20 avril 2024 - Samedi de la 3ème semaine de Pâques

Actes, 9:31-42; Jean, 6:60-69

H O M É L I E

          En ce Temps Pascal, les lectures de la Messe sont très riches. Durant les deux premières semaines, elles nous ont présenté surtout les apparitions de Jésus, et nous avons eu hier en quelque sorte la dernière de ces apparitions, celle à Paul.

          Au cours des jours qui viennent, les lectures des Actes vont nous décrire les premières étapes de l'établissement et de la configuration de l'Église primitive, tout d'abord à Jérusalem, puis dans toute la Judée, la Samarie et la Galilée, et enfin dans les nations païennes.

          Saint Luc est un excellent écrivain. Non seulement est-il le seul auteur du Nouveau Testament qui maîtrise bien le grec, mais il sait surtout organiser un récit, présentant dès le début tous les principaux personnages. Dans les chapitres des Actes que nous lisons ces jours-ci, il nous présente les deux piliers de l'Église, Pierre et Paul, montrant très clairement leurs missions distinctes, et l'aire géographique propre de la mission de chacun des deux.

          Il y a quelque chose de très mystérieux, et sans doute une double signification dans le premier verset de la lecture d'aujourd'hui: "L'Église jouit alors de la paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie." Cette mention de la paix est d'autant plus surprenante, que la persécution est mentionnée tout juste avant cela et le sera de nouveau peu après. Mais peut-être y a-t-il un autre sens -- un peu ironique -- à cette affirmation.

          Nous ne devons pas oublier que la division de l'Écriture en versets et chapitres est assez récente et que sa division en sections avec titres et sous-titres est encore plus récente. Dans tous les manuscrits de la Bible, le texte d'un livre va du début à la fin sans aucune division en paragraphes ou sections. Or, nous avons lu hier le récit de la conversion (ou plutôt de l'appel) de Paul; puis les Actes nous ont dit comment Paul commença à prêcher à Jérusalem et comment sa prédication suscita beaucoup d'opposition. Le texte dit alors :"Lorsque les croyants apprirent cela, ils l’amenèrent à Césarée, et de là ils l'expédièrent à Tarse". Puis le texte continue, sans aucune transition: "L'Église jouit alors de la paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie." Le sens est clair. La présence de Paul et son activité apostolique troublent la paix de Jérusalem et celle-ci -- une paix très superficielle et précaire, à vrai dire -- est rétablie après qu'on eût expédié Paul à Tarse, d'où il était venu... Il est merveilleux de voir comment les desseins de Dieu se réalisent à travers des interventions humaines, y compris à travers la peur et la faiblesse des hommes.

          Nous voyons comment Luc compose son livre des Actes (le deuxième Livre de son Évangile) d'une façon merveilleuse. Après avoir décrit les premiers moments de la vie de l'Église primitive à Jérusalem, il y fait venir Paul brièvement, puis le renvoie à Tarse, le laissant hors de l'action pour un certain temps. Nous savons que la plus grande partie des Actes sera consacrée à l'activité de Paul. Mais pour le moment Luc veut se concentrer sur Pierre et montrer comment celui-ci est clairement établi comme le successeur de Jésus; nous dirions aujourd'hui le vicaire de Jésus, en accomplissant les mêmes miracles que celui-ci. Nous devons cependant faire attention au type de miracles accomplis par Pierre. Il ne s'agit jamais de l'exercice d'une sorte de pouvoir magique dans le but de prouver quelque chose. Ce ne sont que des actes de miséricorde ou de pitié. Pierre, par exemple, voit un homme paralysé, cloué à son lit depuis huit ans et il lui dit simplement : "Jésus-Christ te guérit; lève-toi et marche". Pierre n'a pas l'impression de faire lui-même un miracle. Il dit et fait simplement ce que Jésus aurait dit et fait. Puis, on lui parle de Tabita, qui est morte et que tout le monde pleure. Eh bien! il lui dit simplement: "Tabita kum -- Lève-toi, Tabita"; ce qu'elle fait. Pierre est un homme de peu de paroles!

          Paul, au contraire, ne fera pas ce genre de miracles et sera un homme de nombreuses paroles -- et quelles paroles !

          Il est vraiment admirable de voir comment Dieu, qui semble s'être amusé à créer une grande variété d'êtres humains tous différents, prend aussi plaisir à établir son Église sur des personnes aussi différentes que possible l'une de l'autre.

          Si nous nous regardons les uns les autres, dans n'importe quelle communauté, nous prenons facilement conscience d'être très différents les uns des autres. Apprenons à voir ces différences non pas comme des barrières entre nous, mais comme des effets de l'amour de Dieu qui prend plaisir dans cette diversité.

Armand Veilleux