6e dimanche de Pâques A

« Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements » (Jn 14,15) ; « Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime » (21). Voilà ce que nous dit Jésus dans le premier et le dernier verset de l’évangile que nous venons d’entendre. Si nous cherchons dans l’ensemble de l’évangile de Jean quels sont ces commandements, ils se résument en un seul : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (15,12). C’est en vivant ce commandement que nous manifesterons notre amour pour Jésus, pour Dieu.

 

Or, à moins d’être aveugle, nous connaissons un bon nombre de nos résistances, voire même de nos refus à aimer, à aimer l’autre, certains autres, et finalement nous sommes souvent loin de l’amour que nous pensons avoir pour Dieu. Il est bon de voir cette faiblesse en nous, cette blessure, d’en ressentir la douleur, la médiocrité, le vulgaire dans son sens premier, c’est-à-dire l’ordinaire. Prendre le temps de découvrir que cet appel, et même cette exigence à aimer - que traduit encore plus clairement le terme de « commandement » - peut nous mettre dans un certain désarroi, abandonnés à nos simples forces, à nos trop petites forces, à notre égoïsme viscéral, nous laissant seuls, comme « orphelins » (18). C’est l’expérience que fera saint Pierre, quelques heures après ce discours, quand il reniera Jésus.

Mais voilà, Dieu, Le Verbe de Dieu, ne s’est pas incarné en un homme qui a partagé notre condition, il n’a pas manifesté ainsi son amour infini, pour nous mettre face à un défi irréalisable, pour nous montrer une étoile, un rêve, qui ne pourraient que nous plonger dans le désespoir et l’auto-condamnation. Non, Jésus, « le chemin, la vérité et la vie » comme nous l’entendions dimanche dernier, nous ouvre un espace pour vivre ce commandement, et même mieux, pour vivre de ce commandement : « Moi, je prierai le Père, (dit-il) et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité » (16-17). Garder les commandements de Dieu, vivre son amour pour lui et pour les autres, c’est possible et c’est même déjà, oserais-je dire, en marche, en réalisation, parce que l’Esprit nous est donné. Oui, frères et sœurs, avec Jésus, ce ne sont pas des tables de la Loi, des commandements gravés dans la pierre qui nous sont donnés, mais l’Esprit, un mouvement, une dynamique, un chemin accueilli dans notre chair, dans notre cœur, dans notre vie.

Aimer, pouvoir aimer, savoir aimer, ce n’est donc pas d’abord répondre à des critères, accomplir un certain nombre d’actes ou d’obligations, suivre un modèle clair, fixe, voire figé, mais entrer dans une relation, accueillir la vie de Dieu en nous, son Esprit, pour se voir ouvrir des possibilités nouvelles de compréhension et de compassion, de don et de pardon. Ainsi, ce commandement de l’amour, cette vie dans l’amour, ou en tous les cas vers l’amour, est comme cette vie dans l’Esprit : nous sommes sans cesse appelés à la désirer, à la vouloir ; à l’invoquer et à l’accueillir. Chaque jour est un nouveau jour ; chaque rencontre est nouvelle puisqu’elle peut nous permettre d’aller plus loin encore, ou de s’éloigner davantage…

Dans notre quotidien, lorsque nous nous tournons vers l’Esprit, c’est souvent pour lui demander de nous disposer à entendre ce que Dieu veut nous dire. Ainsi, aimer, c’est peut-être d’abord tout simplement écouter, être attentif, et donc se rendre disponible, être avec.

 

Peut-être qu’au terme de cette homélie, même si on y a dit que l’amour n’était pas une obligation à remplir, mais une dynamique à accueillir, à choisir et à re-choisir, peut-être donc nous dirons nous encore que cela nous semble trop difficile. Il faut alors rappeler que ce qui est premier pour Dieu, ce que son Esprit ne cesse de vouloir nous faire entendre, comprendre, vivre, ce n’est pas d’abord que nous devons aimer, mais que nous sommes aimés, et que nous sommes aimés quels que soient notre incapacité ou notre refus d’aimer. C’est cela qui doit dilater notre cœur.

« Je ne vous laisserai pas orphelins » (18) nous dit Jésus, lui le Fils, le frère, qui se pose ici comme un père, qui nous donne ce qui vient du Père : l’Esprit, l’Esprit d’amour. Et Jésus nous promet que cet Esprit « sera en (nous) » (17) comme, dit-il, « vous êtes en moi, et moi en vous » (20). Ainsi, le Fils veut s’incarner, veut vivre en chacun de nous ; et l’Esprit qui animait Jésus, qui le poussait sur les routes de Galilée à la rencontre des autres, veut là encore nous animer, nous faire aimer.

Le Christ est ressuscité des morts il y a 2000 ans ; c’est ce que nous croyons. Mais si nous voulons vivre de cette même vie, si aujourd’hui encore nous voulons rencontrer le Ressuscité, invoquons l’Esprit pour qu’il nous ouvre à l’amour : « Celui qui m’aime – celui qui aime – je me manifesterai à lui » (21).