20 novembre 2022 - Fête du Christ Roi

2 Samuel 5,1-3 ; Col 1,12-20 ; Luc 23,35-43 

Homélie

          La Fête du Christ Roi fut instaurée à l’époque où l’Église, qui boudait encore les républiques qui s’établissaient alors dans le monde occidental, conservait une nostalgie des monarchies en voie de disparition.   

          Et pourtant le roi qui nous est présenté dans l’Évangile d’aujourd’hui n’a rien de ce relent de triomphalisme.  Il n’est pas revêtu de vêtements somptueux et ne trône pas sur des coussins de velours brodés d’or.  C’est un roi nu, qui trône sur une croix.  Le peuple, à qui il n’a toujours manifesté que la bonté de son Père, reste là à regarder, hébété, sans savoir quoi penser ni quoi dire.  Au-dessus de sa tête se trouve un écriteau sarcastique, rédigé par l’occupant romain disant : « c’est ça le roi des Juifs ! ». Et tous ceux qui parlent le font pour se moquer de lui.  Tous, sauf un.

          Les chefs du peuple Juif aussi bien que les soldats romains et le premier des deux larrons l’invitent à se sauver lui-même et à descendre de la croix.  Comme s’il était venu pour se sauver lui-même et non pas pour nous sauver ! Ils n’ont rien compris.

          Un seul, dans ce récit, a compris.  Un pauvre scélérat, tout à fait conscient d’être tel, qui ne porte pas rancune à ceux qui l’ont attaché à la croix, puisqu’il reconnait recevoir la juste récompense pour les crimes qu’il a faits.  N’ayant rien à perdre, il a tout à gagner.  Il ne demande pas d’être sauvé de la mort.  Il ne demande pas de descendre miraculeusement de sa croix. 

          Il est conscient de la distance énorme qu’il y a entre Jésus et lui, puisque Jésus, rappelle-t-il à son comparse, n’a rien fait de mal alors qu’eux reçoivent ce qu’ils méritent.  En même temps il est tout à fait à l’aise avec Jésus qui a accepté de subir le même sort que lui, et – chose inouïe dans l’Évangile – il lui parle avec une grande familiarité, empreinte de tendresse, en utilisant son « petit nom », Jésus.  Que demande-t-il ?  Simplement que Jésus se souvienne de lui quand il reviendra dans son royaume.  Il n’a évidemment aucune idée de ce que sera ce royaume, ni quand Jésus reviendra. 

          Dans sa réponse, Jésus fait une autre de ses grandes révélations sur la nature du Règne de Dieu --  ce Règne qu’il a annoncé tout au long de sa prédication.  « Aujourd’hui même, dit-il, tu seras avec moi dans le paradis ».  Unis dans la mort ils seront unis dans la Vie.  Si nous joignons cette révélation à l’autre faite par Jésus  à un autre moment: « le Royaume de Dieu est au milieu de vous » ; nous comprenons que le Royaume de Dieu est pleinement réalisé dans la personne de Jésus, et qu’il se réalise, dès maintenant, en tous ceux qui sont unis à Jésus dans la foi, l’amour et l’espérance.

          Le roi qui nous est présenté sur la croix n’a rien à voir avec les potentats de ce monde, qui imposent en général leur pouvoir à travers la violence.  Non seulement il ne recourt jamais à la violence ; mais il ne demande même pas que descende sur ses persécuteurs la vengeance divine.  Au contraire il implore pour eux la miséricorde – « Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ».  C’est un homme libre.  Et, chose admirable dans cet Évangile de Luc, le deuxième scélérat, celui qu’on appelle le « bon larron », est aussi un homme libre.

          Un psychologue moderne, Erich Fromm, dans un ouvrage intitulé « La peur de la liberté » a montré comment l’être humain, lorsqu’il est confronté à sa solitude existentielle, au moment où il se perçoit comme un être distinct de tous les autres et séparé de tous les autres, oscille souvent entre deux attitudes pathologiques.  La première est de se fusionner avec les autres en exerçant sur eux le pouvoir ; la deuxième est de renoncer à sa liberté dans une dépendance fusionnelle avec quiconque exerce le pouvoir. 

          Dieu s’étant révélé sur la croix, en Jésus de Nazareth, non pas comme le tout autre tout-puissant, mais comme l’Autre tout proche et sans pouvoir, le bon larron a pu surmonter sa « peur de la liberté ». Il a pu être totalement libre tout en étant lui-même attaché à la croix, et entrer en conversation avec Jésus, son Dieu, dans une liberté et une sérénité extraordinaire.

          Puisse ce même Jésus régner en chacun de nos coeurs, nous libérer de notre propre « peur de la liberté », et nous permettre d’arriver à une liberté qui puisse au moins se rapprocher quelque peu de celle de ce larron crucifié à ses côtés.

Armand Veilleux