22e dimanche ordinaire C

(Lc 14, 1a. 7-14)

Août 2022

 

Frères et sœurs, cette parole d’évangile, proclamée en assemblée, nous est adressée communautairement ; c’est ensemble que nous l’entendons et que nous l’accueillons. Mais bien sûr, elle nous est aussi adressée personnellement, et c’est très clair dans ce passage que nous venons d’entendre, puisque Jésus nous parle à la deuxième personne du singulier ; il s’adresse à chacun de nous en « Tu » : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place » (8). Ici, le Christ nous renvoie à notre attitude, notre positionnement par rapport aux autres, notre façon de vivre nos relations, et de considérer, ou non, les autres. Fondamentalement, il nous interpelle sur cette petite voix intérieure, notre ego, qui tend, sans cesse, à nous mettre au-dessus des autres, à nous donner la priorité, la légitimité. Et quand au contraire, nous nous rabaissons, quand nous nous considérons comme indignes, incapables, c’est bien souvent encore notre ego qui, à défaut de première place dans la gloire, nous fait miroiter une première place dans l’échec, cherchant ainsi à nous apitoyer sur nous-mêmes. Cet ego, ou encore ce que saint Benoît appelle la volonté propre, c’est ce que les moines tentent de combattre par cette vie commune à l’écoute de l’Autre dans l’obéissance.

Le Christ nous invite donc, dans cette parabole, à prendre la dernière place. Et cette dernière place, c’est la sienne, celle qu’il a choisie quand il a fait la volonté de son Père, quand il l’a aimé et qu’il nous a aimés – chacun de nous – jusqu’au bout. A l’image de ce repas où il nous exhorte à « invite(r) des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles » (13-14), c’est-à-dire les exclus de leur temps et de notre temps, Jésus s’est fait proche d’eux, l’un d’entre eux, à la dernière place, allant jusqu’à être pendu au bois de la croix entre deux larrons.

Alors, si nous contemplons le Christ, nous comprenons que cette dernière place dans nos vies, cette dernière place tant redoutée, ce n’est pas celle qui humilie, qui nie notre identité, nos talents, mais celle qui se veut en relation, qui se veut solidaire, qui tout simplement se veut proche de l’autre, à l’instar de ce désir qui nous habite tous, ce désir que Dieu ou les autres se fassent proches de nous, proches dans nos tristesses et nos combats. Prendre la dernière place, c’est entrer en communion avec les autres, parce qu’en nous aussi, il y a toujours, quelque part, un « pauvre, (un) estropié, (un) boiteux, (un) aveugle ». Prendre la dernière place, c’est entrer en communion avec les autres, particulièrement là où chacun en a besoin, là où chacun ne peut plus jouer ce personnage qui se hisse à la première place, parce qu’il attend d’être rejoint. Le Christ, humble, en prenant cette dernière place, vient rejoindre chacun d’entre nous là où il est au plus bas. Et quand je disais que cet évangile, à la deuxième personne, s’adressait à chacun d’entre nous, nous voyons bien ici que ce n’est pas pour nous culpabiliser, nous moraliser, mais pour nous laisser rejoindre par le Christ, pour nous découvrir rejoint par lui dans ce qu’il y a de dernier en nous. Et c’est de cette découverte, découverte de la miséricorde et de la fidélité de Dieu, que nous pouvons partir, « faire route » comme le dit l’évangile, pour aller vers Dieu et vers nos frères et sœurs, c’est-à-dire à la première place. Ce chemin n’est donc pas d’abord un chemin d’humiliation, mais un chemin d’humilité, chemin de bonheur : « heureux seras-tu », nous dit Jésus (14).

Nous sommes invités à nous découvrir rejoints par le Christ. Lui nous rejoint, mais nous, le rejoignons-nous ? Quelle place lui donnons-nous à notre table ? Car le Christ ne s’impose pas, il ne « s’installe à la première place » (10), nous l’avons dit, il prend la dernière. Et nous, que faisons-nous ? Et s’il prenait la première place, ne viendrions-nous pas rapidement lui « dire : ‘Cède ta place’ » (9), pour l’offrir à nos idoles, nos facilités, nos fuites ?

Dans notre quête spirituelle, bien souvent nous attendons de Dieu qu’il nous éclaire, qu’il nous facilite le chemin, qu’il nous fasse progresser d’un coup, « avance(r) plus haut » (10), comme dit encore le texte. Mais peut-être, là aussi avec l’emploi de la deuxième personne, Jésus nous dit que c’est à nous d’être acteur. Nous attendons que le Christ nous invite à son repas, qu’il nous mette près de lui, mais ici c’est à nous de l’inviter et de le faire monter plus haut, de libérer la place à nos côtés pour la lui offrir. Est-ce cela que nous voulons ? Est-ce vraiment avec lui que nous voulons partager le repas ? Est-ce vraiment avec lui que nous voulons vivre le temps de la fête ?

Nous avons commencé cette célébration en reconnaissant que nous sommes pécheurs ; peut-être était-ce notre façon de prendre la dernière place. Que cette eucharistie nous donne la grâce de découvrir le Christ nous rejoignant et nous disant : « Mon ami, avance plus haut ».