C 02 JEAN 02,01-11 (13)

Chimay : 16.01.2022

Frères et sœurs, en ce dimanche, nous sortons du temps des fêtes et nous entrons dans la période dite du temps ordinaire. Ce n’est pas une période moins importante, bien au contraire : c’est un temps pour accueillir le Seigneur qui n’en finit pas de nous partager sa joie. Tout au long de cette période, nous serons invités à marcher à la suite du Christ. Quelle que soit notre situation, nous pouvons toujours compter sur lui. Il est « le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va au Père sans passer par lui » (Jn 14,6). Si on lui demande, il vient.

La Parole de Dieu de ce jour nous montre vers quel but nous avançons : elle nous dit que nous sommes tous invités à un repas de noces ; ce sont les noces de Dieu qui fait alliance avec l’humanité (Mt 22,1-14). Notre Dieu vient apporter la joie aux délaissés : ils ont la première place dans son cœur ; c’est ce message d’espérance que nous découvrons dans le texte d’Isaïe (62,1-5) : après 50 ans d’exil à Babylone, la communauté juive est réduite à une poignée de rescapés ; le moral est bien bas. Mais le prophète les rassure : c’est vraiment par amour qu’il fait alliance avec eux. Cette bonne nouvelle doit remplir leur cœur de joie. « Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu » (Is 62,5), avons-nous entendu.

Nous pouvons nous reconnaître dans cette situation des exilés. Beaucoup sont inquiets pour l’Église. Tous ces contre-témoignages, ces divisions récentes entre chrétiens pour ou contre la messe en latin ont de quoi nous inquiéter. Mais le prophète nous fait comprendre que le mal n’aura pas le dernier mot. C’est l’amour qui triomphera. C’est de cela que nous avons à témoigner auprès de tous les délaissés de la société. Ils ont besoin d’entendre ces mots de tendresse.

Dans sa lettre aux Corinthiens (1 Co 12,4-11), saint Paul nous dit que Dieu nous comble de son amour. Mais il précise que ses dons sont variés. Ceux qui en ont bénéficié ne doivent pas en tirer orgueil. Ces dons de l’Esprit sont partagés à chacun pour le bien de tous. Quel que soit le charisme des uns et des autres, c’est toujours Dieu qui agit pour le bien de tous, pour l’unité de la communauté dans la diversité de ses expressions.

Cette manifestation de l’amour de Dieu, nous la retrouvons dans l’Évangile. Au cours d’une noce nous découvrons « le commencement des signes que Jésus accomplit » (Jn 2,11). Le mariage est la célébration de l’alliance entre un homme et une femme qui s’aiment et qui ont décidé de se donner l’un à l’autre. Cet événement nous parle de l’amour passionné de Dieu qui veut faire alliance avec tous les hommes de tous les temps et de tous les pays. Le Christ se présente comme l’époux qui veut épouser l’humanité pécheresse. Il veut la rétablir dans sa dignité en la réconciliant avec Dieu. Voilà une bonne nouvelle qui concerne tous les hommes, juifs et païens.

Jésus, Marie sa mère, et ses disciples sont invités à un joyeux repas, non loin de chez lui. Probablement le repas qui conclut une noce galiléenne de gens simples et peu argentés. Dans le judaïsme ancien, les festivités de l’alliance entre les époux, mais aussi entre leurs familles, durent plusieurs jours et on comprend que le vin peut manquer, si on n’a pas de quoi acheter suffisamment de vin. Mais la suite de l’histoire nous demande de dépasser le récit d’un banal repas de mariage.

À Cana, la fête a failli être gâchée ; Marie s’en est aperçue et elle le dit à Jésus. « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2,3). Ce vin qui manque en évoque d’autres, bien plus graves. Marie voit tout cela, et elle le dit à Jésus : « Ils n’ont plus d’amour : ils se font la guerre ; ils n’ont plus de joie : ils se méprisent ; ils n’ont plus de paix : ils se rongent d’inquiétude ; tous ces gens victimes de la haine, de la violence et de l’indifférence, ce n’est plus possible. Ils sont nombreux ceux et celles qui vivent des situations douloureuses partout dans le monde ».

Grâce à Marie, Jésus prend progressivement la mesure de sa vocation par une mère qui croit en lui. Le rôle joué par Marie dans le récit des noces de Cana est surprenant. C’est elle qui constate à voix haute que le vin manque et qui le signale à son fils. Elle énonce des faits, sans formuler de demande précise, sans rien exiger de lui. Jésus semble pourtant comprendre que Marie attend quelque chose de lui et réagit. « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue » (Jn 2,4). Marie prend alors une autre initiative. Elle s’adresse aux serviteurs en leur demandant d’obéir à ce que Jésus pourrait leur demander. La relation de Marie à Jésus peut étonner tant elle se construit autour de constats concrets, de silences implicites et d’une solide confiance. Il y a visiblement entre la mère et son fils des non-dits qui nous échappent, comme si les deux continuaient une conversation déjà commencée. Marie avance sur un chemin de crête. Elle sait que son fils doit grandir, doit oser devenir celui qu’il peut être. Délicatement, elle l’invite à être présent au monde, même modeste.

La relation entre Marie et Jésus est rarement décrite. Ici, l’évangile de Jean ouvre une fenêtre sur ce qu’a pu être leur relation privée, intime et laisse entrevoir l’influence que Marie a pu avoir sur Jésus. Marie est dépeinte comme une femme d’action qui sait ce qu’elle veut. On la voit préoccupée par ce qui embarrasse ses voisins. Elle ne conseille pas à Jésus de s’éloigner de la fête et des plaisirs de la table. Elle ne le pousse pas à haïr le monde et ce qui s’y vit. Bien au contraire. Marie, avec douceur, demande à Jésus de se rendre présent et d’être là, au cœur de ce qui peut gâcher la fête. Faisant cela, elle contribue à son éducation spirituelle. Marie est un exemple toujours pertinent aujourd’hui. Elle nous rappelle que l’action spirituelle n’est pas dans un à côté du monde, mais dans le concret de ce qui s’y révèle. En annonçant le Royaume aux pauvres, Jésus ne dira pas autre chose.

Marie voit tout cela et elle nous renvoie à Jésus : « Faites tout ce qu’il vous dira… » (Jn 2,5). Elle nous invite à lui faire confiance, à devenir ses disciples et à s’en remettre à lui. Dans ce signe de l’eau changée en vin, il ne faut pas voir que le côté merveilleux : ce signe nous renvoie à l’alliance entre Dieu et nous. L’Évangile nous parle de six jarres d’environ cent litres de vin chacune, et du bon s’il faut en croire le maître de noce ! C’est que Dieu voit grand ; il ne compte pas. Cette abondance de vin signifie la profusion de la grâce. C’est un don généreux, débordant et inépuisable. C’est cela l’amour de Dieu. En donnant du très bon vin à boire à profusion, Jésus est identifié au messie attendu : il est l’envoyé du Père par lequel les hommes connaîtront la joie définitive. Au moment de sa passion, lors du repas pascal, Jésus fera de la coupe de vin partagée, le sacrement de son sang versé pour le Salut du monde, « pour la multitude ».

En ce dimanche, prenons le temps d’entendre l’appel de Marie qui nous est sans cesse renouvelé. Elle nous renvoie au Christ qui n’est ni sévère ni compliqué. Au contraire, sans s’imposer, il garantit la joie de l’humanité. Il donne encore du vin à ceux qui en sont déjà pleins et peut-être ivres ! De plus, il écoute la prière que lui adresse sa mère, la première des croyantes. Elle intercède pour nous et pour l’humanité toute entière. Toutes ces souffrances qui accablent tant d’hommes, de femmes et d’enfants, elle nous invite à les voir. Avec elle, nous apprenons à nous en remettre à Celui qui est venu épouser notre humanité et la féconder de sa vie divine. La bonne nouvelle de ce dimanche, c’est que le Christ a le pouvoir de tout changer en nous. Le vin qui coule à flots représente la vie nouvelle, qui jaillit du cœur de Jésus, qui déborde du cœur du Père, qui pénètre le nôtre.