Chimay : 03.08.2025
Frères et sœurs, en cette période de vacances d’été, les textes liturgiques nous proposent de réfléchir sur les biens matériels. Oui, bien sûr, nous en avons besoin pour assurer notre quotidien. Mais le vrai problème est ailleurs : on se donne beaucoup de peine pour accumuler les richesses ; on fait preuve d’ingéniosité ; on s’impose des fatigues qui ruinent la santé, l’union des foyers, l’éducation des enfants. Le confort matériel, c’est bien, mais si notre vie n’est pas remplie d’amour, il manque l’essentiel, ne trouvez-vous pas ?
Dans une de ses homélies, le pape François nous disait que « la cupidité est une idolâtrie ». Il nous recommande de la combattre avec la capacité de partager, de donner et de se donner aux autres. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, quelqu’un vient demander à Jésus de se faire l’arbitre dans ses problèmes d’héritage : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage » (Lc 12,13). Jésus refuse d’être juge dans cette affaire. Il en profite pour dire qu’il y a des richesses que nous n’emporterons pas au paradis : « Ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? » (Lc 12,21).
Pour mieux se faire comprendre, Jésus raconte une parabole. Il nous parle d’un homme riche « dont le domaine avait bien rapporté » (Lc 12,16) ; son grand souci, c’est qu’il n’a pas assez d’espace pour entreposer toute cette récolte. Ce que Jésus dénonce dans cette histoire, ce ne sont pas les richesses, mais l’attachement aux richesses. Ailleurs, il nous dit « qu’il est très difficile à un homme attaché aux richesses d’entrer dans le Royaume des cieux » (Mt 19,24). Le pape François précisait que cet attachement immodéré aux richesses est une idolâtrie ; nous sommes en face de deux dieux : « Dieu le vivant… et le dieu d’or dans lequel je mets ma sécurité »[1].
Il ne faut jamais oublier que la terre et ses richesses ont été créées par Dieu. Elles continuent à lui appartenir. Il nous les a confiées pour que nous les fassions fructifier au bénéfice de tous ses enfants. Nous avons le droit d’en user mais pas celui d’en abuser. Par la bouche de Jésus, Dieu traite de fous ceux qui s’y laissent enfermer. Ils s’enferment devant le veau d’or ; ils oublient d’aimer Dieu et le prochain. En cette période d’été et de dépenses, cela vaut la peine de réfléchir sur le vrai sens de la vie. Car nous savons bien que les richesses, petites ou grandes, risquent de nous empêcher de prendre l’Évangile au sérieux et de peiner en vain : « Que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » (Qo 2,22).
Pour Jésus, le seul bonheur qui dure, c’est la rencontre avec Dieu, c’est d’être « riche en vue de Dieu » (Lc 12,21). Nous sommes tous riches des richesses de Dieu, de sa joie, de son amour, de son pardon. Ces richesses-là, on peut même les offrir aux autres. Nous connaissons tous des hommes, des femmes et même des enfants qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour aider les autres à profiter d’une vie meilleure.
Ce qui fait la valeur d’une vie c’est précisément notre amour de tous les jours pour tous ceux et celles qui nous entourent. Pour comprendre cela, c’est vers la croix du Christ qu’il nous faut regarder : il s’est donné jusqu’au bout. Il nous a aimés « comme on n’a jamais aimé » (Maurice Debaisieux). Lui-même nous recommande de nous aimer les uns les autres « comme il nous a aimés » (autant qu’il nous a aimés) (Jn 13,34). Nous voyons bien que nous, pauvres pécheurs, nous sommes loin du compte. Mais l’important c’est d’accueillir cet amour qui vient de lui ; c’est une richesse qu’il nous invite à communiquer au monde.
Cet Évangile est une très belle réponse au regard désabusé de Qohèleth (Qo 1,2 ; 2,21-23) : « Qu’est-ce qui fait le prix d’un homme ? Les biens qu’il amasse ? Non ! Tout cela n’est que du vent, nous dit Qohèleth l’Ecclésiaste. « On se donne beaucoup de peine, puis un jour, il faut tout laisser ». Saint Paul (Col 3,1-5.9-11) nous invite à faire mourir « tout ce qui n’appartient qu’à la terre… en particulier cette soif de posséder qui n’est qu’idolâtrie » (Col 3,5). Si nous voulons trouver le Christ, nous devons « rechercher les réalités d’en haut » (Col 3,1). Ces réalités s’appellent justice, amour, charité. N’oublions jamais qu’au jour de notre baptême, nous avons été plongés dans cet océan d’amour qui est en Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Avec lui, plus rien ne peut être comme avant. C’est une vie entièrement renouvelée qui s’ouvre devant nous. Pour Paul, l’homme accompli, c’est celui qui est conforme à Jésus Christ. C’est vers lui que nous devons orienter notre existence. « Puissiez-vous connaître son amour – bien que personne ne parvienne à le connaître parfaitement – et être ainsi remplis de toute la plénitude de Dieu » (Col 3,19).
Nous sommes donc tous invités à édifier le monde des hommes non sur la fortune de quelques-uns mais sur la justice qu’inspire l’amour. Alors, plus que jamais, nous accueillons cet appel à la conversion : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur » (Ps 94,8).
Les héritiers querelleurs et l’homme riche de l’Évangile nous renvoient à l’avidité ou à la soif de posséder, à la convoitise ou au désir non contrôlé de s’approprier ce qui passe à portée de main, à la tentation de s’établir dans la fausse sécurité que donne l’avoir. « Je possède beaucoup de biens. Je suis riche, donc je suis ! » Cette question, la Bible l’aborde dès le chapitre 3 de la Genèse : « La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre... » (Gn 3,6). La convoitise aliène la femme, lui fait oublier la relation à Dieu, son Créateur, dont la Parole de vie prévient le retour toujours possible au chaos : « Pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez” » (Gn 3,3).
Saint Paul assimile l’avidité à une idolâtrie, sachant que, dans le judaïsme, l’idolâtrie se définit, entre autres, comme la faculté de mettre le relatif à la place de l’absolu. L’idole coupe le croyant d’avec Dieu et lui fait oublier la richesse de l’être-en-relation avec lui et avec les autres, vite perçus comme des menaces pour qui met l’avoir avant toutes choses. Dans l’épisode du veau d’or qu’on lit au livre de l’Exode, il est dit que « le peuple s’était fait de nombreux dieux en or » (Ex 32,32). Quels sont les veaux d’or qui prennent la place de Dieu dans nos vies ?
L’Évangile d’aujourd’hui est une invitation à relire notre vie : qui plaçons-nous en premier ? Avons-nous des veaux d’or ? Qu’est-ce qui nous sépare de Dieu et des autres ? Avons-nous conscience du don qu’est la vie ? Une vie qui est relation et joie, et dont la source est en Dieu. Rappelons-nous que seul « l’amour ne passera pas » (1 Co 13,8) et a valeur d’éternité, cet amour qui est l’Esprit Saint répandu en nos cœurs (Rm 5,5). Or l’Esprit, si nous en croyons saint Luc, est la richesse que le Père ne peut nous refuser (Lc 11,13).
[1] L’Osservatore Romano, Édition hebdomadaire n° 44 du 29 octobre 2015.