25e dimanche ordinaire B

(Marc 9,30-37)

Septembre 2021

Frères et Sœurs, dimanche dernier nous avons entendu l’évangile où Pierre professe que Jésus est le Christ, confession suivie par la première annonce de la Passion ; et ce matin, voici la seconde annonce. De même, dimanche dernier nous entendions Pierre exprimer son désaccord avec Jésus, et ce matin nous découvrons là encore l’incompréhension des disciples.

 

Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous pouvons aisément les comprendre car, finalement, ni eux, ni nous, ne marchons à la suite de Jésus pour aller à l’échec et la souffrance. Mais c’est parfois parce que nous avons imaginé une vie plus facile, qui en quelque sorte nous épargnerait certaines contingences de ce monde, que nous nous sommes mis en route derrière lui.

Mais voilà qu’être chrétien, c’est lier sa vie à celle de Jésus, et donc lier son sort au sien. Et c’est pourquoi il nous est si difficile d’entendre ces annonces de la Passion. Nous continuons de désirer un chemin plus commode, voire même valorisant, un peu comme les disciples qui « discutaient entre eux pour savoir qui était le plus grand » (34). La preuve en est avec la troisième annonce de la Passion où cette fois les disciples semblent comme effrayés, prenant davantage conscience que les événements ne se dérouleront pas tout à fait comme ils les avaient prévus, mais où, aussitôt après, Jacques et Jean demandent les deux premières places, comme si, après tout, ils pouvaient, eux, nous, échapper au destin exigeant qui semble se dessiner.

Non, nous ne sommes pas chrétiens, nous ne sommes pas moines, pour échapper à la réalité de la vie, mais au contraire pour vivre profondément, quotidiennement cette réalité, et la vivre, avec le Christ ; et avoir ce privilège, non pas tant de vivre avec lui, que de le savoir, et pour nous, et pour tout homme.

Jésus, que nous suivons, nous indique ce matin, chaque matin, le chemin de cette réalité à vivre avec lui, et cela par deux paroles : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » ; et « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

Remarquons que ces paroles, c’est à la maison qu’il les prononce, c’est-à-dire dans le lieu du quotidien et du banal ; dans le lieu du service concret, simple et répétitif ; dans le lieu de l’incarnation. C’est là, et pas ailleurs, que nous pouvons et même que nous devons devenir les plus grands, et cela en étant au service de celles et ceux qui nous entourent. Il n’y a pas ici, apparemment, une grande spiritualité, et pourtant, si comme nous le disions, être chrétien, c’est lier sa vie, son sort à la vie et au sort de Jésus, être chrétien c’est aussi, tout autant, se lier à la vie et au sort de nos frères et sœurs. La place du service est capitale pour nous - hommes, chrétiens, moines - et Marc nous le redira au moment de la croix, où les disciples ambitieux auront cette fois disparu, ce qui permettra à l’évangéliste de mettre en valeur, à la première place, ces femmes « qui, écrit-il, suivaient Jésus et le servaient » (15,41). C’est le service qui leur donnera de suivre Jésus réellement, jusqu’au bout et sans illusion, jusqu'à l'épreuve de la croix, mais alors, mais aussi, jusqu'à la première annonce de la Résurrection et de la Vie.

Pour bien nous faire comprendre la place du service dans nos vies et dans notre foi, Jésus prend un enfant en exemple, l’enfant qui, à son époque, était sans-droit, insignifiant, à la dernière place, parce qu'impuissant et fragile. Or, en prenant cet enfant, Jésus déplace la question du plus grand, sur une autre question qui devrait nous apparaître plus intéressante : c’est celle de la valeur du petit. Et pour indiquer que cette valeur est grande, toujours grande, quelles que soient les circonstances, il le place au milieu, au centre et il l’embrasse. Jésus veut nous faire découvrir la grandeur du petit, pour donner à notre vie de la hauteur et de l’espace ; pour l’ouvrir et l’élargir. Vouloir, à l’instar des disciples, être le plus grand, c’est inévitablement s’enfermer dans un personnage dont la vie se rétrécira. Suivre le Christ, poser comme lui son regard sur le petit, c’est alors s’ouvrir, au cœur même de la réalité de la vie, à un espace inconnu jusqu’alors. Car le petit, l’insignifiant, est celui auquel le Christ s’est assimilé. C’est lui qui tient lieu et place de Dieu, qui devient le lieu ordinaire de révélation d’un Dieu qui ne prend pas bruyamment la première place, mais qui se fait petit comme à Bethléem, discret comme à Nazareth, insignifiant comme au Golgotha.

Qu’en cette eucharistie, notre regard puisse être davantage conformé à celui de Dieu quand il se pose sur les petits et sur celles et ceux qui les servent.