A SAINTE TRINITÉ JEAN 03, 16-18 (12)

Mes chers frères, dans la première lecture que nous avons entendue aujourd’hui et qui est tirée du livre de l’Exode (34,4b-6.8-9), nous lisons : « Moïse se leva de bon matin, et il gravit la montagne du Sinaï comme le Seigneur le lui avait ordonné » (34,4b). Il me semble qu’il est bon de contempler l’action de Dieu et la présence mystérieuse de la Trinité dans le rythme ordinaire de la vie des hommes et dans notre propre existence.

 

La tradition chrétienne nous invite à commencer notre journée monastique et chacun de nos offices par le signe de la croix : au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit. Tous les jours, au matin, le Seigneur nous invite à nous lever en son nom. Nous demandons au Père d’habiter nos pensées et d’en prendre possession tout au long de la journée ; c’est le signe de la + sur le front. Nous demandons au Fils, Jésus, de prendre possession de notre cœur, de nos désirs, d’être au cœur de notre vie ; c’est le signe de la + sur la poitrine. Et enfin, nous marquons nos épaules du signe de la + en invoquant l’Esprit Saint pour qu’il nous donne la force de porter notre fardeau, de monter au Sinaï de notre vie, d’aller à la rencontre du Seigneur, qui vient vers nous de mille manières différentes tout au long de la journée.

Dans un recueil de méditations sur la Trinité, le cardinal jésuite Jean Daniélou écrivait : « Le monde à l’intérieur duquel nous vivons est un monde qui est rempli de la Trinité… Comme en fait notre existence personnelle a sa racine en Dieu, notre intériorité jaillit perpétuellement de la Trinité, en sorte que c’est en Dieu que nous baignons quand nous rentrons à l’intérieur de nous-mêmes »[1]. « Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous » (Lc 17,21).

Moïse part donc à la rencontre de Dieu et découvre son visage miséricordieux. Le Seigneur se manifeste à lui et Moïse manifeste à Dieu le désir profond de son cœur : « S’il est vrai, Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous » (Ex 34,9). Or le Père nous envoie son Fils, l’Emmanuel, Dieu avec nous, au milieu de nous, et le Fils nous envoie l’Esprit Saint qui nous introduit dans le mystère de la Trinité, lui qui procède du Père et du Fils.

Mais où est Dieu ? Le monde cherche Dieu, mais pas n’importe quelle image de Dieu. Notre monde a soif du Dieu d’amour et de paix dont parle saint Paul dans la deuxième épître aux Corinthiens (13,01-13). L’amour existe là où il y a communion de personnes. Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes invités à découvrir l’image de la Trinité en nous, inscrite dans notre propre corps, fait pour aimer. Le mystère de la Trinité est un appel clair à vivre la communion dans la diversité des personnes, à modeler et à bâtir nos relations à l’image du Dieu d’amour. C’est justement dans les communautés où l’esprit trinitaire, l’esprit de la charité, règne, que les hommes peuvent voir et faire une rencontre de Dieu. Ne disait-on pas des premiers chrétiens : « Voyez comme ils s’aiment ». Un pas important pour la rencontre de Dieu.

Voilà pourquoi la page de l’Exode choisie comme première lecture est si éclairante en ce dimanche. Le Dieu que Jésus appelle Père n’est autre que le Dieu de tendresse et de pitié qui s’est révélé à Moïse sur la montagne. À sa suite, l’Évangile nous annonce une grande joie : Dieu, riche en miséricorde, a donné son Fils unique, « non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,17). « Tout homme qui croit en lui (…) obtiendra la vie éternelle » (Jn 3,16). Dieu en effet aurait des raisons pour condamner le monde, pour l’abandonner à son propre sort, puisque si souvent nos œuvres sont mauvaises, notre cœur égoïste, notre volonté tordue.

L’histoire de la première alliance, si bien résumée dans le livre des Chroniques (c. 36), décrit la perversion des hommes qui n’ont plus besoin de Dieu et qui subissent les conséquences de leur choix : la dévastation de Jérusalem. Et par contraste, nous voyons la grandeur de Dieu qui donne un nouveau commencement à son peuple, par l’intermédiaire d’un roi clément et raisonnable, Cyrus, prince de Perse, qui est ouvert à la vérité et recherche Dieu.

De même la vie chrétienne signifie dans l’existence individuelle et collective une nouvelle naissance. La foi en Dieu, si elle est réelle, inscrit une différence nette et décisive dans la vie : tous les actes en sont influencés, depuis ceux des devoirs, en passant par les responsabilités de vie selon son état, dans l’exercice d’un métier ou au foyer, jusqu’aux actions les plus insignifiantes, comme les loisirs, les travaux pratiques d’entretien de nos propres biens ou les joies et peines de la vie.

Le serpent de bronze, élevé par Moïse dans le désert, est une préfiguration de l’élévation de Jésus en croix. De même que tous ceux qui ont élevé le regard vers le serpent de bronze furent guéris de la morsure venimeuse des serpents (Nb 21,2-4), ainsi tout homme qui accueille le Christ dans sa vie avec un regard de foi sera guéri de la morsure du péché et échappera au jugement.

Le Christ en croix est la lumière d’amour et de miséricorde de Dieu qui est venue en ce monde. Le message central du Fils en remettant l’Esprit est « Père, pardonne-leur » (Lc 23,34). Par sa souffrance, Jésus se rend solidaire avec tous ceux qui souffrent dans leur corps ou dans leurs cœurs. En lui, il crucifie le péché du monde – notre péché. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16). Ces verbes aimer et donner disent ce qu’est la Trinité pour nous : un don gratuit qui nous aide à grandir. Chers frères, tout comme Moïse, le Seigneur nous invite à gravir la montagne de la rencontre et à accueillir l’amour puissant de Dieu : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger » (Mt 11,28-30).

 

[1] Jean Daniélou, La Trinité et le mystère de l’existence, Paris, DDB, 1992.