14 septembre 2020 – Fête de la Croix glorieuse

Nb 21, 4-9 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17

H O M É L I E

          Nos missels tendent à donner à la fête d’aujourd’hui le nom de « Fête de la croix glorieuse ».  C’est sans doute là une très belle expression ; mais le nom traditionnel de cette fête, qui est une traduction littérale du nom grec, est celui de « Fête de l’Exaltation de la Sainte Croix ».  Le mot « exaltation » est admirablement ambigu.  Il peut désigner le mouvement consistant à élever la croix sur laquelle se trouve un condamné (dans l’acte même de la crucifixion), ou bien le mouvement consistant à élever la croix bien haut, en signe de triomphe, et pour lui rendre gloire.

 

          On retrouve une ambiguïté tout aussi forte dans les paroles de Jésus rapportées par Jean : « lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi ».  La Croix est au centre du paradoxe chrétien, ou plutôt elle en est la fine pointe : la vie vient de la mort, la croix est élevée pour donner la vie, un crucifié est source de vie. Ce paradoxe est le signe et l’avant-goût du grand renversement eschatologique des situations promis par Dieu : ceux qui pleurent se réjouiront, la femme stérile enfantera, les pauvres règneront, les affamés seront rassasiés et les morts vivront.

          L’hymne christologique cité par Paul dans le chapitre 2 de sa Lettre aux Philippiens, que nous avions comme seconde lecture, décrit bien comment l’exaltation suprême du Christ, dans sa résurrection, est un mouvement ascendant qui suit celui de sa descente parmi nous, dans son incarnation.  Lui, qui était égal à Dieu, il s’est abaissé, il s’est anéanti, il s’est fait obéissant jusqu’à la mort de la croix.  C’est pourquoi le Père l’a exalté et lui a donné le nom au-dessus de tout nom.

          Prendre sa croix, c’est-à-dire accepter de souffrir même lorsqu’on est innocent est une dimension essentielle de la marche à la suite du Christ.  De même en est-il du renoncement à soi-même et d’une obéissante imitation du Christ, qui prit sa propre croix par amour pour nous tous. 

          Pour être capables d’accepter la présence de la croix – ou de la souffrance – dans notre vie, tout comme pour être capables d’aimer et de nous laisser aimer, nous devons vaincre la peur.  Il y a dans l’être humain une peur innée de la souffrance, tout comme il y a une peur d’aimer et d’être aimé, en même temps que le désir d’aimer et d’être aimé.  En  réalité, pour croître, aussi bien humainement que spirituellement, il nous faut vaincre beaucoup de peurs.

          En premier lieu il nous faut nous défaire des peurs provenant de notre enfance et que nous avons peut-être traînées avec nous dans notre vie d’adulte – des peurs qui étaient peut-être fondées lorsque nous étions enfants, mais qui sont désormais tout à fait irrationnelles.  Parmi elles se trouve la peur de la souffrance, laquelle n’est sans doute jamais agréable, mais sans laquelle il n’y a pas de vie – pas de naissance et pas de croissance.

          Et puis il a toutes les peurs qui ne nous appartiennent pas, mais qui nous sont transmises : celles qui hantent des personnes qui nous sont chères et que nous faisons facilement nôtres ;  celles qui sont transmises par les moyens de communication et qui sont si facilement utilisées par les politiciens et les démagogues.  La date du 11 septembre 2001 demeurera le symbole de toutes nos peurs collectives, si facilement exploitées.

          Finalement il y a nos peurs à nous, celles qui ont un fondement dans nos existences personnelles, qui sont liées aux blessures du passé ou à l’expérience de nos propres péchés.  C’est surtout de celles-ci dont nous avons besoin d’être libérés – dont nous devons prier Dieu de nous libérer.  Être libérés de nos peurs ne signifie pas nécessairement les faire disparaître, mais empêcher qu’elles ne nous paralysent.  Jésus, au Jardin des Oliviers, à l’approche de sa descente suprême dans la mort, fut saisi d’angoisse au point de produire des sueurs de sang.  C’est dans la pleine acceptation de la souffrance, malgré l’angoisse et la peur, qu’il a mérité d’être exalté par son Père dans la gloire éternelle, après avoir été exalté (= élevé) sur le bois de la croix.

          « Lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi... » Parmi ceux et celles que Jésus a attirés à lui, du haut de sa croix, il y a eu Marie, sa mère. (Nous célébrerons d’ailleurs demain la fête de Notre-Dame des Douleurs).  Cette femme qui n’était certes pas étrangère elle-même à la souffrance et qui jadis avait cuit le pain quotidien de sa famille, nous a donné son Fils comme pain de vie. L’Eucharistie que nous célébrons chaque jour confère le pouvoir de la croix du Christ à toutes nos souffrances quotidiennes, petites ou grandes, comme aux souffrances de l’humanité, et nous permet ainsi de participer également à son exaltation à la droite du Père, c’est à dire à sa « croix glorieuse ».

Armand Veilleux