SAINT BENOÎT MATTHIEU 19,27-29 (5) Chimay : 11.07.2021

Frères et sœurs, « Ce dont nous avons surtout besoin en ce moment de l’histoire, ce sont d’hommes qui, à travers une foi éclairée et vécue, rendent Dieu crédible en ce monde... Ainsi Benoît de Nursie, comme Abraham, est-il devenu le père de nombreux peuples ». Lorsque le 1er avril 2005, à Subiaco, le cardinal Joseph Ratzinger terminait par ces mots sa conférence sur “L’Europe dans la crise des cultures”, personne ne pouvait imaginer ce qui était sur le point de se passer. Le lendemain mourait le pape Jean-Paul ii et au bout de quelques jours, le cardinal Ratzinger était élu évêque de Rome et prenait le nom de Benoît.

 

Par ce nom, le Pape se reliait à son prédécesseur Benoît xv, et, de manière toute particulière, à saint Benoît, législateur du monachisme occidental et saint patron de l’Europe. La dévotion personnelle et le partage de la profonde spiritualité exprimée par la citation répétée de la Règle – « Ne rien préférer à l’amour du Christ » (Rb 4,21) – lient le Saint Père au saint de Nursie. Tout cela a fait naître chez beaucoup de gens le désir de connaître un peu mieux la personnalité et l’œuvre de saint Benoît, personnalité aussi glorifiée que peu fréquentée à cause de l’apparente distance qui la sépare de la vie commune et de son éloignement dans le temps par rapport à nous. Nous savons de saint Benoît ce que nous en dit le pape Grégoire le Grand (590-604) dans le Deuxième livre des Dialogues, et nous ne possédons de lui qu’un seul écrit autographe, la Règle des moines.

Saint Benoît est né à Nursie autour de 480. Après une période d’études à Rome, il s’est retiré à Subiaco où il a vécu environ trois ans en ermite dans une grotte auprès du monastère du moine Romain. En 500 environ, il a commencé à réunir des disciples en fondant treize monastères de douze moines chacun, réunis autour d’un abbé, sur le modèle des apôtres. Différentes vicissitudes, unies à une nouvelle vision de la vie monastique, qu’il concevait comme une unique famille autour d’un seul abbé, l’amèneront à quitter Subiaco en 529 et à se diriger vers le Mont-Cassin où il fondera cette “Cité sur le mont” dont toute la tradition monastique est fière. C’est là que, le 21 mars 547, il est mort debout, pendant qu’il priait, soutenu par deux disciples. Aujourd’hui, saint Benoît est connu comme le saint patron de l’Europe.

Le but de l’institution conçue par saint Benoît était de favoriser la recherche de Dieu comme unique but de la vie. “Chercher Dieu”, tel est l’idéal que saint Benoît propose au frère qui demande à entrer au monastère ; et pour favoriser cette recherche, il organise la communauté autour de la lecture méditative des Saintes Écritures, de la prière, du travail manuel et de cet ensemble d’activités qui permettent la vie pratique et le développement des relations de charité fraternelle.

Aux nouveaux peuples, le plus souvent nomades, habitués à vivre sous le ciel avec, à l’horizon, une terre à parcourir avec leurs flèches et leurs chevaux, les monastères offraient l’exemple d’une vie communautaire dans laquelle les différentes occupations – la prière, l’étude, le travail, la réfection, la discussion, le repos, etc. – avaient lieu dans des temps fixés et dans des lieux prescrits. On ne pourra jamais évaluer à fond la force civilisatrice et éducatrice de cette régularité dans le travail qui se diffusera partout à partir des monastères, au rythme du tintement sévère de la cloche qui appelle aux différentes occupations : « Parce que l’oisiveté est l’ennemie de l’âme », dira saint Benoît.

Enfin, comment ne pas rappeler la nouvelle dignité que la Règle donne au travail manuel ? Nous savons que dans l’antiquité, seules les activités intellectuelles et celles qui concernent le gouvernement – et, auprès des nouveaux peuples, les activités guerrières – étaient jugées dignes d’un homme libre. Face à cette mentalité, les monastères, souvent peuplés de moines issus de l’ancienne aristocratie ou de la nouvelle noblesse, offraient le témoignage d’un travail manuel assumé comme discipline et comme instrument d’adaptation de la réalité environnante aux exigences de la communauté, selon le principe : « Que chacun vive de son propre travail ».

Ces quelques aperçus permettent de comprendre à quel point le développement de l’Europe est lié de manière indissoluble à la force rayonnante et structurante de l’intuition spirituelle de saint Benoît. Il y a là une concrétisation convaincante de la foi évangélique qui devient presque naturellement culture et levain de choix sociaux qui, si je peux me permettre cette expression un peu hardie, laisseront entrevoir du xie au xiie siècle – l’époque de Cluny et de Cîteaux – le rêve réalisé d’une Europe civilisée et unifiée au nom du Christ.

Pour conclure, je voudrais revenir à cette expression : « Ne rien préférer à l’amour du Christ ». Comme on l’a déjà dit, cette phrase, mais je préfèrerais dire ce programme de vie, se trouve dans la Règle de Saint Benoît, elle-même tirée du célèbre commentaire du Pater noster de saint Cyprien, évêque de Carthage et martyr. Elle fonde la spiritualité des martyrs avec celle des moines. Je crois que notre temps est l’un des plus sensibles à la fascination de ce message. La recherche de la simplicité volontaire en est un exemple. Combien de gens ont été déçus après avoir découvert que les objectifs qu’ils s’étaient fixés sont bien vite devenus périmés en amour, en amitié, en biens matériels, en exploits de toutes sortes ! Quand le pape Jean-Paul ii appelait chacun à rechercher et à vivre une haute sainteté, il invitait à parcourir les sentiers de la vérité et du courage, justement comme les moines et les martyrs.

« Et celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple » (Mt 19,29). Si tu veux bien m’avoir comme ton unique trésor, si tu veux bien t’unir à moi et ne vivre que pour moi, en « ne mettant rien avant l’amour du Christ » comme disait saint Benoît, alors, mon Père qui t’aime d’un amour infini te dira : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15,31).

Bien sûr, le disciple de Jésus n’est pas condamné à vivre dans la misère en ce monde. La grâce de Dieu pourvoit à ses besoins réels et même au surplus. Mais ce n’est pas cela qui doit motiver le disciple. Le véritable héritage du chrétien est le cœur de Dieu. Ce trésor est infiniment plus important que toutes les richesses de la terre. Mais pour le découvrir, il faut en faire l’expérience.

Comme les moines de tous les temps, nous devons nous aussi rechercher la vérité avec confiance et ténacité, sans craindre la fatigue et sans avoir peur de parcourir dans toute leur complexité les sentiers de la culture moderne, imitant ainsi les communautés monastiques médiévales qui, proches des villes ou perdues au milieu des forêts, placées dans des contextes chrétiens ou éparpillées dans des landes païennes hostiles ou indifférentes, maintenaient leur “pas”, fait de prière, d’étude, de travail et d’amour dans l’attente du retour du Christ.