C 13 LUC 09,51-62 (15)

Chimay : 26.06.2022

Frères et sœurs, l’évangile qui nous est proposé pour ce dimanche nous présente trois aspects différents de la personnalité de Jésus : Il décide, avec courage, de prendre la route de Jérusalem. Il renonce à toute violence. Et enfin, il propose des exigences à la foule de ceux qui le suivent.

Premier point : Jésus, homme de courage. À partir de maintenant, dans l’évangile de Luc, les miracles se font plus rares ; les paroles de Jésus se radicalisent. Il va « durcir » son visage et prendre résolument la route de Jérusalem. Il sait que c’est là le lieu de son combat décisif contre le mal qui corrompt la création.

En lisant cet évangile, nous pouvons penser à nos difficultés, nos échecs, nos incertitudes. Mais quand tout va mal, Jésus est là. Il ne nous abandonne pas. Il nous apprend à ne pas nous laisser aller. C’est avec lui et à sa suite que nous pourrons tenir bon dans la fidélité qu’il attend de nous.

Sa détermination offre un effet de contraste avec les décisions humaines, pleines de bonne volonté dans le meilleur des cas, mais le plus souvent assorties de quelques restrictions fondées sur le bon sens, la gêne, les liens familiaux, pour différer le moment de vivre la radicalité du message.

« Nous n’avons que cette vie pour vivre de foi », disait Thérèse de Lisieux dans ses Conseils et souvenirs. Cette phrase de Thérèse nous dit qu’on n’a pas de temps à perdre ! Nous n’avons que cette vie, ce qui sous-entend aussi qu’il y a, bien-sûr, une prolongation quelque part. Notre vie de foi doit donc être intense, vivante !

Deuxième point : Jésus, homme de la non-violence. Courageux et déterminé, Jésus est tout autant « doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Un village de Samaritains a refusé de recevoir des pèlerins juifs simplement parce qu’ils étaient juifs et qu’ils se dirigeaient vers Jérusalem. Le rejet de l’étranger est de tous les temps. Jacques et Jean sont indignés : ils proposent à Jésus de punir ce village hostile en appelant le feu du ciel pour le détruire. Cette tentation de la vengeance contre ceux qui nous font du mal est toujours bien présente dans notre monde et notre vie, ne serait-ce que par une réplique bien piquante.

Jésus réagit très vivement à la violence. Il nous révèle ainsi le vrai Dieu, un Dieu qui nous a créés libres et qui respecte notre liberté jusqu’au bout. Il n’est pas venu pour détruire les pécheurs que nous sommes, mais pour nous sauver. Sur la croix, il fera cette prière : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Il est le non-violent qui arrête le cercle infernal du mal en le recevant sur lui. Il est l’inspirateur du Mahatma Ghandi, du pasteur Martin Luther King, de Mère Teresa et de bien d’autres. Au lieu de punir le village qui a refusé de le recevoir, Jésus s’en va vers un autre (Lc 9,55). C’est instructif pour nous qui sommes affrontés au mal en nous et autour de nous. Cet évangile est un appel à demander à Dieu de nous donner sa patience.

Enfin troisième point : Jésus homme des exigences radicales. Cette non-violence ne signifie pas du tout une molle tolérance. Il est hors de question de relativiser la frontière entre le bien et le mal. Au contraire, Jésus propose des exigences parfois terribles à ceux qui veulent le suivre. Il ne cherche pas à recruter à tout prix. Sans décourager ceux qui veulent le suivre, il met des conditions. Les idées généreuses, ça ne suffit pas. Il faut un appel profond et personnel car c’est l’œuvre du Seigneur et c’est lui qui choisit.

Jésus Christ prend la route qui le mènera à la Croix, et il y marche comme un pauvre, livré aux caprices des hommes qui pourront refuser de l’accueillir, abandonné à la volonté du Père dont il n’attend pas d’intervention miraculeuse. Qui veut le suivre doit accepter cette pauvreté : n’avoir pas de chez soi où se reposer tranquille, se vouloir disponible immédiatement, même au prix de renoncement à sa famille, aller de l’avant sans regard nostalgique sur le passé.

Dans l’évangile de ce jour, un homme réclame un délai pour aller enterrer son père : Jésus lui demande de se tourner vers les vivants pour leur annoncer le règne de Dieu. Un autre veut prendre congé des siens. Jésus le presse de marcher à sa suite sans regarder en arrière. À travers ces appelés, c’est nous qui sommes interpellés par le Christ. La vie évangélique ne supporte aucune demi-mesure. Répondre à l’appel de Jésus c’est choisir. Et quand on choisit, on élimine ce qui nous détourne de l’essentiel.

Cet appel du Seigneur rejoint les hommes au cœur de leur vie. Moïse, Amos, David et bien d’autres ont été appelés derrière leur troupeau. Élisée (1 R 19,16-21) était en train de labourer son champ. Il a brûlé son attelage, cuit ses bœufs et donné à manger aux gens pour suivre Elie et devenir prophète du Seigneur.

Le geste d’Élie est chargé de signification. Il invite Élisée à endosser bien plus que son manteau : sa responsabilité de prophète fera de lui le porte-parole de Dieu pour son peuple. Élisée ne s’y trompe pas, qui entrevoit le renoncement aux siens que cela suppose. Mais Élie ne veut pas d’un homme qui tergiverse et regarde le passé : « Va-t-en, retourne là-bas ! » Élisée s’en retourne, mais c’est pour sacrifier ses bœufs et sa charrue et montrer ainsi qu’il renonce aussi à sa profession pour répondre à l’appel de Dieu.

Actuellement, on trouve des religieux, des religieuses, des prêtres qui avaient une belle situation très lucrative. Ils auraient pu faire carrière en tant qu’ingénieurs, médecins, chefs d’entreprise… Ils ont choisi d’y renoncer pour répondre à l’appel du Seigneur.

Saint Paul (Ga 5,13-18) nous rappelle que c’est dans la fidélité au Christ que nous trouvons la vraie liberté. Il nous invite à rejeter les tendances égoïstes de la chair. Cela veut dire que nous devons aller à contre-courant de la mentalité de notre monde et de notre milieu. Nous ne devons pas juger d’après ce que tout le monde pense mais d’après le regard du Christ. En nous laissant conduire par l’Esprit Saint, nous serons libérés de nos passions et de l’esclavage du péché. C’est à ce prix que nous pourrons répondre généreusement à l’appel du Christ.

Affranchis par le Christ de ce qui était caduc dans les pratiques religieuses des juifs, délivrés des superstitions païennes et de la crainte des tabous, les chrétiens sont devenus des hommes libres. Oui, mais libres pour quoi faire ? Non pas libres de faire tout ce qui leur passe par la tête, mais libres pour aimer. Alors, cette liberté est encore à conquérir de haute lutte, car ce n’est pas du jour au lendemain qu’une personne se laisse guider uniquement par l’Esprit d’amour.

Et ce chemin s’échelonne tout au long d’une vie, pas après pas, dans la durée, au fil des événements qui nous arrachent à nous-mêmes et aux évidences, chacun selon sa grâce propre, pour nous acculer à creuser plus profondément et à laisser jaillir la source de la vie.

En ce jour, nous te prions, Seigneur. Garde-nous de nous enfoncer dans les fausses sécurités du confort et de la consommation. Entraîne-nous vers l’avenir libérateur que le Père offre à tous ses enfants. Amen.