31e dimanche ordinaire B

(Mc 12,28b-34)

                                                                                                          Octobre 2021

Frères et sœurs, nous pourrions applaudir à deux mains lorsque nous entendons cet évangile où l’amour est au centre et à la source de la vie ! Mais nous pourrions aussi nous prendre la tête entre les mains en nous lamentant que nous ne savons pas aimer, pas assez, mal aimer. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force », nous dit Jésus. Et comme si cela ne suffisait pas, il ajoute : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Alors oui, nous pourrions nous sentir écrasés par la grandeur de ce commandement, mais nous pouvons aussi, nous devons d’abord, nous découvrir appelés, poussés, mis en route, par cette parole de vie, par ce chemin qui s’ouvre devant nous. Car si ce chemin de l’amour nous est possible, et si, comme le dit saint Benoît, « à mesure que l’on [y] progresse […], le cœur se dilate, et l’on court dans la voie des commandements de Dieu » (RB. Prol. 49), c’est bien parce que ce chemin est relation, et donc parce que nous ne le faisons pas seuls.

 

Pas seuls, d’abord, parce que nous sommes tous dans le même bateau, la même barque dirait l’évangile. « Écoute, Israël », répond Jésus à la question du premier commandement. « Israël » : nous sommes un peuple, rassemblés en Eglise, pour recevoir d’aimer et pour aimer. C’est donc ensemble que nous cheminons, un ensemble où il ne peut y avoir ni premier ni dernier, mais où nous devons arriver tous ensemble à aimer.

Nous ne sommes pas seuls, non plus, bien sûr, parce qu’il y a Dieu et il y a le prochain.

Il y a Dieu, qui vient d’abord à nous par ce premier mot que Jésus prononce : « Ecoute ». Dieu nous demande d’écouter afin de découvrir la voie qu’il nous invite à prendre. Mais aussi, il nous demande d’écouter afin de pouvoir, à notre tour, prendre la parole et lui répondre, afin d’être de véritables partenaires. Lorsqu’il nous adresse la parole, il nous offre sa vie et la nôtre, son souffle, son Verbe, son amour. Et, comme le dit un moine, il « nous donne comme commandement ce qu’il est lui-même : l’amour » (F. David-Marc d’Hamonville). Pour aimer, il s’agit donc pour nous d’être uni à Dieu, de se laisser aimer par lui, et désirer lui faire de la place en nous, et peut-être même « toute » la place.

Mais voilà, il semble que Dieu ne peut prendre toute la place en nous que quand nous faisons de la place à l’autre. Si Dieu nous donne de parcourir ce chemin de l’amour, l’autre, le prochain, est le passage nécessaire et salutaire, celui qui va nous permettre d’y progresser. Le frère, la sœur, est celui, celle, qui, en de multiples occasions, nous donne la possibilité d’aimer et d’être aimés, d’apprendre à aimer, ou encore de reconnaître que nous n’avons pas aimé. Sans vouloir l’instrumentaliser, il est le test quotidien qui nous révèle où nous en sommes. L’aimer consistera notamment à ne pas vouloir ou à ne pas se croire prioritaires, enfermés dans notre tour d’ivoire de l’égocentrisme. Et évidemment, si c’est toujours d’abord moi avant les autres, cela signifie que c’est aussi d’abord moi avant Dieu. « Aimer son prochain comme soi-même » nous fera découvrir que c’est en aimant les autres que l’on se rend aimable, non pas tant aimable par eux que d’abord par nous-mêmes.

Tout ce que nous avons à vivre est donc dans ce commandement de l’amour, mais nous, où sommes-nous ? Car si, comme nous le redit Jésus, Dieu est unique, Un, nous, comme nous l’avons entendu, nous sommes complexes et compliqués, divisés et morcelés : cœur, âme, esprit, intelligence et force. Ces composantes de l’homme nous donnent l’impression que nous partons dans tous les sens, souvent de façon contradictoire où, comme dirait saint Paul, nous ne faisons pas le bien que nous voulons et nous faisons le mal que nous ne voulons pas. Pourtant, toutes ces composantes nous indiquent aussi toutes ces possibilités où nous pouvons poser des gestes d’amour. Et, comme le double commandement unifie toute la Loi, lui donne son sens, son assise, l’acte d’aimer unifiera toutes les dimensions de notre existence. C’est en aimant que nous nous unifions, que nous devenons à notre tour uniques. Et si Jésus utilise un futur – « tu aimeras » - c’est peut-être pour nous redire que ce chemin d’unification est celui qui s’ouvre devant nous, celui qui nous tend la main, celui que nous allons emprunter aujourd’hui et demain.

Aimer, la tâche est belle et la tâche est rude, difficile, mais elle est notre route, personnelle et communautaire, celle qui fait que nous ne sommes « pas loin du royaume de Dieu. » Et cette distance qui nous sépare encore, n’est pas tant entre nous et le royaume, qu’à l’intérieur de nous-mêmes, comme signe de ce que nous avons encore à parcourir entre ce que nous sommes aujourd’hui et ce que nous sommes appelés à devenir de toute éternité. Alors, je termine avec ces quelques mots d’un autre moine, mots qui disent toute l’intensité de la vie : « Épuise-toi, non à vouloir être parfait, mais à reprendre, chaque matin, le désir d’aimer. »