B 06 MARC 01, 40-45 (10) Chimay : 11.02.2024

Frères et sœurs, pour comprendre la première lecture, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Le livre des Lévites régulait la vie sociale et religieuse du peuple d’Israël. Mais le nécessaire isolement sanitaire des lépreux, alors inguérissables, pouvait mener à leur exclusion de la vie religieuse et à leur rejet, comme pour les pécheurs. Jusqu’aux débuts de l’ère chrétienne, la lèpre était considérée comme un signe du péché que Dieu punissait ainsi. Celui qui était contaminé par cette maladie devait donc adopter une attitude pénitentielle, vêtements déchirés, cheveux en désordre, éloignement de la foule. Il était tenu à l’écart car la lèpre le rendait impur et l’excluait totalement.

Au temps de Moïse comme au temps de Jésus, il ne faisait pas bon être atteint de la lèpre. Avant les progrès de la science, ces malheureux boucs émissaires subissaient une triple peine : défigurés par un mal cruel, maudits par Dieu, bannis de la société, ils étaient tenus de survivre loin de tout pour éviter la contagion. Par ailleurs, nous chrétiens, nous savons bien que l’image de Dieu en nous est abimée par le péché. Il provoque une défiguration bien plus grave que celle de la lèpre. Notre complicité avec le péché est pire que la contagion de cette maladie. Il se propage bien plus vite.

Mais avec Jésus, le mal n’a pas le dernier mot. Jésus ne craint pas de devenir impur. Il ne refuse pas la Loi mais manifeste avec autorité que la miséricorde de Dieu est première et touche tout lépreux, en particulier celui qui est convaincu de péché – ce qu’imitera François d’Assise presque 12 siècles plus tard – Jésus devient ainsi lui-même impur au regard des règles religieuses de son époque.

Il est étonnant de voir l’audace du lépreux. Transgressant l’interdit, il s’approche de Jésus et le supplie : « Si tu le veux, tu peux me purifier » (Mc 1,40). À travers cette prière, il confesse deux choses : son impureté et la puissance du Seigneur. Et il en implore une troisième : la purification ou la guérison. Il savait bien que tout contact avec lui rendait impur. Et pourtant, il n’hésite pas à s’approcher de Jésus. Mais aujourd’hui, la situation est inversée : avec Jésus, c’est la pureté qui devient contagieuse et non la lèpre. C’est le bien qui l’emporte sur le mal et non le contraire. Avec Jésus, la lumière l’emporte sur les ténèbres.

Submergé de compassion, Jésus n’écoute que son cœur et touche le malheureux. Il aurait pu guérir le lépreux par sa seule parole, mais en le touchant il prend sur lui son exclusion. Aussitôt la lèpre quitte l’homme mais passe en Jésus. Quelqu’un qui touche un lépreux sera vu à son tour comme lépreux, Jésus le sait et il ne veut pas qu’on le sache. « Ne dis rien à personne ! » (Mc 1,43), implore-t-il à son tour, avant de renvoyer l’homme guéri vers les prêtres. Eux seuls pourront le réintégrer dans la vie sociale. Mais l’ancien lépreux désobéit et proclame partout ce qui lui est arrivé ce qui contraint Jésus à s’éloigner des villes. « Il restait à l’écart, dans des endroits déserts » (Mc 1,45). Comme un lépreux. Comprenons bien : l’humanité de Jésus est porteuse de vie divine. Elle est instrument de salut. Sa sainteté agit dans toute la race humaine. En touchant le lépreux, Jésus conserve sa chair saine tout en entrant en contact avec la chair pourrie de l’excommunié. Toutefois Jésus ne veut pas être considéré comme un thaumaturge, ses miracles sont avant tout des signes qui renvoient à l’amour de Dieu.

Mais voilà, notre lépreux est contaminé par la vie, la santé et la sainteté de Dieu. La contagion est inversée. Elle a joué dans le sens contraire que l’on connaît habituellement. C’est la santé qui met en péril la maladie, la vie qui contamine la mort. L’amour l’emporte sur la haine. Voilà une bonne nouvelle pour nous aujourd’hui. Comme ce lépreux, nous pouvons nous approcher de Jésus et le supplier : « Seigneur, prends pitié ! » Et il sera toujours là pour nous dire : « Je le veux, sois purifié » (Mc 1,41). 

L’homme a donc été purifié. Sa lèpre a disparu. Il ne sera plus un exclu. Son être profond est réorienté et réhabilité. Il ne lui reste plus qu’à rencontrer le prêtre pour être réintégré dans sa communauté. Le grand message de cet Évangile c’est un appel à nous laisser toucher par cet amour infini du Christ. Devant lui, nous pouvons nous reconnaître défigurés par le péché. Mais Jésus ne se lasse jamais de nous accueillir et de nous pardonner. Son amour pour nous dépasse infiniment tout ce que nous pouvons imaginer.

En lisant cet Évangile, nous comprenons que Jésus a pris la place du lépreux. Il prend notre place mais pas notre lèpre. Au jour de sa Passion, il prendra la place de Barabbas. Désormais, c’est lui qui se trouve dans l’univers des lépreux, dans les lieux déserts. Un jour, il sera rejeté de tous ; on le conduira hors de la ville et on le fera mourir sur une croix. Mais son amour est bien plus fort que la mort et le péché. C’est cette victoire que nous célébrons le jour de Pâques.

Ce que Jésus a fait autrefois en terre de Palestine, il le continue aujourd’hui. Il nous rejoint dans toutes les lèpres et les bouleversements de notre vie et de notre monde, les lèpres corporelles, les maladies, les cancers, le sida, l’alcoolisme, la drogue. Il nous rejoint aussi dans toutes les lèpres psychologiques et morales et surtout celle du péché qui nous ronge et nous enferme sur nous-mêmes. Quelle que soit notre situation, l’Évangile de ce dimanche nous apprend à nous tourner vers le Seigneur. Lui seul connaît vraiment notre détresse et peut nous sauver.

Saint Paul a passé une partie de sa vie à persécuter les chrétiens. Mais il s’est laissé toucher par Jésus sur le chemin de Damas. Il s’est par la suite efforcé de l’imiter. Être uni au Christ n’est pas réservé au temps de la prière mais rayonne dans tous les instants de notre vie. Le Christ est le chemin du salut, et son imitation, la façon la plus sûre de le suivre. Grâce à saint Paul, la bonne nouvelle a été annoncée à tous ceux qui étaient loin de Dieu. Les païens ont été introduits dans la communauté au même titre que les autres. Comme Paul et bien d’autres après lui, nous avons constamment à orienter notre vie vers le Christ. Le Carême nous donne l’occasion de nous mettre en chemin et de tomber à genoux. Nous pouvons faire nôtre cette prière : « Si tu le veux, tu peux me purifier » (Mc 1,40).

Par son évangile, saint Marc prophétise à l’avance l’admirable échange de Pâques. Jésus ne nous sauve pas de loin, il choisit de prendre sur lui notre mal. Morts, nous voilà vivants, lui sera tué, banni comme un maudit. Mais le troisième jour, Dieu ressuscitera son Fils et bientôt, « tous regarderont vers celui qu’ils auront crucifié » (Jn 19,37). « De partout, on viendra à lui ! » (Mc 1,45), conclut saint Marc.