B 11 MARC 04, 26-34 (5)

Scourmont : 13.06.2021

 

Frères et sœurs, quand Jésus a quitté ses apôtres le jour de l’Ascension, il leur a promis d’être avec eux « tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Il est donc avec nous tous les jours. Certains jours, nous pouvons avoir du mal à y croire. La lecture des médias nous dit tellement le contraire. Alors on s’interroge : où es-tu Seigneur quand on tue un peu partout, quand les épidémies conduisent à des morts affreuses, quand il y a tant de gens affamés jetés à la rue ? Où donc est Dieu dans notre monde ? Où est son Royaume ? Questions lancinantes à une époque où les croyants semblent se raréfier, où les hommes se déchirent de façon toujours plus violente.

 

Ce cri de désespoir était celui des habitants de Jérusalem (Ez 17,22-24). Déportés en exil loin de chez eux, ils sont complètement désemparés, voués à la destruction. Seuls quelques croyants demeurent fidèles. Le prophète Ézéchiel a assisté à la chute totale de Jérusalem. Mais il annonce à son peuple que rien n’est perdu. Ce qui n’est qu’une minuscule bouture va germer et devenir un grand arbre. Ceux qui sont totalement brisés, Dieu les fera revivre. La haine, la violence et le mal ne peuvent avoir le dernier mot. C’est l’amour qui triomphera. Le Seigneur va faire reverdir l’arbre sec, non pas à la manière des puissants de ce monde qui s’emparent des plus belles pièces, mais en choisissant une tige toute jeune plantée sur une montagne très élevée, qui deviendra un cèdre sous lequel habiteront les oiseaux. Quelques siècles plus tard, les chrétiens reconnaîtront en Jésus cloué sur la croix ce jeune rameau qui « attire à lui tous les hommes » (Jn 12,32). C’est une bonne nouvelle pour nous aujourd’hui. Car rien ne peut ébranler notre foi en un tel sauveur.

C’est aussi de cette espérance que Paul nous parle dans la 2e lettre aux Corinthiens (5,6-10). Les premières années du christianisme ont été marquées par des persécutions. L’apôtre Paul rencontre de nombreuses difficultés dans son ministère : « Cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un, trois fois j’ai été battu de verges, une fois j’ai été lapidé, trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme.  Fréquemment en voyage, j’ai été en péril sur les fleuves, en péril de la part des brigands, en péril de la part de ceux de ma nation, en péril de la part des païens, en péril dans les villes, en péril dans les déserts, en péril sur la mer, en péril parmi les faux frères » (2 Co 11,25-26). Qui d’entre nous peut en raconter autant ? Paul a l’impression de descendre à la mort. Mais il a la ferme certitude qu’à travers tout cela c’est la vraie vie qui est en train de germer. Il accepte avec joie l’existence et ses difficultés, car il est conscient d’être établi dès maintenant dans une relation d’amour avec Dieu. Ce message de réconfort est aussi une bonne nouvelle pour les chrétiens d’aujourd’hui. Si nous restons reliés au Christ, rien ne peut nous séparer de son amour (Rm 8,35-39).

L’Évangile de saint Marc (4,26-34) s’adresse aussi à des chrétiens désemparés. Après une brève période d’extension de la foi, ils se trouvent soumis à la persécution de l’empire romain. Leurs questions sont de tous les temps : elles surgiront de nouveau lorsque les invasions barbares détruiront ce même empire où la foi avait peu à peu réussi à germer. Dans ce monde perturbé, que deviennent les promesses du Christ ? Comment garder la foi devant tout ce qui nous désinstalle ?

Saint Marc nous rappelle les paroles de Jésus qui redonnent confiance. Il nous parle de cette semence qui germe et grandit toute seule. Elle semble n’être rien, mais sa force est immense. C’est à partir d’un tout petit rien, comme une graine de moutarde, comme le noyau du Big Bang, que Dieu se plaît à faire du grand, et même du très grand ! La semence, symbole de la Parole de Dieu, est porteuse d’une invincible puissance, d’une énergie qui n’est pas à la mesure humaine. C’est une manière de dire que le Royaume de Dieu est en gestation. Notre Dieu peut paraître absent mais son action est discrète et efficace.

La graine de moutarde, la plus petite de toutes les semences, grandit et dépasse toutes les plantes potagères une fois semée. Elle renvoie à la dimension spatiale de la fécondité : les oiseaux du ciel, symboles des nations païennes, pourront faire leur nid dans ses longues branches. La Parole est semée largement et ses fruits ne se limitent pas à un peuple ou à une communauté spécifique. Dieu s’adresse à l’univers. On lit dans la 4e prière eucharistique : « Dans ta miséricorde, tu es venu en aide à tous les hommes pour qu’ils te cherchent et puissent te trouver ».

La Parole agit également dans le temps : elle transcende l’époque où elle a été énoncée puisque nous sommes en train de la lire et de la prier, de la transmettre à notre tour. A son terme, elle atteindra l’univers entier, la moindre parcelle du cosmos, le plus petit des êtres vivants. Le Christ aux dimensions cosmiques, cher à Teilhard de Chardin, touche toutes les profondeurs par sa puissance de résurrection. Ainsi le commencement minuscule du ministère de Jésus est destiné à s’épanouir dans le rassemblement final de tous les hommes.

Certes, les contemporains de Jésus pouvaient percevoir des signes de la venue du Règne dans les réconciliations, les guérisons, l’expulsion des forces du Mal, une compréhension plus juste de Dieu. Mais pour reconnaître l’action de Dieu, il leur fallait à eux aussi le regard de la foi. Comme les disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35), nous reconnaissons la présence du Christ quand il nous explique les Écritures et qu’il nous partage son pain eucharistique. L’eucharistie est un repas dérisoire aux yeux de beaucoup, mais pour ceux qui savent reconnaître la force d’amour qu’elle manifeste, c’est une réalité explosive. C’est en elle que toute notre vie retrouve son sens. Nous découvrons que même dans les pires épreuves, Dieu est toujours là.

Concrètement, nous croyons que Dieu agit quand les ennemis enfin se parlent, quand des hommes, des femmes et des enfants sortent du cercle infernal de la rancune et de la violence pour faire des gestes de paix et de réconciliation. Dieu agit quand des savants inventent des moyens pour combattre les maladies. Il est présent quand des équipes s’organisent pour visiter des malades ou des prisonniers. Nous voyons aussi des SDF qui arrivent à lancer des journaux qui redonnent leur dignité à des exclus sur le point de sombrer. C’est ainsi que les signes de la présence de Dieu sont nombreux. Nous sommes comme le paysan de la parabole. Les choses se passent sans que nous n’en sachions rien et sans que nous comprenions comment.

Lucien Deiss nous faisait chanter : « Sans te voir, nous t’aimons, Sans te voir, Seigneur, nous croyons ». Qu’il nous donne la patience pour persévérer dans la construction d’un monde plus juste, plus solidaire et plus fraternel. Que notre vie unie à la sienne contribue à son règne dans le monde d’aujourd’hui. Amen.