Homélie pour les funérailles de sœur Véronique Dubois

de l'Abbaye de Chimay, 25 juillet 2023 

(Apoc 22, 12-14 et 16-17 ; Matt 11, 25-30)

 

          La première lecture que nous venons d’entendre est tirée des derniers versets du Livre de l’Apocalypse. Jésus lui-même, qui se présente comme le descendant de David, l’étoile resplendissante du matin, annonce la rencontre entre l’Esprit et l’Épouse, son Église. « L’Esprit et l’épouse disent : ‘ Viens ! ‘. Celui qui entend, qu’il dise ‘ Viens ‘. Celui qui a soif, qu’il vienne ». Et nous retrouvons le même appel dans l’Évangile que nous avons entendu : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos.»

          Sœur Véronique, que nous accompagnons dans son passage sur l’autre rive, a reçu un jour, dans sa jeunesse, l’appel du Seigneur à lui consacrer toute sa vie, et elle a répondu à cet appel. Après plus de soixante ans de vie monastique, le Seigneur lui a dit de nouveau « Viens ». Et fidèle à la recommandation de Jésus dans le Livre de l’Apocalypse, elle a dit elle aussi : « Viens ». Et l’ultime rencontre s’est réalisée.

          Nous célébrons aujourd’hui la fête de saint Jacques, l’un des premiers disciples que Jésus a rencontrés après son baptême par Jean et à qui il a dit : Viens, suis-moi, et qui fut le premier des Apôtres à recevoir la grâce du martyre. On retrouve de tels appels, de telles vocations, tout au long de l’Évangile. Tout particulièrement dans le chapitre 9 de saint Luc, au moment où Jésus monte vers Jérusalem où il sait qu’il sera mis à mort. C’est au cours de cette montée vers Jérusalem qu’il rencontre, entre autres, celui que nous appelons le jeune homme riche et à qui il a dit : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et viens, suis-moi ». Pour comprendre toute la portée de cet appel à le suivre, il faut se rappeler que Jésus venait tout juste de dire qu’il montait vers Jérusalem pour y être crucifié !

          On trouve de nombreux appels radicaux de Jésus comme celui-là dans l’Évangile, y compris l’appel au célibat. Le monachisme chrétien est né, durant les premières générations chrétiennes, lorsque des hommes et des femmes sentirent l’appel à adopter comme mode permanent de vie ces appels de Jésus.

          Lorsque sœur Véronique est entrée à Chimay, en 1959, la communauté comptait 42 personnes, après avoir envoyé, une vingtaine d’année plus tôt, 40 sœurs pour faire la fondation de Berkel. C’étaient les années de grand développement numérique. Aujourd’hui la communauté est beaucoup moins nombreuse, mais elle vit du même esprit et porte la même tradition. C’est d’ailleurs à l’image de toute la tradition monastique. Saint Benoît, au 6ème siècle, après avoir vécu comme ermite à Subiaco, fonda Monte Cassino et plusieurs monastères tout autour. Lorsque le pape saint Grégoire, un siècle plus tard, écrit la vie de Benoît, tous ces monastères ont disparu, y compris Monte Cassino, détruit deux fois par les invasions barbares. Mais l’esprit de Benoît s’était maintenu vivant dans de nombreuses petites communautés fragiles et précaires, qui n’ont pas laissé leur nom à l’histoire mais qui ont transmis la vie monastique aux générations suivantes. Ainsi le pape Grégoire pourra en envoyer quelques-uns évangéliser l’Angleterre, d’où ils reviendront un peu plus tard évangéliser le nord de l’Europe.

          L’Ordre cistercien, héritier de l’esprit de saint Benoît, a, à une époque, couvert l’Europe de grandes abbayes. Aujourd’hui ces communautés sont beaucoup moins nombreuses et, pour la plupart, petites et précaires. Elles ont toutefois la même mission que celles des communautés du passé, petites ou grandes, humbles ou célèbres.

          Lorsque Jésus, dans l’Évangile, parle des « petits », Il parle de ses disciples, à qui il a confié la mission de garder vivant son message. Sœur Véronique, que nous accompagnons aujourd’hui dans son dernier pèlerinage ici-bas, fait partie de ces petits, à travers qui Jésus a conservé vivant le message de son Évangile et aussi l’appel à vivre cet Évangile sous la forme cistercienne.

          Nous remercions Dieu de nous l’avoir donnée comme soeur, confiants qu’Il lui a dit, lorsqu’elle lui a remis son dernier souffle : « Viens », et qu’elle lui a de même répondu : « Viens ». Et ce fut la rencontre pour l’éternité.

Armand Veilleux