A 23 MATTHIEU 18, 15-20 (13)

Chimay : 10.09.2023

 

Frères et sœurs, en cette période de rentrée. Beaucoup d’activités communes, scolaires ou autres, reprennent leur cours. À cette occasion, il peut être utile de réfléchir à nos responsabilités. Qu’est-ce qui doit nous guider dans nos relations avec les autres ? Cette question se pose depuis toujours, mais elle occupe une place importante dans la liturgie de ce jour. Elle nous invite à mettre nos pas dans ceux de Jésus.

C’est ce qui se passe avec le prophète Ézéchiel au temps lointain de l’exil à Babylone (Ez 33,7-9). Nous le voyons se sentir responsable de sa communauté, non pas de leurs fautes, mais de leur faire entendre l’appel à la conversion. Le Seigneur l’appelle et il reçoit la mission de guetteur pour la maison d’Israël. Dieu ne lui demande pas de surveiller ses proches mais d’être un berger qui veille sur eux ; il doit tout faire pour les empêcher de prendre le mauvais chemin. Le psaume qui suit nous montre la route à suivre : « Écoutez la voix du Seigneur ; ne fermez pas votre cœur » (Ps 94,7-8).

Quelques siècles plus tard, saint Paul viendra apporter un éclairage nouveau (Rm 13,8-10). S’adressant aux chrétiens de Rome, il leur rappelle les éléments essentiels de la loi : tous les commandements de Dieu envers le prochain se résument dans l’amour. « L’amour ne fait rien de mal au prochain » (Rm 13,10). Donc pas d’adultère, pas de meurtre, pas de vol, pas de convoitise… Mais il invite à aller plus loin : « Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même… Le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour » (Rm 13,9-10).

L’Évangile vient préciser un aspect important de cette loi de l’amour, notamment en ce qui concerne les relations dans la communauté des disciples. La réconciliation d’un frère avec le Seigneur réclame de la communauté chrétienne beaucoup de délicatesse et de persévérance pour croire que rien n’est jamais perdu. Pour comprendre ce message, nous devons nous rappeler que nous sommes tous membres de la famille de Dieu et qu’il ne veut pas qu’un seul membre se perde. Il veut ramener à lui tous ses enfants dispersés. Il nous invite à partager son souci en nous aidant mutuellement à vivre en enfants de Dieu. Notre mission n’est pas d’épier le péché de notre frère mais de lui montrer le chemin qui peut le libérer et le sauver. Les moines avaient l’habitude d’appeler cela la correction fraternelle.

Nous ne devons jamais oublier que celui qui est blessé est d’abord notre frère. Avant d’être un coupable, il est un frère à aimer, un malade qu’il faut soigner et guérir. Il ne s’agit plus d’accuser ou de dénoncer mais d’avoir un regard fraternel qui accueille et redonne confiance. C’est cette attitude qu’a eue Jésus envers la Samaritaine, le bon larron, Zachée, Lévi, la femme adultère, Saint Pierre lui-même et tant d’autres. Il a eu une qualité d’écoute et un regard qui ont provoqué retournement et conversion. Donc la correction fraternelle est un acte de charité.

Si cette rencontre individuelle n’aboutit pas, Jésus nous invite à faire comme le médecin qui fait appel à un confrère : « Prends avec toi deux ou trois personnes… » (Mt 18,16). A deux ou trois, on y voit plus clair. On arrivera à mieux le persuader. Puis en cas de refus, on va le dire à la communauté de l’Église. Elle va tout faire pour le porter dans sa prière et le ramener à Dieu.

« S’il n’écoute pas l’Église, considère-le comme un païen et un publicain » (Mt 18,17). L’affaire est grave, mais ce n’est pas la condamnation finale qui exclut le pécheur. C’est lui qui s’est mis en dehors. Tout doit être entrepris par l’ensemble de la communauté pour ramener celui ou celle qui s’est égaré en prenant une mauvaise orientation. Nous connaissons tous la parabole de la brebis perdue (Lc 15,3-7). Son maître fait tout pour la retrouver. On dit parfois à la blague qu’actuellement, c’est tout le troupeau qui est perdu. Nous sommes donc tous concernés. Personne n’a le droit de dire que ce n’est pas son problème. Nous sommes tous responsables les uns des autres : un jour, Dieu nous posera la question : « Qu’as-tu fait de ton frère ? Écoute le sang de ton frère crier vers moi » (Gn 4,10).

Le discours que Jésus tient dans cet Évangile n’est pas très populaire dans la société d’aujourd’hui. En effet, l’une des fautes les plus impardonnables du xxie siècle est ce qu’on appelle l’intolérance. Il semble que tout doive être toléré et que personne n’ait le droit de s’ériger en juge de ce que font les autres. Ce message semble cohérent avec les indications du Seigneur qui déclare au chapitre 6 de l’Évangile de Saint Luc : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » (Lc 6,37). Mais il y a une grande différence entre ce que dit le Seigneur et le message qui est souvent relayé par notre société contemporaine. Dans les deux cas il apparaît comme une évidence que nous ne devons jamais juger les personnes. Cependant, dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Seigneur nous montre bien qu’il faut être capable d’évaluer et de condamner certains actes.   

Savoir reconnaître le mal lorsqu’on le voit, c’est aussi l’un des meilleurs moyens de protéger le bien. De nos jours, le relativisme très fort de la morale nous entraîne petit à petit à effacer la limite entre le bien et le mal et il devient de plus en plus difficile d’avoir les idées claires sur ce qui est tolérable et ce qui justement ne l’est pas. La peur de passer pour un puritain inflexible nous pousse souvent à nous taire et à ne pas confronter nos frères lorsque nous les voyons commettre quelque chose d’objectivement mauvais. Il est facile d’appeler du nom de tolérance ce qui en réalité est un acte de manque de courage de notre part. En effet, il faut bien souvent s’armer de courage pour pouvoir montrer notre vraie charité envers les autres en leur faisant remarquer une erreur. Personne n’aime avoir le mauvais rôle du trouble-fête.

En ce dimanche, frères et sœurs, nous découvrons quatre consignes parmi celles que Saint Matthieu a rassemblées. Elles nous invitent à faire de nos communautés de véritables petites Églises où vivent en harmonie des frères et des sœurs soucieux de progresser selon l’esprit de l’Évangile. Suivant la première consigne, ce progrès suppose que nous soyons prêts à nous faire aider par nos compagnons de route, écoliers que nous sommes tous dans le Royaume de Jésus. La deuxième consigne, reprenant une expression courante dans la littérature biblique, nous invite à discerner avec sagesse et courage ce qui, dans nos communautés, n’est pas conforme à l’Évangile. La troisième dit la force inouïe de la supplication portée par la communauté, quand chacun se fait solidaire des besoins de l’autre. On expérimente alors la valeur de la fraternité et de l’action de Dieu, Père attentif à chacun, dans sa vie.

Notre Évangile d’aujourd’hui se termine par un appel à nous unir dans la prière. Quand nous sommes réunis en son nom, Jésus est là. Il est présent aujourd’hui et agissant dans l’Eucharistie qui nous rassemble. Il nous rejoint pour mettre son amour en nos cœurs. C’est avec lui que nous pourrons refaire la communion qui est brisée. Et surtout, n’oublions jamais que pour gagner tous ses frères, Jésus s’est donné jusqu’au bout, jusqu’à la mort sur une croix, par amour. Alors « aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur » (Ps 94,7-8). Amen.