B CARÊME 02 MARC 09,02-10 (19)

Chimay : 25.02.2024

Frères et sœurs, l’événement de la Transfiguration a une fonction spécifique dans le cheminement de Jésus et de ses disciples. Il les emmena sur la montagne et il leur montra sa véritable personne avant de souffrir sa passion, sa puissance avant de mourir comme un condamné, sa gloire avant d’être outragé par la flagellation et sa royauté avant de subir l’ignominie de la crucifixion. « Ainsi, lorsqu’il serait pris et crucifié, ses apôtres comprendraient qu’il ne l’avait pas été par faiblesse, mais par consentement et de plein gré pour le salut du monde », écrit saint Éphrem (ive s.). De quoi approfondir notre foi dans le Christ et demander le secours l’Esprit Saint pour comprendre, sans quoi nul ne peut confesser la divinité de Jésus et dire : « Jésus est Seigneur » (1 Co 12,3).

Ce récit de la Transfiguration nous rappelle également que, pour nous, le temps de la vision n’est pas encore venu et il oriente notre attention vers l’écoute : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le » (Mc 9,7). Écouter pour parvenir au face-à-face, quand nous lui serons « semblables car nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3,2). Pour y parvenir, il n’est donc pas d’autre chemin que de méditer l’Écriture dans le silence du cœur, non seulement le Nouveau Testament mais aussi l’Ancien, comme nous le signifie la présence de Moïse et d’Élie – deux hommes de l’Ancien Testament qui, à des siècles de distance, ont écouté Dieu sur le mont Horeb ou Sinaï. Le premier y a reçu la Loi qui préserve les faibles, met en garde contre l’idolâtrie et son asservissement, permet enfin de parfaire la liberté acquise lors de la sortie d’Égypte (Ex 20,1-17). Le second quant à lui, y a découvert que Dieu pouvait se dire « dans le murmure d’une brise légère » (1 R 19,12) et non dans la violence à laquelle l’inclinait son zèle pour Dieu en faisant disparaître tous les prophètes de Baal (1 R 18,20-40).

« Écouter Dieu » est la chose la plus importante pour nous car il faut avoir une attitude d’écoute et d’attention pour percevoir l’Amour de Dieu dans notre vie. Sinon, le grand commandement de l’amour devient incompréhensible et même impossible à réaliser. En effet, pour être en mesure d’aimer Dieu de tout notre cœur, il faut avant tout avoir expérimenté son Amour. Sainte Thérèse d’Avila disait : « Il est plus important de se savoir aimé que d’aimer ». Puisqu’on ne peut pas aimer, si on n’a pas tout d’abord reçu l’Amour. Ainsi, plus on va écouter Dieu qui nous dit son Amour de 1000 et une manières, plus nous pourrons l’aimer comme il nous aime.

Tout au long du Carême, nous entendons un appel à revenir vers le Seigneur et à lui donner la première place. Dans le livre de la Genèse (Gn 22,1-18), nous découvrons Abraham qui a répondu à l’appel de Dieu par une disponibilité absolue. Mis à l’épreuve, il n’a pas refusé de sacrifier ce qu’il avait de plus précieux, Isaac son fils, l’enfant porteur de la promesse. S’il est prêt à sacrifier ce fils unique, c’est parce qu’il aime Dieu de tout son cœur. Son amour pour Dieu est plus grand que tout. Heureusement, grâce à sa foi, c’est une histoire qui finit bien : « Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique » (Gn 22,13).

Dans l’Évangile, nous avons écouté le récit de la Transfiguration : il nous montre le Christ plein de gloire qui répond à l’amour du Père. S’il est prêt à mourir pour manifester sa fidélité absolue au Père, c’est parce que le Père l’aime et qu’il aime le Père de toute ses forces. La seule manière de répondre à l’amour et à la tendresse de Dieu c’est de l’aimer « de tout notre cœur, de toutes nos forces et de tout notre esprit » (Mt 22,37).

Les Évangiles nous donnent de nombreux témoignages de cet amour sans limite : nous pensons à la Vierge Marie qui a dit : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1,38) ; en répondant à l’appel de Dieu, elle a fait l’offrande de toute sa vie. Dans l’épître aux Romains (8,31-34), saint Paul s’adresse à des chrétiens persécutés ; il leur adresse des paroles d’espérance et de réconfort : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Malgré les épreuves qui les accablent, il les invite à une confiance totale en Dieu ; lui-même s’est donné au Christ sans réserve.

L’Évangile nous montre les trois disciples qui font la découverte extraordinaire de Jésus transfiguré et lumineux. Ce rayonnement vient précisément de son amour sans réserve pour son Père et pour le monde entier, pour chacun et chacune de nous. Pierre voudrait rester là à fixer l’événement, à vivre de cet amour sans fin. Mais la voix du Père vient le rappeler à la vraie priorité : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le » (Mc 9,7). Nous devons écouter Jésus. Ce n’est pas le pape ni les évêques ni les prêtres qui disent cela, c’est Dieu lui-même qui nous le dit à tous. Le Seigneur est là au cœur de nos vies, de nos loisirs et de nos soucis. Mais trop souvent, nous sommes ailleurs. Nous organisons notre vie en dehors de lui. Nous ne sommes pas attentifs à sa présence.

Nous, disciples du Christ, nous sommes appelés à être des personnes qui écoutent sa voix et qui prennent au sérieux ses paroles. Pour écouter Jésus, il faut être proche de lui, il faut le suivre, il faut accueillir son enseignement. C’est ce que faisaient les foules de l’Évangile qui le poursuivaient sur les routes de Palestine. Le message qu’il leur transmettait était vraiment l’enseignement du Père. Cet enseignement, nous pouvons le trouver chaque jour dans l’Évangile ; quand nous le lisons, c’est vraiment Jésus qui nous parle, c’est sa Parole que nous écoutons.

Dans cet épisode de la Transfiguration, nous constatons deux moments significatifs : la montée et la descente. Le Seigneur nous appelle à l’écart, à monter sur la montagne. Comprenons bien, il ne s’agit pas de faire de l’alpinisme mais de trouver un lieu de silence et de recueillement pour mieux percevoir la voix du Seigneur. C’est ce que nous faisons dans la prière. Pendant l’été, beaucoup choisissent de passer quelques jours dans un monastère. Ils ont besoin de ce temps de ressourcement pour leur vie chrétienne.

Mais nous ne pouvons pas rester là. La rencontre avec Dieu dans la prière nous pousse à « redescendre » de la montagne. Les disciples qui ont vu le Christ resplendissant ont voulu immortaliser cette expérience spirituelle, mais Jésus les en a dissuadés et ils sont redescendus de la montagne. Nous sommes invités à retourner en bas, dans la plaine et à rejoindre le monde dans ce qu’il vit. Nous y trouverons tous ceux et celles qui sont accablés par le poids du fardeau, des maladies, des injustices, de l’ignorance, de la pauvreté matérielle et spirituelle. La Transfiguration a pour but de nous conforter dans la foi et de nous réconforter lorsque nous serons face à la Croix, pour parvenir à poser un acte de confiance en ce Dieu qui nous aime jusqu’au bout.

Cette page d’évangile renvoie à la Croix, mais à la Croix transfigurée, comme pour nous inviter à assumer notre fragilité, à accepter le manque, pour cultiver le désir et faire de la place en notre cœur : alors Dieu, par son Esprit Saint, pourra s’y installer durablement. Lui seul peut nous transfigurer et faire de nous de véritables disciples.