C 16 LUC 10,38-42 (19)
Chimay : 20.07.2025
Frères et sœurs, autant l’accueil d’Abraham aux chênes de Mambré que celui de Marthe et Marie à Béthanie sollicitent la qualité de notre hospitalité. Abraham se montre très généreux envers les trois hommes qui s’approchent : galettes, fromage blanc, lait, veau. Mais combien Dieu fera encore mieux quand il lui promettra un fils. Jésus, d’autre part, est accueilli dans la maison de Marthe et de Marie où s’élabore un repas de dernière minute. Choisir d’accueillir au lieu de subir la visite, voilà ce qui aide à bien recevoir.
Voilà donc deux récits très proches l’un de l’autre. Mais il y a entre eux une différence importante. Dans le texte de la Genèse (18,1-10), ce qui est mis en avant, c’est la générosité du patriarche qui accueille les trois hôtes. Dès que ces derniers s’approchent de sa tente, il court à leur rencontre, leur demande d’accepter son hospitalité, leur manifeste une disponibilité extraordinaire : « Mon Seigneur… Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre » (Gn 18,4). Ce qui est surprenant, c’est qu’il s’adresse à eux comme à une seule personne. Il les appelle “Mon Seigneur”
Il importe peu de savoir combien ils étaient. En fait, Abraham a compris qu’en donnant l’hospitalité à ces trois personnes, c’est Dieu qu’il accueille. Cet événement a beaucoup marqué la spiritualité orientale. Nous connaissons tous l’icône d’Andreï Roublev qui en donne une explication trinitaire. Avant lui, les Pères de l’Église avaient vu en ces trois personnages une image de la Trinité : trois personnes qui sont un seul Seigneur. C’est-à-dire qu’en pratiquant l’hospitalité, nous entrons en contact avec Dieu, Père, Fils et Saint Esprit.
Le Dieu d’Abraham vient à nous aujourd’hui. Nous ne voyons pas son image ; mais nous le reconnaissons dans cette assemblée. Ses traits sont parfois ceux de l’étranger que nous regardons à peine. Il est là, à travers le pauvre, le petit, l’immigré, l’exclu ; c’est lui qui frappe à notre porte. Au terme de notre vie, il nous dira : « Tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (25,40). C’est un appel pour chacun de nous à agir généreusement au service de Dieu et de nos frères
Dans l’évangile, nous lisons le témoignage de l’hospitalité de Marthe. Elle est attentive à servir Jésus et à tout faire pour qu’il se trouve à son aise dans sa maison. A côté de cette hyperactivité de Marthe, nous avons l’attitude totalement différente de Marie : elle s’est tout simplement assise aux pieds de Jésus pour l’écouter. Jésus fait comprendre à Marthe que cette seconde manière est la meilleure. Marthe s’affaire à la préparation du repas, tandis que Marie s’assoit aux pieds de Jésus dans l’attitude du disciple. Elle a choisi la meilleure part, dit Jésus, à propos de Marie.
Il est bien entendu que Jésus ne blâme pas les personnes qui accomplissent des tâches matérielles. Dans nos communautés, nous avons toujours besoin de Marthe, qui représente en quelque sorte les services essentiels. Jésus rappelle toutefois que le plus important, c’est l’attitude de Marie. Écouter la parole de quelqu’un, n’est-ce pas accueillir toute sa personne ? Un hôte est plus honoré quand on prend le temps de l’écouter et de comprendre ce qu’il vit. C’est encore plus vrai pour Jésus car il est « la Parole de Dieu ». Autant dire que ce récit nous invite à nous laisser unifier par la Parole de Dieu, efficace car porteuse de l’Esprit, et à vivre tout service en nous abreuvant à cette source qui jaillit « pour la vie éternelle » (Jn 4,14).
Quand on a ainsi accueilli la Parole de Dieu et qu’elle nous a réjouis, on ne peut que vouloir la communiquer aux autres. C’est ce que nous montre l’apôtre Paul dans l’épître aux Colossiens (Col 1,24-28). C’est avec beaucoup de zèle qu’il annonce le Christ ; il s’adresse à tous, en particulier aux païens. Il leur annonce que Dieu aime tous les hommes de toutes les nations. Il veut tous les unir pour les faire tous entrer dans une même grande famille. Cette lettre de Paul s’adresse aussi à nous aujourd’hui : elle nous invite à vraiment accueillir la Parole du Christ dans nos vies. Sans lui, nous n’avancerons pas. Avec lui nous pourrons collaborer à son œuvre de salut dans le monde. Il est l’âme de tout apostolat a écrit Dom Jean-Baptiste Chautard.
Qui a voyagé au Proche-Orient y a certainement déjà vu une table remplie de tellement de plats qu’on ne sait pas par où commencer... Marthe est occupée par toutes les choses à servir. Elle n’a pas la disponibilité pour être avec celui qu’elle reçoit. Il lui faudrait de l’aide, sa sœur devrait l’aider. Ainsi, elle pourrait mieux faire plaisir à Jésus en lui préparant un de ces bons repas dont elle a le secret. Mais un seul plat aurait suffi à Jésus. La meilleure part, c’est d’être avec celui qu’on reçoit. La meilleure part, c’est la rencontre. La meilleure part avec Jésus, c’est de le rencontrer lui, et de se laisser rencontrer par lui. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur », dit Jésus (Mt 6,21).
Où mon trésor est-il ? Dans la rencontre ? Dans le repas qui la rend possible ? Parce qu’elle met en lien avec l’invisible, la vie de foi est nécessairement pleine de symboles. Des gestes visibles et des paroles audibles permettent de vivre ce contact avec l’invisible. De manière analogue, dans nos rencontres humaines, des gestes et des paroles cherchent à exprimer la réalité invisible de l’amitié entre les personnes, de l’accord des cœurs et des esprits. Dans un repas de fête, la présence des amis est plus importante que la qualité de la nourriture. Mais nous serons toujours tentés, comme Marthe, d’accorder une importance plus grande aux symboles : apéritif, mets, digestif.
Recevoir de la visite ne s’improvise pas. Il y a des tâches à accomplir, pour ne pas être à la dernière minute et plus disposé à accueillir les visiteurs. Par contre, si quelqu’un arrive à l’improviste, cela peut nous rendre mal à l’aise. On est anxieux et donc moins disponible parce qu’on n’a pas pu se préparer comme il se doit. Jésus s’est-il annoncé à l’avance chez Marthe et Marie ? À voir l’attitude de Marthe qui s’affaire, on ne dirait pas ! Elle aurait eu raison d’être impatiente envers sa sœur... Pourtant, Marie, écoutant la Parole de Jésus, a choisi ce qui est prioritaire dans toute vie chrétienne. C’est cette Parole qui est à la source de notre action quotidienne. Cependant, nous sommes aussi appelés à être, à la suite de Marthe, au service les uns des autres.
Comme à Mambré et comme à Béthanie, le Seigneur continue à s’inviter. C’est ce qui se passe à chaque Eucharistie. Il reçoit nos offrandes mais c’est pour se donner lui-même : « Prenez et mangez… ». Pour nous orienter vers le repas eucharistique, il se tient à notre porte et il frappe ; il attend que nous lui ouvrions pour nous inviter à manger avec lui et lui avec nous (Ap 3,20). Il est toujours là pour nous offrir la meilleure part, la Parole de vie et le Pain du Royaume. Puis à la fin de la messe, nous sommes envoyés pour la porter à nos frères.
L’Eucharistie que nous allons célébrer renouvelle cette visite du Seigneur en notre temps. Confions-lui nos difficultés à vivre la seule chose nécessaire : l’aimer et aimer nos frères et sœurs.