dieu et qui l’implorez avec confiance ; il viendra vers vous ; il vous enrichira de sa vie et de sa paix. Il est important de lire ces béatitudes en pensant aux petites gens qui sont devenues disciples du Christ. Beaucoup vivent une existence souvent difficile à supporter. Jésus les invite à ne pas perdre courage. Lui-même veille sur eux et un jour viendra où il les comblera. Ils seront rassasiés ; ils sauteront de joie. Comment le Christ aurait-il pu dire : « Heureux, vous les pauvres », s’il ne s’était pas compromis avec eux ! S’il n’était pas pauvre lui-même !
Mais cela pose question aux sceptiques que nous sommes. La joie durable serait-elle impossible à apprécier en ce monde ? Faut-il se réjouir d’être pauvre, de pleurer, d’être détesté, d’avoir faim ? Quelle triste perspective que cette vie sans joie ! Dieu serait-il cruel, lui qui après nous avoir donné la vie, nous laisserait croupir dans la vase de nos malheurs pendant qu’on le supplie, à longueur de prière, de nous donner ceci ou cela ? Adorons-nous un Dieu sadique qui ne réserverait le bonheur que pour un lointain « plus tard » ? Un Dieu que certains imaginent, du haut de sa toute-puissance, dans son Ciel merveilleux ; lui dont on croit qu’il ne saurait avoir faim, ne manquer de rien, ne pas connaître la peine ou les larmes, puisqu’il est adoré et aimé par des millions d’anges qu’il a créés pour le louer éternellement !
Avec les béatitudes, Jésus remet les choses au point. En son Fils, Dieu a éprouvé le cortège de nos souffrances, et dans l’ordre ! Il est né pauvre et sans abri ; sa vie a été menacée bien des fois ; il a eu faim ; il a pleuré avec ses amis ; il a été fait prisonnier et condamné injustement ; il a été torturé ; et il a été haï jusqu’à en mourir ! Mais il a été délivré du mal. En marchant à sa suite, avec la même espérance et dans la foi, il en sera de même pour tous. Non pas une joie accommodante pour tenir, vaille que vaille, avant la prochaine épreuve de la vie, mais le bonheur de la consolation définitive, que seul Dieu peut apporter, cette plénitude que lui seul peut délivrer : la force de vivre qu’il promet à ceux qui apprennent à le découvrir.
Ce bonheur dont Jésus nous parle est pour aujourd’hui. Le Royaume de Dieu qu’il promet, il est déjà venu l’instaurer. Il a donné des signes de sa présence en consolant, en guérissant et en libérant ceux qui étaient accablés par le malheur. Et il a invité ses disciples à faire de même. C’est important de le savoir car la réalisation des béatitudes n’est pas de la seule responsabilité de Dieu et du Christ ; elle est aussi la nôtre. Nous avons tous la responsabilité de veiller sur les pauvres qui sont nos voisins mais aussi sur tous ceux du monde entier. Quand un homme ou un enfant meurt de faim, nous sommes tous responsables que la nourriture ne soit pas arrivée jusqu’à lui.
Jésus enseigne que deux voies s’offrent à nous : celle qui conduit au bonheur et celle qui conduit au malheur. Ce choix implique de renoncer au bonheur immédiat, constitué par la satisfaction des besoins humains que sont le désir de richesse, de satiété, de frivolité, de notoriété. Rien ne semble manquer à l’homme qui s’en satisfait. La vie terrestre possède sa propre finalité et nulle attente ne vient en dépassement de soi. La vie est close sur elle-même et dans cette perspective, le point final est la mort elle-même. En d’autres termes, le risque est de mettre sa foi dans ce qui est mortel.
La voie exigeante de la confiance et de l’espérance demande de consentir à la faim, aux larmes et à l’exclusion, non comme une finalité mais comme le point de passage d’un dépassement. Il ne s’agit pas bien sûr de justifier des maux et des souffrances mais de consentir à la condition humaine dans la confiance. La confiance est une bénédiction de Dieu. Elle permet de traverser les épreuves de toute vie humaine. Ainsi nous ne mettons pas « notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement » (1 Co 15,19). Quand nous traversons des temps incertains, troublés par la maladie, le chômage et d’autres choses encore, Dieu nous appelle à la confiance et nous bénit dès cette vie. Souvenez-vous des paroles de Job : « Je suis sorti tout nu du ventre de ma mère, je retournerai nu au ventre de la terre. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Il faut continuer de remercier le Seigneur » (Jb 1,20-21).
Il nous appartient de rendre crédible cet Évangile des béatitudes. Quand nous croisons un mendiant en ville, nous pensons sans doute à la petite pièce qu’il attend. Mais ce qui est bien plus important, c’est la manière dont nous le regardons. Il a surtout besoin d’être reconnu dans sa dignité. Ce regard que nous portons sur lui doit dire quelque chose de celui du Christ, un regard plein d’amour. À travers lui, c’est Jésus lui-même qui est là. Tout ce que nous aurons fait au plus petit d’entre les siens, c’est à lui que nous l’aurons fait (Mt 25,40).
Nous sommes invités à accueillir ces textes bibliques d’aujourd’hui comme un appel à la conversion, un appel à mettre toute notre vie en accord avec l’Évangile des béatitudes. C’est à l’amour et à la miséricorde que nous serons reconnus comme disciples du Christ. Supplions-le qu’il nous donne force et courage pour rester fidèles au témoignage qu’il attend de nous, puisqu’Il nous a choisis pour être ses disciples.