C DÉDICACE DU LATRAN JEAN 02,13-22 (3)

Chimay : 09.11.2025 

LatranFrères et sœurs, nous célébrons aujourd’hui la fête de la dédicace ou consécration de l’église-mère de Rome, la basilique du Latran, la cathédrale du pape, à l’origine dédiée au Sauveur puis à saint Jean le Baptiste et à saint Jean l’évangéliste. Que représente pour la liturgie d’aujourd’hui et pour la spiritualité chrétienne la dédicace d’une église et l’existence même de l’église comme lieu de culte ? Jésus enseigne que le temple de Dieu est tout d’abord le cœur de l’homme qui a accueilli sa Parole. En parlant de lui et du Père, Jésus dit : « Si quelqu’un m’aime, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui » (Jn 14,23) et saint Paul écrit ceci aux chrétiens de Corinthe : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu » (1 Co 3,16). Le croyant est donc le nouveau temple de Dieu : « L’heure vient – et c’est maintenant nous confirme Jésus – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père » (Jn 4,23). Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité partout où ils se trouvent, car l’adoration n’est pas limitée à un lieu physique mais se fait par une attitude de vie intérieure qui vient du cœur. Cela signifie être en communion avec Dieu par l’Esprit Saint et vivre en conformité avec sa vérité, à travers une vie de foi, de consécration, de comportement et d’attitudes qui honorent Dieu. 

Pourquoi les chrétiens donnent-ils alors tant d’importance à l’église, si chacun de nous peut adorer le Père en esprit et en vérité dans son cœur ou chez lui ? Pourquoi cette obligation d’aller à l’église tous les dimanches ? La réponse est que Jésus ne nous sauve pas individuellement : il est venu pour se constituer un peuple, une famille, une communauté de personnes en communion avec lui et entre elles. C’est en effet l’Église qui est « la maison que Dieu construit », en rassemblant les « pierres vivantes » (1 P 2,5) que nous sommes sur la fondation unique qu’est Jésus-Christ.

Dans les Confessions (VIII,2) saint Augustin raconte comment le rhéteur et philosophe romain Marius Victorinus, fraîchement converti au christianisme, dit au prêtre Simplicien : « Sache que désormais, moi je suis chrétien ». Simplicien lui répondit : « Je ne te croirai pas tant que je ne te verrai pas dans la maison du Christ ». « Ce sont donc les murs qui font de nous des chrétiens ? » rétorqua le rhéteur, qui alla son chemin. Mais un jour Victorinus lut la parole suivante du Christ : « Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération... le Fils de l’homme aussi rougira de lui » (Mc 8,38; Lc 9,26). Il comprit que c’était son amour propre, la peur des moqueries qu’il aurait à subir de la part de ses collègues philosophes, qui le retenaient d’aller à l’église. Il alla voir Simplicien et lui dit : « Allons à l’église, je veux devenir chrétien ». Se pourrait-il que cette histoire ait encore quelque chose à nous dire aujourd’hui ?

Dans la Bible, le Temple est appelé maison de Dieu. Une maison, c’est d’abord un endroit où on se pose et où on se repose, où on peut cultiver des relations et des conversations qui comptent, un lieu où l’on se sent en sécurité. Ce n’est pas d’abord un lieu de culte avec des actes à réaliser, mais un lieu de rencontre. On y entre pour prendre le temps de renouer une relation qu’on a laissé filer au fil des distractions et des préoccupations. Ce lieu central de nos vies devient, dans la Bible, le cœur de la relation à Dieu.

Alors que le Temple a été détruit par les Babyloniens, Ézéchiel (Ez 47,1-12) a la vision de ce que serait le Temple du futur : un endroit ruisselant d’eau comme la Terre promise ruisselle de lait et de miel. Il imagine un bâtiment érigé sur une source qui irrigue la terre, assainit, abreuve, contribue à faire germer des possibilités de vie le long de son parcours. Cette eau est au service de l’abondance, sans limite, sans distinction, généreusement. Rien d’étonnant, alors, que les disciples aient vu en Jésus le Temple de Dieu. Ils ont reconnu en lui ce jaillissement au service de la vie. « De mon cœur jailliront des fleuves d’eau vive » (Jn 7,38).

Ce regard renouvelé nous concerne aussi. Jésus confirme que la personne, la sienne et celle de chacun d’entre nous, est désormais le lieu privilégié pour se connecter à la vie de Dieu et la laisser faire sa route. « Le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous », conclut saint Paul (1 Co 3,17).

En cette fête de la dédicace de la Basilique du Latran, la liturgie fait écho de la présence de Dieu au Temple décrit dans l’Ancien Testament. Mais aujourd’hui, l’entrée de Jésus dans la maison de son Père est hautement significative : il vient voir humainement ce qui s’y passe. Et que voit-il ? Au lieu de célébrer la gloire de Dieu et d’honorer sa royauté, afin de l’accueillir, on y célèbre le règne temporel du pouvoir et de la richesse. En voyant le Temple dénaturé de manière presque sacrilège Jésus chasse les vendeurs du Temple !

Ce passage de l’Évangile peut sembler déconcertant. Jésus qui est doux et humble de cœur, semble soudain perdre le contrôle de lui-même. Mais au lieu de perdre le contrôle de ses actes ou de tomber dans le fanatisme, il se trouve devant l’intolérable : la profanation du Temple dépassait la mesure. Les gens étaient habitués, les autorités, consentantes, permettaient cette situation, mais le Christ, non. Non seulement il ne pouvait pas le tolérer, mais il ne pouvait pas, non plus, se taire. Il a agi selon ce que lui dictait sa conscience : l’expulsion. « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce » (Jn 2,16). Tout comme au temps de Jésus, nous devons concilier le soin des temples et celui de nos communautés. D’un côté, par amour pour Dieu, nous voulons lui offrir de belles églises. De l’autre, notre désir de vivre la charité, telle qu’enseignée par le Christ, nous motive à prendre soin de notre communauté et de notre prochain.

Il est bon que Jésus vienne purifier son peuple et lui rappeler que Dieu seul doit être adoré dans son Église. Il le fait dans l’Église mais aussi dans chacun de nos cœurs. Demandons à Dieu de savoir accueillir les purifications qu’il permet dans son Église et en nous, même lorsque nous ne les comprenons pas, car elles sont souvent l’occasion de revenir à lui.