8 février 2009 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

Parlons d’excommunication

On a parlé beaucoup d’excommunication dans la presse et dans les divers autres media de communication ces derniers temps, à la suite de levée de l’excommunication contre les quatre évêques de la Fraternité saint Pie X, qui avaient été automatiquement excommuniés lorsqu’ils avaient été consacrés par Mgr. Lefebvre.C’est sans doute une occasion de réfléchir un peu sur le sens d’une excommunication. Et pour le faire j’aimerais partir d’un récit très charmant que l’on trouve dans un fragment ancien des Vies de saint Pachôme.

La scène se situe à l’époque où saint Pachôme, après sa conversion au christianisme et une période de vie anachorétique avec le vieillard Palamon, commence à réunir ses premiers disciples dans une communauté.Un jour deux frères de la communauté naissante se querellent.Le premier gifle le second et le second, oubliant qu’il devait présenter l’autre joue, selon le précepte de l’Évangile, gifle l’autre à son tour.On amène les deux frères devant Pachôme, qui est encore jeune supérieur, plein d’ardeur.Il décide de chasser le premier du monastère et d’excommunier le second pour une semaine.

Se produit alors une scène une peu classique, car on le retrouvera sous diverses formes dans d’autres écrits monastiques.Un vieillard se lève et dit : « Si Pachôme chasse ce frère parce qu’il est pécheur, alors je dois partir moi aussi, car je suis aussi pécheur.Et si quelqu’un ici n’est pas pécheur, il peut demeurer avec Pachôme ».Et tous les frères partent.Pachôme court après eux, les ramène à l’oratoire, où on pratique un rite de réconciliation, et lorsque tous les frères ont quitté l’oratoire Pachôme se retrouve tout seul.Plusieurs paroles de l’Écriture traitant du pardon des péchés lui reviennent à l’esprit, et il se dit à lui-même : « Si les frères viennent au monastère pour se convertir parce qu’ils sont pécheurs, quel droit ai-je de les expulser parce qu’ils sont pécheurs.C’est précisément pour cela qu’ils sont venus au monastère.Et, se rendant compte qu’il a manqué à la charité en étant trop sévère, il décide de s’excommunier lui-même de l’Eucharistie pour trois semaines.

C’est ce dernier point qui est le plus important dans tout le récit.Si quelqu’un, peut s’excommunier soi-même, comme Pachôme le fait, c’est que l’excommunication n’est pas conçue comme une peine ou une punition, mais tout simplement comme la reconnaissance du fait qu’on s’est soi-même séparé de la communion des frères en manquant à la charité ou à la communion.

La réalité centrale est celle de la communion (en grec : koinonia). Lorsque quelqu’un, soit par un acte grave ou par une attitude, se coupe de la communion des frères, il s’excommunie lui-même.Et lorsque le supérieur prononce l’excommunication il n’impose pas arbitrairement une peine, mais fait simplement reconnaître officiellement le fait que le frère s’est séparé de la communion par son acte.

On retrouve une mentalité assez proche de celle-ci dans la Règle de saint Benoît, même si toute la section de la Règle sur l’excommunication est influencée par le droit romain, où le caractère juridique d’un tel acte est plus accentué.

Dans le droit actuel, depuis Vatican II et la Réforme du Droit Canon en 1983, il y beaucoup moins de cas d’excommunication qu’autrefois.Ils se répartissent en deux catégories : l’excommunication latae sententiae, c’est-à-dire celle qui est encourue ipso facto lorsqu’on fait tel acte ; et l’excommunication ferendae sententiae, qui résulte d’une décision de l’autorité ecclésiastique.Dans le cas de la première, intervient une déclaration de l’autorité qui, à proprement parler, n’excommunie pas la personne, mais déclare qu’elle s’est elle-même excommuniée.C’est la situation de Mgr. Lefebvre et des évêques qu’il a emportés dans son schisme en les ordonnant évêques sans l’accord de Rome.

Dans ce cas, le seul moyen pour l’excommunier de rentrer dans la pleine communion de l’Église est de se repentir et de faire amende honorable pour l’action qu’il a posé et de sortir de son état de rébellion.La levée de l’excommunication par l’autorité ecclésiastique ne fait normalement que reconnaître cette conversion.

Dans le cas de la récente levée par Benoît XVI de l’excommunication qui affectait les quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X, ce qui a compliqué les affaires c’est que les évêques en question ne semblent pas encore disposés à accepter Vatican II, en tout cas pas comme le reste de l’Église le comprend, et qu’ils sont plus préoccupés de convertir Rome à leurs vues que de se convertir au sensus Ecclesiae.Et Mgr. WillIamson, l’un de ces quatre évêques, semble avoir pris plaisir par ses déclarations intempestives sur la Shoah de faire échouer les efforts de réconciliation.

Le geste du Pape en a déconcerté plusieurs et les avis sont très partagés sur l’opportunité de ce geste et sur ses conséquences.De toute façon, ce qui est important est de bien voir que ce qui est en cause ici n’est pas simplement l’imposition d'une peine et sa levée, mais bien de la rupture de la communion et des moyens à mettre en oeuvre pour rétablir cette communion.

Armand VEILLEUX