6e dimanche ordinaire A

(Mt 5,17-37)

Février 2023

Frères et sœurs, vous savez qu’il y a un débat en France sur la question de l’âge du départ à la retraite. Ce débat mobilise de nombreuses personnes et de multiples arguments. Alors, rassurez-vous, je ne vais pas m’immiscer dans ce débat, mais j’aimerais relever une phrase que l’on y entend parfois : ‘Nous voulons profiter de la vie’. Cet argument, que d’un côté je peux comprendre, me laisse dubitatif de l’autre. ‘Profiter de la vie’, qu’est-ce à dire ? Surtout s’il s’agit de profiter de la vie à un âge certain, comme si on n’en avait pas profité avant, ou encore comme s’il s’agissait de ne pouvoir en profiter que quand on a acquis une certaine sagesse avant d’être complètement gaga. Mais si nous ajoutons à cela qu’il y a aussi actuellement un autre débat en France, celui sur la fin de vie, ou encore celui que certains appellent ‘choisir de mourir dans la dignité’, je crains que nous nous retrouvions coincés dans ces quelques années de retraite où il s’agirait de pouvoir enfin profiter de la vie avant de choisir de mourir.

Dans la première lecture, il était aussi question de vie et de mort, et de choix : « Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu, dit le Siracide : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. » (Si 15,16-17). Toute la Bible présente ce choix entre la vie et la mort. Mais Dieu ne cesse de nous appeler à la vie ; il nous appelle à choisir la vie et à fuir, à repousser ce qui tue la vie. La question est alors de savoir qu’est-ce que la vie ? Et pour reprendre l’expression précédente, qu’est-ce que profiter de la vie, la mettre à profit ? Et pour paraphraser saint Paul dans la deuxième lecture, « c’est bien de sagesse que nous parlons […], mais ce n’est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui […] vont à leur destruction. » (1 Co 2,6). Pour choisir la vie, en profiter, pour vivre vraiment, pleinement, nous avons besoin d’être éclairés, guidés, et ce guide, c’est le Christ. Comme il nous le dit en saint Jean : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (14,6).

Jésus est le guide qui, dans l’évangile d’aujourd’hui, reprend la Loi que Dieu a donnée à Moïse, non pour la modifier, en imposer une nouvelle, l’ « abolir » (17), mais pour en montrer toute la dimension, toute la vie qui y foisonne ; pour l’ « accomplir ». Il s’agit d’être conforme à ce que Dieu veut, à ce qu’il attend de nous. Une conformité qui n’est pas un conformisme extérieur, comme la « justice […] des scribes et des pharisiens » (20), mais une conformité de l’intérieur : que notre cœur soit mû par le cœur de Dieu. Nous pourrions rapidement objecter que ce n’est pas possible, que nous sommes trop faibles pour hisser notre cœur à la hauteur de Dieu. Mais il ne s’agit pas ici d’une morale ou d’efforts qu’il faudrait faire. Il s’agit d’un désir profond, d’un désir de Dieu. Notre comportement envers les autres n’a d’autre fondement, n’a d’autre raison, que cet appel qui est au plus profond de nous, cette voix de Dieu qui nous invite à découvrir notre destinée ultime, notre destinée présente : être fils du Père. Il s’agit pour nous de devenir vraiment fils et, par ricochet, d’agir envers les autres comme fils du Père, comme le Père le veut, comme le Père le fait.

Et je reprends la phrase de saint Jean : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». Le Christ est notre chemin pour accéder à cette vérité de notre être, à cette vérité de Dieu, à la vie de Dieu pour nous dès maintenant. Il est le guide, la Loi que nous devons suivre, pas tant par ce qu’il aurait dit de faire, comme nous l’entendions dans cet évangile, que par ce qu’il a fait, ce qu’il a vécu, dans son humanité, il y a 2000 ans, et ce qu’il vit, ce qu’il fait dans son humanité, son corps, son Eglise que nous sommes aujourd’hui.

Le Fils, éternellement, se reçoit du Père, et nous devons fixer nos yeux sur lui, adhérer à lui, pour, à notre tour, entrer dans cette vie, profiter de cette vie qui se reçoit, pleinement, uniquement, du Père. C’est en entrant dans ce regard de confiance et d’amour de Jésus envers son Père, que nous pourrons accomplir la Loi, et même nous accomplir. Le Christ n’est pas « venu abolir la Loi ou les Prophètes », mais il est venu nous ouvrir le chemin de l’accomplissement, non en nous imposant des commandements de l’extérieur, mais en les faisant jaillir de l’intérieur à partir d’un regard vers Dieu, à partir d’un désir, d’un amour. Jésus n’est pas un législateur, mais un révélateur de ce que Dieu veut et de ce qui nous habite profondément. Et il le fait à travers sa propre personne, qui devient la norme, la Loi ; le modèle à imiter, le modèle à aimer.

Rassemblés ce matin autour de la table où il se donne à son Père et au monde, puissions-nous accueillir sa vie, la vie, en profiter dès maintenant et la mettre à profit pour toute l’humanité.