8e dimanche ordinaire A - Février 2017

Aujourd’hui, avec cet évangile, Jésus nous interpelle directement sur le sens de notre vie. Qui servons-nous ? Qui est notre maître ? De quoi et pourquoi nous inquiétons-nous ? Et donc, qu’est-ce qui nous fait vivre ? Qu’est-ce qui nous motive et nous fait agir ? L’argent ? Le pouvoir ? Le savoir ? L’orgueil ? Le regard des autres ? Le plaisir ? Ou encore l’amour ? La justice ? L’espérance ou la foi ? Etc.

 

Bien sûr, Jésus nous invite à prendre le bon chemin, à vivre, en quelque sorte, la vraie vie, et non pas à nous perdre, nous noyer, dans ce qui ne peut nourrir. En prenant l’exemple des oiseaux du ciel et des lys des champs, il nous tourne vers le Dieu créateur, Celui qui donne son sens, sa direction, à la vie, Celui qui sait ce dont nous avons besoin. Il ne s’agit pas d’une invitation à l’insouciance, d’un revenu universel avant l’heure, mais de mettre les choses à leur juste place. L’actualité d’ici ou d’ailleurs nous rappelle combien d’hommes, de femmes et d’enfants ont besoin d’une aide matérielle, mais celle-ci devrait toujours être la traduction en acte de la fraternité, du destin commun qui nous rassemble.

Voici un fait qui illustre ces paroles de Jésus : « La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? » Dans un pays, un discours de repli sur soi et d’exclusion de l’autre, et puis finalement de haine, s’est fait entendre. Un homme l’a écouté et l’a fait sien. Quand la guerre civile a éclaté, il y a pris sa part de cruauté. Puis, ce fut la défaite, l’exil et un immense camp de fortune où, dépourvus de tout, des jésuites essayaient d’agir avec ce que nous pourrions appeler « 5 pains et 2 poissons » (Mt 14,17). Mais puisque « l’homme ne vit pas seulement de pain » (Mt 4,4), ces religieux offraient aussi les sacrements, des célébrations et la catéchèse. Or, dans cette misère, sous sa tente de plastique, cet homme affirmait qu’il avait retrouvé sa maison. Enfin libéré d’une propagande de haine qui l’avait poussé à l’irréparable, sa maison c’était la Parole de Dieu ! C’était son cœur et son corps, sa vie et son monde, de nouveau habités, de nouveau habitables par une Parole de vie, par une présence d’amour, par un sens qui sonne juste.

Il s’agit certes d’un cas extrême, mais nous devons laisser interpeler notre manière de vivre, notre quotidien, par cet homme qui, du fond de sa misère, nous fait entrevoir le mystère et le trésor de l’existence, lui qui découvre combien notre Père sait ce dont nous avons besoin.

Notre Père le sait, mais nous, le savons-nous ? C’est peut-être cela la seule inquiétude que nous devrions avoir, l’inquiétude chrétienne : cette recherche « d’abord (du) royaume de Dieu et (de) sa justice » (Mt 6,33). Inquiétude car notre quête nous met sans cesse en mouvement sans pouvoir nous arrêter de peur de nous endormir. « Le fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Mt 8,20), et nous non plus.

Notre vie, notre route, notre nourriture et notre vêtement sont relation, et il s’agit donc pour nous de sans cesse chercher à s’ajuster à l’autre et par conséquent de consentir à se laisser mettre en mouvement, à se laisser bousculer, à s’engager. Le Père Michel de Certeau disait : « Les autres sont nos véritables voyages. »

Alors, frères et sœurs, comme le Christ s’est livré pour nous, comme il se donne en nourriture en cette eucharistie, nous avons à découvrir combien nous sommes nourriture les uns pour les autres. Ce que nous sommes, ce que nous partageons, participe à la croissance, à la nourriture de l’autre. Par contre, ce que nous refusons, ce que nous refermons sur nous-mêmes, nous le retirons à sa vie, à la vie, et à notre propre vie. Nous pouvons ici reprendre les questions que nous nous posions : Qui servons-nous ? Pour qui nous engageons-nous ? Pour nous seuls ou avec et pour les autres ? Et si nous sommes réellement au service les uns des autres ne pouvons-nous pas entrevoir, espérer que, comme le Père sait ce dont nous avons besoin, nos frères et sœurs savent ce dont nous avons besoin et prennent soin de nous quand les forces nous manquent ?

Nous savons tout ce qui en nous prend délibérément un autre chemin, choisit un autre maître, mais nous devons pourtant nous redire que c’est bien ainsi que doit vivre toute communauté humaine, toute communauté chrétienne : qu’elle soit un couple, une famille, une Eglise ou une communauté monastique.

Nous allons communier au Corps du Christ et ensemble nous formons son Corps. Mais ce mystère de vie n’est possible que si d’abord nous offrons le pain. Nous devons donc consentir à être du pain ! Demandons-nous où, quand, comment, dans notre quotidien, nous sommes du pain, de la nourriture, de la vie, pour les autres, et où, quand, comment, ils le sont pour nous ? Et face à ce don de vie, rendons grâce : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes ; nous te le présentons : il deviendra le pain de la vie. »