Jeudi, 6 mai 2021 – 5ème semaine de Pâques

Actes 15, 7-21; Jean 15, 9-11

H O M É L I E

          La dernière recommandation de Jésus à ses Apôtres, lors du dernier repas qu’il prend avec eux, est un appel à l’amour fraternel. De même, les récits des Actes des Apôtres que nous lisons durant ce Temps Pascal, nous montrent comment cet amour fraternel se vit concrètement, au sein d’une communauté, à travers des relations qui ne sont pas toujours nécessairement faciles. Cet amour se vit même parfois à travers la résolution de conflits.

 

          La lecture du Livre des Actes que nous venons d'entendre en est un bel exemple. Ce texte nous décrit une partie des délibérations du premier Concile œcuménique, celui de Jérusalem. 

Le thème de cette Assemblée de Jérusalem, était, pour le traduire en langage contemporain, celui de l'inculturation. La foi chrétienne est nécessairement inculturée.  Elle n'est pas simple assentiment de l'esprit à des vérités révélées.  Elle est la traduction du message évangélique dans la vie de tous les jours.   Et comme le message évangélique ne s'adresse pas à des individus isolés mais à une communauté de croyants, la foi a donc nécessairement une dimension culturelle.  Si bien que l'inculturation, loin d'être une préoccupation moderne, est une dimension essentielle de la foi.  Jésus avait vécu et exercé son ministère dans l'univers culturel juif.  Dès que son message fut transmis aux Nations, le problème de l'inculturation se posa avec acuité, dès le début; et les Actes des Apôtres nous décrivent la première résolution de ce problème.

          Le Jour de la Pentecôte les Apôtres s'adressent aux Juifs de Jérusalem et à ceux venus de toutes les parties de la diaspora, qui les entendent chacun dans sa langue.  Ce n'est qu'après la mort d'Étienne et le début de la première persécution que le diacre Philippe porte l'évangile en Samarie.  Lorsque Paul commence sa prédication, il incommode tout le monde, si bien que de Damas ont le fait passer de nuit à Jérusalem et de Jérusalem on l'expédie à Tarse d'où il était venu.  Puis la vision qu'a Pierre à Joppé avant sa rencontre avec Corneille lui révèle que la Loi d'Israël est dépassée et qu'elle ne peut être appliquée aux païens sur qui descend aussi l'Esprit de Dieu.  Enfin, lorsqu'on apprend à Jérusalem les fruits merveilleux de la première évangélisation à Antioche, on y dépêche Barnabé, qui a alors l'idée géniale d'aller à Tarse pour y chercher Paul qu'on y avait renvoyé de façon cavalière.  Toute l'histoire du christianisme aurait sans doute été radicalement différente si Barnabé n'avait pas eu cette initiative.

          Un dernier élément reste à mentionner, pour compléter le tableau dans lequel se situe le récit que nous venons de lire.  C'est qu'à la tête de l'Église de Jérusalem se trouve, depuis les débuts, non pas un des douze Apôtres, mais un certain Jacques, frère du Seigneur – sans doute un cousin de Jésus -- et qui incarne l'annonce de l'Évangile aux Juifs tout autant que Paul incarne cette annonce aux Nations.  Nous avons maintenant toutes les personnes en présence.  Quel était le problème?

          Un conflit était né à Antioche où des Chrétiens d'origine juive, venus de Jérusalem, voulaient imposer aux convertis venant du paganisme de suivre la loi de Moïse et de se faire circoncire.  On retrouve donc à Jérusalem, les Apôtres, autour de Pierre, puis Paul et Barnabé délégués par les Chrétiens d'Antioche, et enfin les Anciens de Jérusalem autour de Jacques, frère du Seigneur et épiscope de Jérusalem. La discussion était devenue vive, nous dit Luc dans son récit.  C'est alors que Pierre intervient, avec tout le poids que lui donne sa primauté.  Son intervention est suivie d'un moment de silence puis sa position est confirmée par Barnabé et Paul qui racontent les signes et les prodiges opérés par l'Esprit de Dieu chez les païens.  Et pourtant l'avis de Pierre n'est pas suivi.  La décision finale de l'Assemblée ne sera pas celle proposée par Pierre, qui ne veut rien imposer aux convertis du paganisme; ce sera plutôt un compromis proposé par Jacques, à mi-chemin entre la position de Pierre et celle des fidèles issus du pharisaïsme, qui voudraient imposer à tous l'application de la loi de Moïse.

          Cet exemple est pour nous tous plein d'instruction.  Il nous enseigne d'abord que les discussions – et même les discussions vives – font partie de la tradition ecclésiale la plus ancienne.  Il nous enseigne aussi que, contrairement à ce que voudraient tous les fondamentalismes, les règles de la vie chrétienne – et donc aussi de la vie monastique -- ne peuvent se déduire d'une façon purement logique et mathématique de principes abstraits.  L'art du compromis n'est pas simple exercice de politique opportuniste; le compromis est souvent exigé par le respect évangélique des différences. 

          Demandons à l’Esprit d’instaurer et de maintenir cette ouverture d’esprit et ce sens du dialogue au sein de notre Ordre, de chaque communauté de notre Ordre, de notre Église et de notre Société.

Armand VEILLEUX