B 21 JEAN 06,60-69 (10)

Scourmont : 22.08.2021

 

         « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,58). Frères et sœurs, ces paroles de saint Pierre, nous sommes invités à les faire nôtres, sinon nous ne serions pas ici aujourd’hui. Comme Pierre et comme le peuple d’Israël au temps de Josué, nous nous retrouvons face aux mêmes questions : « Qui voulez-vous servir ? Les dieux païens ou le Seigneur ? » (Jos 24,15). Et dans l’Évangile : « Voulez-vous partir vous aussi ? » (Jn 6,67).

 

Ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que notre Dieu est un Dieu sauveur : il a libéré son peuple de l’esclavage d’Égypte. Et son grand projet, c’est de le libérer totalement. Il est un Dieu passionné d’amour pour l’humanité entière. Il fait sans cesse les premiers pas vers nous. Les gens qui étaient rassemblés autour de Josué avaient bien compris que l’abandonner serait pire que tout. « Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur pour servir d’autres dieux ! » (Jos 24,16). Un seul Dieu s’est montré maître de l’histoire, un seul a conduit vers la liberté et a protégé les siens par sa puissance. Lui seul est Dieu. Et pourtant, les générations suivantes ont fini par se détourner de lui. Elles se sont tournées vers les dieux païens. Et c’est encore ce qui se passe dans notre monde actuel.

La lettre de saint Paul (Ep 5,21-32) nous adresse un appel de la plus haute importance. Quand l’apôtre Paul nous dit : « Soyez soumis les uns aux autres » (Ep 5,21), ça ne veut pas dire : « Obéissez comme des esclaves » ; mais : « Soyez un soutien les uns pour les autres ». Paul demande qu’à l’intérieur de la communauté chrétienne chacun tienne sa place en se référant à Jésus. Abordant la vie conjugale, il ne peut réclamer la soumission aveugle de la femme à son mari, ni prétendre que le mari tienne la place du Christ pour sa femme : mari et femme sont tous deux soumis au Christ et soumis l’un à l’autre, comme chaque chrétien l’est à ses frères et sœurs…

Cette qualité de relation prend sa source dans la manière dont Jésus est allé jusqu’au don total pour ses frères et sœurs en humanité, jusqu’à s’agenouiller pour leur laver les pieds. L’étroite union entre le Christ et son Eglise est un mystère d’amour dont Paul invite les époux chrétiens à s’inspirer. C’est auprès de lui que les couples trouveront la force d’aimer, comme lui et avec lui. Cela ne sera possible que s’ils choisissent de le suivre et de s’attacher à ses paroles.

Paul présente l’Église comme « l’épouse du Christ ». Beaucoup se disent déçus par elle et finissent par la quitter avec fracas ou sur la pointe des pieds. Quitter l’Église, c’est quitter le Christ. Notre monde a besoin de vrais témoins de l’amour qui est en Dieu. En voyant des chrétiens unis et généreux, les gens pourront dire : « C’est ça l’Église ». Ou encore : « Voyez comme ils s’aiment », disaient les païens du second siècle, en parlant des chrétiens. Ils étaient étonnés de rencontrer des hommes et des femmes qui vivaient l’entraide, le partage, dans une vraie fraternité et prenaient soin des orphelins, des pauvres et des prisonniers.

L’Évangile vient nous rappeler que notre seule référence, c’est le Christ. Tout au long de ces dernières semaines, nous avons écouté le discours de Jésus sur le Pain de Vie, sauf dimanche dernier, fête de l’Assomption. Mais beaucoup de ceux qui le suivaient l’ont abandonné. Nous l’avons entendu : « Le pain que je donnerai c’est ma chair livrée pour que le monde ait la vie… qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle » (Jn 6,50-51). Cela, des gens ne l’ont pas accepté. Que Jésus leur parle de manger sa chair et de boire son sang était intolérable.

Chaque dimanche, nous nous rassemblons en église pour célébrer ce don de Dieu et rendre grâce. Comme Pierre, aux jours d’épreuve et d’abandon, nous pouvons dire : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la Vie éternelle » (Jn 6,58). Nous faisons confiance aux paroles de Jésus qui a dit : « Ceci est mon Corps livré pour vous » (Lc 22,19). Nous lui faisons confiance parce qu’il est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Ce mystère dépasse notre raison mais il n’est pas absurde. L’intelligence humaine laissée à elle-même ne peut comprendre, Dieu seul peut attirer les disciples vers son Fils et les instruire – « Nul ne peut venir à moi si mon Père ne l’attire » (Jn 6,44). Or, que faut-il donc pour croire ? Il faut comme Pierre s’être donné totalement à Jésus pour se laisser enseigner par lui, « le pain de vie et la parole de vie ».

Cet évangile accomplit la prophétie du vieillard Syméon : « Ton fils sera un signe de division » (Lc 2,34). Cette division n’est pas sans rejoindre notre inquiétude devant les tribulations de l’Église. Par exemple, ne serait-ce pas le Père qui divise, en donnant aux uns de croire et, semble-t-il, ne le permettant pas aux autres ? Sûrement pas, « car Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4). Ne craignons pas que Dieu soit injuste : il proposera à tous de venir à son Fils, chacun en son temps, d’une manière que lui seul connaît. Ne nous formalisons pas non plus du refus violent que l’annonce de la foi peut susciter. C’est vrai, la Parole est rude ! Qui sait si, un jour, la brebis égarée ne se retournera pas vers son Sauveur ? Souvenez-vous de la parabole du fils perdu et retrouvé : l’enfant prodigue (Lc 15,11-31).

Réjouissons-nous plutôt d’avoir choisi de suivre le Christ. Certes, notre foi n’est pas ménagée en ces temps difficiles, mais les liens qui nous unissent au Christ sont plus forts que tout. Les paroles de Pierre évoquent le même émerveillement que celui du prophète Jérémie, pourtant confronté à de violentes difficultés : « Seigneur, tu m’as si bien séduit que je me suis laissé séduire » (Jr 20,7). Pourquoi l’avons-nous suivi et ne nous sommes-nous pas détournés comme les autres ? C’est un mystère, le mystère de la foi, « c’est l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux » (Ps 117,23) !

La foi soutient et prolonge notre intelligence sans la nier. Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique. Ce dernier a été « livré aux mains des hommes » (Lc 9,44). À Noël, c’était le corps fragile d’un petit bébé livré aux soins de Marie et de Joseph. Au cours de la Passion, le Vendredi Saint, c’est le corps blessé d’un condamné, livré à la cruauté des hommes pécheurs.

Aujourd’hui, c’est dans l’hostie consacrée que Jésus continue à se livrer pour nous. Il se donne à nous comme notre serviteur et notre nourriture par amour pour nous et pour le monde. Il aime chacun d’un amour qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Il attend de nous que nous nous laissions bouleverser par lui, que nous lui rendions « amour pour amour »[1]. Mais Dieu ne s’impose pas. Il attend de nous un accueil libre et personnel.

C’est de cela que nous avons à témoigner dans le monde. Quand le prêtre dit à l’assemblée : « Allez dans la Paix du Christ », il signifie que le temps de la mission est arrivé. Les chrétiens sont envoyés en mission pour témoigner de la Bonne Nouvelle du Salut offert à tous, pour témoigner de l’amour de Dieu pour tous.

 

[1] Joël Guibert, Rendre amour pour amour : une spiritualité du cœur de Jésus, Téqui, 2015, 292 p. Résumé : A travers l'étude de textes spirituels du xxe siècle, le prêtre revient sur le message que Jésus a adressé à sainte Marguerite-Marie Alacoque. Il soutient le caractère crucial du culte du Sacré Cœur dans le maintien de la foi avant d’expliquer le message d’amour du Christ et d’inviter les croyants à l’imiter.