C SAINT-SACREMENT LUC 09, 11b-17 (17)

Chimay : 22.06.2025

Eucharistie

Frères et sœurs, l’histoire de l’Eucharistie qui nous rassemble chaque dimanche s’enracine dans l’Ancien Testament et prend tout son sens dans le Nouveau. C’est ce que nous avons pu voir en écoutant les textes bibliques de ce jour. Dans la première lecture, nous avons entendu un passage du livre de la Genèse (Gn 14,18-20). Avec ce récit, nous sommes à l’aube de la première alliance. Abraham, le père des croyants a manifesté sa soumission filiale à Dieu. Il a remporté des victoires. Et aujourd’hui, nous le voyons, à la rencontre de Melchisédech, roi de Salem. Il rend un culte au Dieu très haut avec du pain et du vin. Il reçoit la bénédiction de Melchisédech en remerciement. L’offrande de la dîme au prêtre du Très-Haut est le signe de son acceptation du culte “selon Melchisédech”, mais surtout de sa reconnaissance envers Dieu. Il a voulu poser un geste sacré de gratitude ou d’action de grâce. Comme il a été chanceux à la guerre, il désire manifester sa joie pour que d’autres soient heureux avec lui. Son don préfigure l’Eucharistie

Au moment où Jésus entre à Jérusalem, il se prépare à conclure la nouvelle alliance. Il réalisera le sacerdoce “selon l’ordre de Melchisédech” avec le pain et le vin. Lui aussi bénit Dieu. Il apporte la bénédiction à tous ceux qui célèbrent le culte avec foi. Mais dans l’Eucharistie, il y a bien plus que du pain et du vin. Par la parole du Christ, ces éléments sont devenus son Corps et son Sang. Ce culte nouveau est l’accomplissement de ce qui n’était qu’une préfiguration de la part d’Abraham. L’offrande du Christ dépasse la simple remise de biens matériels. Il s’agit désormais du don de soi. Le Christ fait don de lui-même pour notre salut.

Dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 11,23-26), saint Paul nous transmet ce qu’il a reçu. Il s’adresse à une communauté divisée. Il lui rappelle que si le Christ est mort, c’est pour tous. Nous devons en tirer les conclusions : nous ne pouvons pas nous réunir pour le repas du Seigneur sans être attentifs les uns aux autres ; on doit donc s’examiner soi-même avant de manger ce pain et de boire à cette coupe. C’est pour cette raison qu’avant la communion, nous disons : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri » (Mt 8,8). Prononcée par tous, prêtres et assemblée, juste avant de communier, cette citation scripturaire exprime bien la foi eucharistique et l’attitude spirituelle qui en est la conséquence.

L’Évangile de la multiplication des pains nous prépare à l’Eucharistie. L’événement qui nous est rapporté se passe au soir d’une journée harassante. Les disciples voient bien que la foule a faim ; ils pensent qu’il vaudrait mieux la renvoyer. Mais Jésus ne l’entend pas ainsi ; s’adressant aux Douze, il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » (Lc 9,13). Et c’est le récit de la multiplication des pains. Avec cinq pains et deux poissons qu’on lui apporte, il va rassasier les foules.

Cet Évangile est une annonce de ce que sera l’Eucharistie. Nous y retrouvons les mêmes gestes de Jésus au soir du Jeudi Saint : « Il prit les pains et les poissons, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna… » (Lc 9,16). Voilà quatre verbes que nous retrouvons à chaque Eucharistie. Nous apportons le pain et le vin, fruit de la terre et du travail des hommes et des femmes, nous reconnaissons que tout vient de Dieu, nous ne sommes pas propriétaires de ces biens qu’il nous donne ; nous n’en sommes que des intendants. Ces richesses nous sont confiées pour le bien de tous.

Pour le docteur de l’Église saint Jean Chrysostome, Jésus lors de ce miracle se pose bel et bien comme le créateur du ciel et de la Terre. Il incite également par ce geste à prier avant tout repas, et il veut montrer l’importance du partage[1]. Des théologiens plus modernes diraient que la multiplication des pains est le symbole de la Parole donnée par le Christ, parole qui a nourri les peuples pour des siècles.

Pour saint Éphrem, Jésus donne généreusement sans compter lors de ce miracle. Il donne tellement qu’il en reste douze corbeilles. Le saint compare également Jésus à Moïse, Moïse qui avait nourri le peuple libéré de l’esclavage avec la manne tombée du ciel[2].

Pour Benoît xvi, ce geste messianique est symbole de partage fraternel, mais aussi symbole du chemin que devront suivre les apôtres à savoir transmettre la Bonne Nouvelle[3]. Benoit xvi met en exergue le fait que cette multiplication est le début de l’Eucharistie qui se perpétue jusqu’à aujourd’hui[4], et jusqu’à la fin des temps : « Je serai tous les jours avec vous jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20).

N’oublions pas : quand nous nous réunissons pour l’Eucharistie, nous ne sommes pas seuls devant le Seigneur. Toutes les prières utilisent le “nous” : “Nous te prions… nous t’offrons…” Nous sommes avec d’autres qui ont faim de pain, faim d’amour, faim de paix, faim de sens, faim de tendresse et de liberté. Ils sont avec moi et je ne peux pas les ignorer. L’amour du Christ embrasse en son cœur l’humanité tout entière et chacun personnellement. Chaque messe est célébrée pour l’humanité tout entière et pour chacun personnellement.

Toutefois, il est de tradition dans l’Église d’ajouter une intention particulière pour laquelle le prêtre célèbre l’Eucharistie. Tous peuvent demander qu’une messe soit célébrée pour telle ou telle intention ; nous prions pour “la multitude” et tout spécialement pour ceux qui nous sont recommandés. Demander de faire célébrer une messe, c’est donc entrer dans la prière de Jésus et de l’Eglise ; c’est confier à l’amour infini de Dieu une intention qui nous est chère ; nous pouvons faire célébrer une messe pour remercier Dieu, lui présenter une demande qui nous tient à cœur. Nous pouvons aussi lui confier nos défunts, car c’est l’amour du Christ qui les libère. Toutes ces intentions particulières viennent s’ajouter à la prière de toute l’Eglise. Elles sont présentées au Seigneur qui a livré son Corps et versé son Sang pour nous et pour la multitude.

L’Eucharistie est aussi une nourriture offerte à tous. C’est ce qui est signifié quand le prêtre présente l’hostie en disant : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde… » Ces paroles ne s’adressent pas seulement à l’assemblée présente dans l’église mais au monde entier. Le Seigneur présent au milieu de nous ne demande qu’à se donner à tous.

Si nous nous rassemblons à l’église, c’est donc pour répondre à l’invitation du Seigneur. Notre amour pour lui nous amène également à des temps d’adoration. Dans certaines églises, on en organise devant l’ostensoir. Aujourd’hui, l’ostensoir c’est nous : nous sommes créés par Dieu pour présenter son Fils au monde. Nous devons donc nous montrer dignes, extérieurement et intérieurement, de cette présence.

En ce jour, nous te prions, Seigneur : que le pain de ta Parole et de ton corps soit la nourriture qui nous permette de devenir signes d’espérance pour ce monde. Reste avec nous pour que nous soyons les témoins et les messagers de ton amour. Amen.

 

[1] Homélie 49 de Jean Chrysostome sur saint Matthieu, chapitre 2.

[2] Commentaire de l’Évangile concordant, 12, par saint Éphrem.

[3] Angélus du 31 juillet 2011 par Benoit XVI.

[4] Angélus du 29 juillet 2012 par Benoit XVI.