26e dimanche C

(Lc 16, 19-31)

Septembre 2025

 Homélie

Frères et sœurs, il y a une dizaine d’années, un article du journal Le Monde tentait de nous sensibiliser, et même de nous alerter, quant à la situation des migrants, celles et ceux qui quittent leur pays, leurs racines pour des raisons sociales ou politiques, et il le faisait à partir de la question du dérèglement climatique. Pour ce faire, donc, il décrivait un retournement de situation qui devait, qui devrait entraîner un changement de nos comportements, une conversion. En effet, le journaliste imaginait que l’Europe devienne une terre trop chaude, aride, désertique, et que, à l’inverse, la pluie tombant sur le Sahel, faisait de cette région une oasis prospère que des centaines de milliers d’européens cherchaient à rejoindre. Évidemment, comme c’est le cas chez nous aujourd’hui, il était très difficile d’obtenir un visa et, après avoir vécu un périlleux voyage, nombre de ces clandestins – et donc ici des Européens - étaient renvoyés chez eux.

Cet article voulait donc renverser les rôles, nous faire descendre de notre tour d’ivoire, nous rendre critique par rapport à nous-mêmes et nous sensibiliser davantage à ce que l’autre, les autres, vivent. Bref, il s’agissait de nous faire changer de regard et d’attitude ; il s’agissait, pour reprendre un mot biblique, de nous convertir. Et c’est exactement ce que Jésus tente de faire avec cette parabole du pauvre Lazare.

Jésus ne reproche pas au riche sa richesse, mais son indifférence, son isolement, son emprisonnement en lui-même. Ce riche ne méprise pas le pauvre ; il ne le voit pas, alors qu’il est à sa porte. Dans l’au-delà, il le verra enfin, mais, nous dit la parabole, « de loin ». Ce riche, finalement, est un pauvre homme, il n’a même pas de nom. Le sort qui l’attend n’est pas un châtiment, mais, paradoxalement, une continuité, un révélateur de ce qu’il vivait déjà, de ce qu’il était déjà. Un homme séparé des autres, isolé ; un homme qui, en ignorant le pauvre souffrant à sa porte, ignorait le Christ, se coupait de Dieu. Il aura certes cette parole en faveur de ses frères afin de les prévenir de ce qui les attend, eux aussi, mais là encore, il reste enfermé parmi les siens, dans son club, son entre-soi.

Ce riche, d’ailleurs, ne conteste pas son sort ; il demande simplement à être un peu soulagé. Lui qui n’a pas su desserrer les doigts de sa main pour donner au pauvre, demande que Lazare trempe juste le bout d’un doigt, ce Lazare dont le nom signifie : « Dieu vient à mon aide ». Mais dans le même temps, ce riche, toujours et encore prisonnier de lui-même, ne demande pas pardon, et ne vit donc toujours pas de conversion.

Est-ce à dire que Lazare, lui, était converti ? Nous ne le savons pas. Dans cet évangile, rien n’est dit de sa foi ni de sa conduite, mais il est un pauvre, un petit, un souffrant et là est en quelque sorte son titre de gloire. Il est à la place que Dieu a choisie pour nous rejoindre, celle sur laquelle il nous invite à nous pencher. Cette place, cette position qui attend l’autre ; qui dit le besoin de son aide ; le lien qui nous unit. C’est la place de la rencontre, celle de la solidarité, de la communauté, de la charité.

Alors, frères et sœurs, s’il est trop tard pour le riche de la parabole, il ne l’est pas encore pour nous. Cette conversion, c’est à nous de la vivre, et pour nous guider sur ce chemin, Dieu nous donne sa Parole. Invitation à « écouter Moïse et les prophètes », comme le dit Jésus aux pharisiens ; invitation à découvrir dans la Parole, la puissance de la résurrection, celle qui convertit et qui ouvre les yeux des aveugles, comme nous le chantions dans le psaume ; celle qui transforme et conforme à l’image de Dieu ; celle qui veut renverser en nous nos indifférences et nos égoïsmes pour nous unir les uns aux autres.

Dans cette perspective, la fin de la parabole évoquant un mort qui pourrait ressusciter, nous donne une lumière pour mieux comprendre les récits de Pâques, pour davantage découvrir la présence du Ressuscité dans notre vie. C’est par l’écoute de l’Ecriture, par une rencontre réelle entre elle et nous, où nous ne la laissons pas à notre porte, où nous ne nous contentons pas d’y tremper une fois, de temps à autre, le bout du doigt, mais où nous la prenons à pleines mains ; c’est par cette rencontre profonde que nous accédons au mystère de la résurrection. Les pharisiens n’ont pas cru à celle du Christ parce que, nous dit Jésus, ils n’ont pas écouté Moïse et les prophètes. Ce n’est donc pas tant l’apparition d’un mort – en l’occurrence celle de Jésus lui-même – qui a ouvert les yeux des disciples. Mais c’est l’Ecriture, la Parole vivante et vivifiante, celle qui nous est offerte une nouvelle fois aujourd’hui, celle qui nous ouvre la porte. Voilà, frères et sœurs, le festin auquel nous sommes invités, la table qu’il nous faut partager, l’espérance qui nous conduira tous ensemble à la vie éternelle.