B 29 MARC 10,35-45 (13)

Chimay : 17.10.2021

Frères et sœurs, nous vivons dans un monde qui est dominé par la recherche du pouvoir et du prestige : en politique comme dans les sports, au travail comme souvent dans les groupes d’amis et en famille. Qui est le plus beau, le plus riche, le meilleur ! Parmi les passions qui agitent le cœur humain, l’envie est l’une des plus puissantes. Une personne possède-t-elle une belle maison confortable, bien située, suffisamment grande pour que toute sa famille y vive à l’aise, il suffit qu’un voisin en possède une plus belle, plus confortable, plus grande, mieux située, pour que le poison de l’envie s’insinue. La voilà qui se sent humiliée et finit par trouver sa propre maison moche, inconfortable, mal située et trop petite. La comparaison a transformé son regard et fait naître l’insatisfaction. Quelqu’un occupe-t-il un bon poste dans une entreprise, il réussit dans son travail et s’y épanouit, il suffit qu’un collègue reçoive une promotion, pour qu’il ressente la morsure de la jalousie. L’amertume le gagne. Il se sent maltraité, il pense n’être pas reconnu à sa juste valeur, il ne voit pas ce que l’autre avait de plus que lui. Il y a du favoritisme dans l’air !

 

Dans l’Évangile de ce dimanche, les Douze sont agités par de semblables sentiments. Leur unité est menacée par l’esprit de rivalité. Les fils de Zébédée, Jacques et Jean, manœuvrent pour occuper les deux premières places dans le royaume de Dieu annoncé par Jésus. Mais ils le comprennent de manière humaine. Ils imaginent une montée triomphante sur Jérusalem, une victoire éclatante contre les Romains suivie de la restauration du royaume d’Israël dont Jésus sera le roi. Ce nouveau royaume brillera d’une gloire égale, sinon plus grande, qu’aux jours anciens de David et de Salomon. Ils rêvent d’être les grands de ce royaume à venir. Ils veulent exercer le pouvoir. Ils se comportent comme des courtisans ambitieux. Les dix autres s’indignent contre les deux frères, à juste raison. Eux aussi ambitionnent des places. Ils ne veulent pas se faire doubler. Ils en étaient venus à se poser la question : « Qui est le plus grand ? » (Mc 9,34). Qui est à la première place ? Comment être messagers du Christ si nous n’allons pas à contre-courant de cette mentalité ?

L’Évangile de ce jour nous apporte une réponse phénoménale : le plus grand, c’est celui qui se fait serviteur et même esclave, c’est celui qui accepte de partager la faiblesse des hommes, leur souffrance et même leur mort (Mc 10,43-45). Partager ses souffrances, c’est tout ce que Jésus promet à Jacques et à Jean. Au Père seul revient de glorifier ceux qui veulent servir à la suite de Jésus. En effet, si la possession du pouvoir conduit les grands de la terre à commander en maîtres, pour les disciples la grandeur s’acquiert par leur capacité à servir. Si Jésus est le Maître, c’est comme serviteur de Dieu et serviteur de ses frères qu’il l’est devenu.

Tout cela nous invite à réviser notre manière de vivre à l’intérieur de notre société. Nous pensons à tous ceux et celles qui s’engagent au service des autres. Pour certains, cela passe par un engagement politique ou syndical ; d’autres trouvent leur place dans une association humanitaire ; d’autres encore sont engagés au service de leur paroisse. Comme chrétiens, nous sommes plus spécialement invités à nous associer à la lutte contre la misère. Cela passe par une attention plus grande à ceux et celles qui en sont les victimes. À travers nos engagements, nos gestes de partage et de solidarité, nous participons à la mission du Christ qui s’est fait serviteur.

En effet, toute la Bible nous dit que Dieu se met au service de l’homme. Il est celui qui a vu la misère de son peuple (Ex 3,7). Il se fait petit, humble et serviteur pour nous aider à mieux accepter le Salut qu’il nous offre. La lettre aux Hébreux (4,14-16) nous dit que le Christ a partagé notre vie excepté le péché. Jésus comprend nos faiblesses, lui qui a partagé nos épreuves. Nous chrétiens baptisés et confirmés, nous sommes tous appelés à participer à ce sacerdoce du Christ. Nous sommes envoyés dans le monde pour être les messagers de la bonne nouvelle de l’Évangile. Notre priorité doit aller vers ceux et celles qui sont douloureusement éprouvés par la maladie, la souffrance et les misères de toutes sortes. Trop souvent, nous cherchons Dieu dans le ciel, les miracles, le surnaturel. En fait, il se présente à nous à travers le visage du petit, du pauvre, de celui ou celle qui souffre de la solitude. Nous risquons de passer à côté de lui sans le reconnaître ; c’est ce qui se passe quand nous le cherchons dans le bruit, la toute-puissance et la majesté. Le signe de la toute-puissance de Dieu c’est la croix, c’est « de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous voyons que les disciples n’ont rien compris. Jésus vient de leur annoncer sa Passion, sa mort et sa résurrection (Mc 10,32-33). De ce groupe, deux hommes se détachent, Jacques et Jean. Pour être rassurés, ils demandent à Jésus de siéger à sa droite et à sa gauche dans son Royaume. Les autres disciples s’indignent : « Pourquoi pas nous ? » (Mc 10,41). Mais Jésus ne s’indigne pas. Il sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme (Lc 11,17). S’il intervient, c’est pour les amener et nous amener à changer de perspective. Il dénonce les rapports de force et de supériorité. Le pouvoir comme écrasement des autres ne doit pas avoir sa place parmi les disciples.

La gloire du Christ se manifestera sur la croix. À sa droite et à sa gauche, nous trouverons non pas deux apôtres mais deux bandits (Lc 23,32-43). La coupe qu’il boira sera celle de sa Passion qui l’introduira dans le Royaume. Là, toutes les relations seront transformées. Chacun y découvrira que sa place est un don de Dieu. C’est ainsi que Jésus a aboli la loi du plus fort. Il l’a remplacée par celle du plus aimant. C’est une conversion de tous les jours que nous obtiendrons en contemplant et en accueillant « Jésus serviteur ». Il est celui qui « nous a aimés comme on n’a jamais aimé ».

Les enfants, c’est assez normal, se découragent parfois trop vite devant un travail scolaire ou une demande qu’on leur adresse. « C’est trop dur, j’y arrive pas ! » Et nous pouvons être tentés par la même réaction face aux exigences de la Parole de Dieu. Boire la coupe de Jésus ? Être l’esclave de tous ? Renoncer à tout pouvoir, à tout honneur ? Et en plus de tout cela, garder confiance en la Promesse ? Telle est bien la recette du bonheur évangélique, difficile à réaliser par nos seules forces mais appelant toujours un sursaut d’espérance et de foi.

C’est très important pour nous aujourd’hui de comprendre le message du Christ : notre monde juge le christianisme à travers ceux qui le pratiquent, donc à travers nous. Notre première tâche c’est de nous imprégner de l’Esprit Saint pour ne pas déformer le visage du Christ et de l’Évangile. Lui seul peut nous éclairer sur le vrai sens de notre service : il nous apprendra à reconnaître le visage du Christ à travers ceux et celles que nous rencontrons sur notre route, le voir dans le plus petit, le plus abimé de nos frères.

En célébrant cette Eucharistie, nous demandons au Seigneur qu’il nous guide sur le chemin d’une vraie conversion ; qu’il nous donne force et courage pour chercher « non à être servi mais à servir » (Mc 10,45).