22 septembre 2024 – 25ème dimanche "B"

Sg 2, 12...20; Jc 3, 16 – 4, 3; Mc 9, 30-37

H O M É L I E

           On raconte que l'empereur Napoléon, vers la fin de sa carrière, mais avant sa chute, après avoir exercé durant sa vie une bonne dose de "pouvoir", confiait à un de ses généraux: "Savez-vous ce qui me surprend le plus dans le monde? – C'est l'incapacité qu'a la force de créer quoi que ce soit. En fin de compte -- ajoutait-il -- l'épée est toujours vaincue par l'esprit."

           Avant lui et après lui, beaucoup ont fait la même expérience. Et cependant, il est surprenant de constater toute la fascination qu'exerce le pouvoir aussi bien sur ceux qui le possèdent que sur ceux qui ne le possèdent pas et même sur ceux qui en sont victimes.

           Les prophètes d'Israël semblent avoir été les premiers dans l'histoire de l'humanité à proclamer que le pouvoir n'est pas suprême, que l'épée est une abomination, que la violence est obscène. Mais il fallut plusieurs siècles pour que cette intuition fasse son chemin. Et la lecture que nous avons entendue du Livre de la Sagesse, écrit durant le deuxième siècle avant J.C., au moment où les Juifs rêvaient encore d'une restauration de leur pouvoir politique, nous donne un exemple des effets moraux d'une telle soif de pouvoir: "Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie... Soumettons-le à des outrages et a des tourments... Condamnons-le à une mort infâme..."

           Jacques, dans la deuxième lecture, nous met en garde contre le même danger et en explique la source: "D'où viennent les guerres, d'où viennent les conflits entre vous? N'est-ce pas justement de tous ces instincts qui mènent leur combat en vous-mêmes?" -- Les conflits entre les hommes proviennent toujours des conflits qui sont dans le coeur des individus, et finalement de la soif de pouvoir qui nous est en quelque sorte innée.

           Les Apôtres eux-mêmes n'y ont pas échappé. Nous en avons un exemple dans l'Évangile d'aujourd'hui. Au fur et à mesure que nous nous approchons de la fin de l'année liturgique, les Évangiles du dimanche nous font pressentir la proximité de la mort de Jésus. Dans le texte d'aujourd'hui nous trouvons la deuxième annonce de sa Passion. Et que font les disciples, immédiatement après cette annonce ? C'est incroyable, mais ils discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand, sans doute qui sera le premier ministre dans le nouveau royaume instauré par Jésus qui se proclamera bientôt le roi-messie d'Israël. Ils n'ont vraiment encore rien compris. Et le plus tragique est qu'ils feront encore la même chose après la troisième annonce par Jésus de sa Passion, à la veille même de sa mort. Il est si difficile de troquer ses rêves pour la réalité.

   Jésus en profite pour continuer la formation de ses disciples. Il leur donne l'exemple d'un petit enfant. Le propre de l'enfant est de ne pas être important et donc -- au moins jusqu'à ce que les premières blessures de la vie l'aient rendu craintif ou soupçonneux -- d'être totalement ouvert à tout ce qui lui est donné; de tout recevoir comme un don, sans avoir de droits à faire valoir ou à défendre. Il se situe au niveau de l'amour spontané et non au niveau du droit.

   C'est aussi le niveau auquel se situe le service, auquel Jésus exhorte ses disciples: "Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit... le serviteur de tous." La vie commune, que ce soit la vie d'un couple marié ou la vie d'une communauté monastique, est fondée sur le service mutuel: aide que nous nous apportons mutuellement dans la poursuite de notre recherche de Dieu et de notre conversion continuelle, mais qui doit s'exprimer à travers des services quotidiens de caractère matériel et très pratiques.

   En nous appelant à nous servir mutuellement, Jésus nous appelle à nous situer sur le plan de l'amour gratuit. Lorsque, dans la vie communautaire – ou la vie de couple -- on commence à réclamer ses droits, on choisit un plan autre que celui que Jésus a choisi. La communion se construit non par l'exercice du pouvoir mais à travers le service mutuel gratuit, signe de l'amour que Dieu a pour nous et qu'il nous appelle à avoir les uns pour les autres.

Armand VEILLEUX