17 avril 2020 – vendredi dans l’octave de Pâques

Ac 4, 1-12 ; Jean 21, 1-14

Homélie

          En ce début du Temps Pascal, le lectionnaire liturgique, pour la première lecture de la messe, puise abondamment dans les premiers chapitres des Actes des Apôtres, qui nous décrivent l’expérience des Apôtres et de la première communauté chrétienne de Jérusalem, tout de suite après la mort et la résurrection de Jésus, et surtout après la Pentecôte.  Les Apôtres, qui étaient si pusillanimes à l’heure de la Passion, sont maintenant remplis de l’Esprit Saint et ils parlent publiquement et avec force au nom de Jésus, et accomplissent des miracles en son nom.  Lorsqu’on leur défend de le faire, ils répondent tout simplement qu’ils doivent obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.

 

          Il est intéressant de remarquer que le grand prêtre et le Sanhédrin, lorsqu’ils convoquent les Apôtres, ne mentionnent jamais le nom de Jésus. Après la guérison du paralytique par Pierre et Jean, ils leur demandent par quel pouvoir et au nom de qui il ont accompli cela, les Apôtres leur répondent que c’est au nom de Jésus, le Nazaréen, celui qu’eux ont crucifié et que le Père a ressuscité. Mais, eux, les grands prêtres et les scribes, n’utilisent jamais le nom de Jésus. Ils défendent simplement au Apôtres d’enseigneur en ce nom, et ils parlent de « cet homme », mais ils ne mentionnent jamais son nom. Pourquoi ce refus d’utiliser le nom de Jésus ?  Je ne crois pas qu’il s’agisse de mépris ou de manque de respect. C’était probablement plutôt, de leur part, de la crainte ou de l’appréhension.  Il y a un pouvoir dans un nom.  Et lorsque vous utilisez ce nom vous ne savez pas ce qui peut arriver.  Ils ne veulent pas croire en Jésus ; mais ils ne sont pas absolument sûrs qu’il ne vient pas de Dieu.

          Qu’est-ce qu’un nom ? Dans toutes les cultures anciennes, y compris celle d’Israël, comme dans de nombreuses cultures encore aujourd’hui, le nom n’est pas simplement une étiquette qu’on met sur une personne pour l’identifier. Ce n’est pas un simple signe d’identification. C’est quelque chose qui exprime la nature même, l’identité propre de la personne. Ce nom est donc rarement utilisé.  Dans la culture Ashanti, au Ghana, par exemple, le nom qui est donné à un enfant à sa naissance, et qui est souvent celui d’un ancêtre, conditionne toute son existence.  C’est quelque chose de sacré, en quelque sorte, et ce nom sera très rarement utilisé.  Dans la vie courante on utilise d’autres noms correspondant par exemple au jour de la semaine où l’on est né ou à son rang dans la famille.

          Dans la Bible, quand Moïse reçoit la mission de libérer son peuple, il veut savoir « en quel nom » il fera cela.  Il sait que le peuple lui demandera : « En quel nom agis-tu ainsi ? » De même, les Scribes et les Docteurs de la Loi, dans l’Évangile, demandent à Jésus en quel nom il accomplit ses miracles.  Ils ne peuvent pas nier les miracles, qui sont évidents, mais ils veulent savoir de qui vient à Jésus le pouvoir de les accomplir. Quant à Moïse, il reçoit une réponse mystérieuse qui est, comme nous le savons, le nom de Yahvé, qui n’est pas simplement le nom de Dieu, mais le nom au-dessus de tout nom, Le Nom par excellence, le nom dans lequel réside tout pouvoir.

          Saint Paul, dans sa Lettre aux Philippiens, parle de Jésus qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix – c’est pourquoi le Père l’a exalté et lui a donné « le nom » qui est au-dessus de tout nom, c’est-à-dire le nom de Kurios, le nom de Yahvé.

          Agir au nom d’une personne c’est utiliser le pouvoir de cette personne, c’est participer à son identité.  C’est en quelque sorte être transformé en cette personne.  Lorsque Pierre, quelques jours après la Pentecôte, rencontre un mendiant infirme, il lui dit : « Je n’ai pas d’argent ou d’or mais ce que j’ai je te le donne.  Au nom de Jésus, prends ton grabat et marche. » Par le pouvoir de ce nom de Jésus, le mendiant est guéri.  Et c’est pour cette raison que le grand prêtre veut empêcher les Apôtres d’agir  en « ce nom ». 

          Mais puisque « ce » nom est devenu « leur » nom, parce qu’ils ont été transformés en agissant et en prêchant au nom de Jésus, les Apôtres ne peuvent plus s’empêcher de le faire. Ce serait être dépouillé de leur propre identité.  Et lorsqu’ils sont roués de coups de fouets, ils quittent le Sanhédrin pleins de joie d’avoir été jugés dignes de mauvais traitements à cause de ce Nom.

          Quand nous célébrons la liturgie, c’est en ce Nom que nous sommes rassemblés.  Jésus a dit : « Chaque fois que deux ou trois seront assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » et encore : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. »  Il est donc en ce moment même au milieu de nous.  Il est celui qui fait de nous tous une communauté.  En son nom, prions les uns pour autres et pour toute l’humanité.  Demandons-lui d’avoir le courage de parler en son nom, et même de souffrir si nécessaire, pour « Le nom » qui est à la fois le sien et celui de son Père. 

Armand Veilleux