6 septembre 2020 – 23ème dimanche ordinaire « A »

Ez 33, 7-9 ; Rm 13, 8-10 ; Mt 18, 15-20

Homélie

          Comment juger de l’importance d’une personne ? Si l’on en croit la mode de ce qu’on appelle les « réseaux sociaux », ce qui démontre votre importance est le nombre d’amis que vous avez sur Facebook.  Si vous n’êtes pas trop important, vous aurez à peine quelques centaines d’amis.  Si vous êtes plus importants, vous en aurez des milliers ou des dizaines de milliers ! – Comment est-ce possible ? Il est déjà difficile de gérer une seule véritable amitié ! Comment peut-on en gérer des centaines ou des milliers ?  Évidemment le mot « ami » lui-même est dénaturé dans ce contexte. 

 

          Influencé par cette mentalité, on tend aussi à évaluer le succès d’un événement social, politique ou même religieux par le nombre de personnes qu’il a pu rassembler : dix mille, cent mille, un million ! -- Quel succès ! -- Jésus, dans l’Évangile que nous venons de lire, a une autre façon de compter : « Si deux d’entre vous… se mettent d’accord pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père » ; ou encore : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».

          La communion chrétienne est la communion entre des personnes et non l’appartenance à un groupe.  Comme cette communion ne peut être refermée sur elle-même mais doit s’élargir à la dimension du cœur de Dieu, elle engendre une communauté.  Cette communauté doit, bien sûr, vivre selon un certain idéal et se conformer à des exigences éthiques, mais le ciment qui l’unit est l’amour.  L’amour qui est ce en quoi, nous disait Paul dans la deuxième lecture, se résument tous les commandements.

          Cet amour est évidemment autre chose que l’amitié de Facebook. Il ne s’agit évidemment pas d’être les fans les uns des autres ou d’être tous les fans de la même personne, fût-ce du Christ.  Le Christ n’a d’ailleurs pas besoin de fans. Il s’agit de se prendre en charge mutuellement, d’accepter une responsabilité les uns à l’égard des autres et une responsabilité commune sur chacun des membres de la communauté. 

          Cette responsabilité consiste à permettre à chacun de se réaliser pleinement, c’est-à-dire à permettre à l’image de Dieu qu’il porte de se réaliser en plénitude selon la modalité propre à chacun.  Cela implique un devoir – un devoir qui est l’objet principal des paroles que Jésus adresse à ses disciples dans l’Évangile que nous venons de lire, et qu’on appelle communément le devoir de la correction fraternelle. Et le contexte dans lequel nous sont présentées ces paroles dans l’Évangile de Matthieu révèle évidemment ce que vivait la communauté matthéenne (c’est-à-dire celle réunie autour de Matthieu). Les fautes dont il est question ne sont pas de petites difficultés dans les relations personnelles, mais des fautes assez sérieuses pour nuire à l’ensemble de la communauté.

          Dans la correction fraternelle, il ne s’agit évidemment pas d’humilier l’autre personne, ou de la punir, ou encore de lui faire sentir notre ressentiment personnel.  Il s’agit plutôt d’aider cette personne à guérir une blessure, à se réconcilier avec elle-même et avec Dieu, à croître dans la droiture et la vérité.  C’est pourquoi la première démarche, celle qui, normalement, devrait suffire, est celle d’une intervention individuelle, de personne à personne. Si cela ne suffit pas, quelques autres personnes seront appelées à faire valoir leur amitié ou leur force de persuasion.  Et ce n’est que si cela ne suffit pas à corriger la situation, que l’ensemble de la communauté ecclésiale sera impliquée.

          Jésus conclut cet appel à la correction fraternelle par une réflexion surprenante et exigeante : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel ».  Il ne s’agit pas ici du pouvoir de pardonner les péchés, donné à Pierre et aux Apôtres.  Jésus s’adresse ici à la foule, à tous ceux qui désirent le suivre et être ses disciples.  Ce qu’il veut dire c’est que chaque fois qu’on aide une personne à se défaire des liens qui l’empêchent de croître, on lui permet de se libérer et de s’épanouir pour l’éternité et dans l’éternité ; mais chaque fois qu’on aurait pu aider une personne à sortir de son enfermement et de son péché et qu’on ne l’a pas fait, on assume une certaine responsabilité dans le fait qu’elle ne sera jamais déliée, qu’elle ne sera jamais faite totalement libre.  C’est une énorme responsabilité.

          L’Église d’aujourd’hui, au moins dans ce qu’on appelle les vieilles chrétientés, se trouve dans une situation qui n’est pas tellement différente de celle où se trouvaient les communautés chrétiennes au début de l’Église, au temps où Matthieu écrivait son Évangile.  L’Église est toujours à construire.  Celle d’aujourd’hui, comme celle d’alors, se construira à travers de petites communautés où l’on communie dans un amour vrai – un amour qui sait aller jusqu’à l’appel à la croissance, à travers la correction fraternelle.

Armand VEILLEUX