A 27 MATTHIEU 21,33-43 (18)

Scourmont : 08.10.2023

 

Frères et sœurs, nous venons d’entendre la parabole des vignerons homicides. Cette célèbre parabole fait partie des paraboles d’affrontement, où Jésus tente d’éclairer le cœur endurci de ses opposants : les Pharisiens et les Docteurs de la loi. Cette parabole est aussi particulièrement précise sur la gestion des vignobles et leur mode de fonctionnement.

Dans l’Empire Romain, les grands domaines viticoles étaient loués à des vignerons qui les exploitaient en échange d’un loyer annuel. C’est son versement que le propriétaire vient justement réclamer par l’intermédiaire de serviteurs qui seront tous bousculés ou tués par les vignerons déloyaux. Le maître de la vigne ne semble pas vouloir admettre la réalité de la cruauté de ses fermiers, prêts à tout pour s’emparer de son bien.  Il est disposé à leur trouver des circonstances atténuantes et à répéter sa demande. Évidemment, le propriétaire qui prend soin de sa vigne afin qu’elle fructifie, c’est Dieu. Peut-être les vignerons ont-ils cru que les messagers n’agissaient pas sur ordre de sa part. Il finira alors par envoyer son fils unique, son héritier légitime, celui dont les droits sont indiscutables.

Le fils connaîtra le même sort que les serviteurs. Ici l’on comprend que la dimension autobiographique de la parabole est claire. Jésus s’implique dans son récit : il est non seulement le narrateur, mais l’un des personnages : il est le fils assassiné par des hommes avides. Jésus est confronté aux Pharisiens et aux Docteurs de la loi qui se sont approprié la vigne, c’est-à-dire le peuple d’Israël. Ils l’ont détourné de Dieu pour lui faire emprunter leur propre chemin et satisfaire leurs intérêts personnels. Cependant, ils ont parfaitement compris que cette parabole les visait directement en les assimilant aux « vignerons homicides ». À partir de ce moment, ils chercheront à faire arrêter Jésus pour qu’il soit jugé et condamné. Leurs prédécesseurs ont tué les prophètes que l’on peut assimiler aux serviteurs et eux mettront à mort l’Héritier, le Fils unique de Dieu.

Cette parabole s’adresse également à chacun d’entre nous. Dieu, comme le propriétaire parti en voyage – une autre parabole de l’Évangile de Matthieu (Mt 25,14-30) – nous fait confiance et nous laisse libre sans chercher à nous contraindre ou à nous écraser de sa puissance. Il a envoyé son propre Fils pour nous parler de son amour pour nous et nous continuons de le crucifier par nos propres refus. Il nous suffirait pourtant, quelles que soient nos fautes, de répondre favorablement à la miséricorde et à l’amour de Dieu. Dieu a besoin des hommes – les vignerons – pour faire advenir et grandir son Royaume. Mais nous sommes des êtres limités ; notre regard reste trop souvent rivé sur nos propres intérêts. Alors Dieu envoie des messagers, puis finalement son propre fils, son héritier, pour qu’il ouvre notre cœur par la folie de son amour. Mais nous demeurons encore libres : libres d’accueillir cet amour pour ensuite le propager ; libres aussi de nous fermer, de refuser l’amour, de le piétiner et de tuer le fils. Mais Dieu ne veut pas la mort du pécheur. C’est ce que cette parabole nous invite à comprendre lorsqu’elle insiste sur les différentes médiations que le propriétaire de la vigne met en œuvre pour exprimer son indulgence envers les vignerons homicides.

La liturgie aujourd’hui nous invite à contempler l’attente de Dieu à notre égard. Non pas que son amour dépende de ce que nous pouvons lui offrir, puisque « c’est par grâce » que nous sommes « sauvés » (cf. Ep 2,5). Le prophète Isaïe (5,1-7) et l’évangéliste Matthieu nous parlent de l’attente déçue de Dieu. Isaïe détaille le soin apporté par Dieu à la vigne que nous sommes personnellement. Don d’une terre à cultiver qu’il se plaît à travailler – comme l’indique l’image du pressoir – pour qu’elle demeure féconde malgré notre faiblesse et notre propension à passer à côté de ce pour quoi nous avons été créés. Car la Bible ne cesse de nous dire que si Dieu nous a appelés à être, c’est pour que nous croissions (Gn 1,28). Les fruits que nous produisons ne seraient-ils pas le signe que nous accueillons sa bénédiction et que nous en vivons ? Quant à la tour de guet et à la clôture entourant la vigne, elles nous font signe vers l’Évangile qui oriente nos pas, canalise nos forces vives toujours en danger de se disperser ; ou encore vers les prophètes, les apôtres et tous ceux qui ont la charge d’enseigner le peuple de Dieu. Pensons aux évêques aujourd’hui réunis autour du pape en synode pour que nous menions une meilleure vie chrétienne.

De fait l’évangile nous parle du Fils, ce Fils envoyé et rejeté, mais vivant et œuvrant par-delà sa mort, pour nous ajuster à Dieu, aux autres et à nous-mêmes. Car le Seigneur ne se résigne pas devant notre incapacité, voire notre refus, de porter ces fruits que sont le droit et la justice indissociables de l’amour. Un amour qui n’a rien à voir avec une charité condescendante. En ce sens, les lectures de la Parole de Dieu d’aujourd’hui sont des messages d’espérance. Car lorsque Dieu nous montre nos inadéquations – ici, nos fruits amers ou non encore arrivés à maturité – c’est parce qu’il nous ouvre une issue : celle de la conversion toujours possible.

Une parabole n’est jamais un jugement, mais un appel à la conversion. Ouvriers de la première ou de la dernière heure (Mt 20,1-16), nous travaillons à la vigne du Seigneur. Mais nous sommes aussi la vigne elle-même. Notre travail physique est celui de nos mains pour que la vigne de Dieu produise un fruit au goût d’éternité. Mais il est aussi un travail intérieur, celui de Dieu lui-même, qui prend soin de sa vigne et lui fait porter du fruit. « Ne crains rien, car je suis avec toi ; Ne promène pas des regards inquiets, car je suis ton Dieu ; Je te fortifie, je viens à ton secours, Je te soutiens de ma droite triomphante » (Is 41,10).

Au fond, la parabole des vignerons homicides pourrait être celle de l’amour accueilli malgré tout. Nous sommes tous des vignerons ; nous avons notre part de vigne à faire fructifier ; nous pouvons donner gratuitement, généreusement pour vivre véritablement la Vie de Dieu. Alors, l’Église sera promesse d’une magnifique vendange pour le banquet du Royaume, auquel nous participons déjà par cette eucharistie que nous célébrons ensemble.