A 22 MATTHIEU 16, 21-27 (15)

Chimay : 03.09.2023

 

Frères et sœurs, dans le livre du prophète Isaïe, nous lisons cette parole du Seigneur : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55,8). C’est une manière de nous faire comprendre que nous avons sans cesse à nous ajuster à notre Dieu. Et nous voyons bien que ce n’est pas facile ; c’est ce qui se passe avec le prophète Jérémie (Jr 20,7-9) : il est envoyé par Dieu pour appeler son peuple à la conversion. Mais il se trouve affronté à des gens qui ne veulent rien entendre. On le considère comme un trouble-fête car il n’arrête pas d’annoncer des catastrophes imminentes. Il se voit rejeté de tous et il crie son désespoir. Il voudrait échapper à Dieu mais celui-ci l’a séduit. La parole est en lui comme un feu qu’il ne peut contenir. Il ne peut se taire car la vérité de Dieu est plus forte que lui.

C’était il y a longtemps ; mais aujourd’hui, cela n’a guère changé. Nous vivons dans une société qui se laisse imprégner par une mentalité qui est loin d’être biblique. L’Évangile nous invite à aller à contre-courant. Aujourd’hui comme autrefois, le Seigneur ne cesse de nous envoyer des prophètes pour nous dire et nous redire : « Convertissez-vous, sinon vous courez à la catastrophe » (Lc 13,5). Or ces appels ne sont pas pris au sérieux. Ils sont souvent tournés en dérision. Mais rien ni personne ne peut empêcher la progression de la Parole de Dieu. C’est à cette parole que nous devons nous ajuster chaque jour et non aux idées à la mode.

C’est exactement cet appel que nous lisons dans le témoignage de saint Paul (Rm 12,1-2). Après avoir été un persécuteur des chrétiens, il a changé de cap. Il s’est ajusté à Jésus Christ. Et aujourd’hui, il nous invite à faire de même : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu » (Rm 12,2). C’est en progressant dans l’amour que nous trouvons la vraie joie. Dieu est amour. Sa joie est d’aimer et de se donner avec une absolue générosité. Le sacrifice que Dieu attend de nous est une vie toute orientée vers le bien.

Dans l’Évangile, nous voyons Pierre qui a du mal à s’ajuster à Jésus. Dimanche dernier nous l’avons entendu faire une belle profession de foi. Il proclamait : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Jésus le proclamait « heureux ». Il lui a alors fait comprendre qu’il n’avait pas découvert cette vérité tout seul mais grâce à son Père du ciel. Mais il sait que ses disciples sont loin d’avoir tout compris. C’est pour cette raison qu’il leur impose le silence.

Aujourd’hui, nous comprenons mieux pourquoi. Jésus vient d’annoncer sa Passion, sa mort sur la croix et sa résurrection. Pour Pierre, c’est impensable. Un Christ, « Fils du Dieu vivant », vaincu est inconcevable. Il s’attendait à un Messie qui allait triompher avec puissance sur tous les obstacles. Comme les gens de son temps, il voyait en lui celui qui allait libérer son peuple de ses péchés et de l’occupation romaine. Si Jésus meurt au bout de la route qui conduit à Jérusalem, c’en est fait de leur espérance. Jésus résiste violemment à cette mentalité comme il le fit lors de la tentation au désert. Comme Pierre, nous risquons nous aussi de nous égarer en nous faisant une fausse idée de Jésus. C’est pour cela qu’il nous faut lire et relire les Évangiles chaque jour et nous laisser pénétrer par la pensée du Christ. Le Royaume ne sera durablement établi que par la transformation progressive de nos personnes, plus que par la réalisation de nos projets selon nos pensées. « Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55,8).

En ce jour, nous entendons, de la part de Jésus, une mise au point très ferme : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive » (Mt 16,24). Il ne s’agit plus pour les disciples de tracer leur route selon leurs propres désirs mais de marcher derrière Jésus, c’est-à-dire sur le bon chemin. C’est lui qui nous montre le chemin pour nous conduire vers la vraie vie. Son amour va jusqu’à livrer son corps et verser son sang pour nous et pour la multitude. Le chemin qu’il nous montre n’est pas un chemin de facilité mais de dévouement et de don de soi.

Jésus Christ parle ici de manière très claire. Son message semble au premier abord dur à notre nature humaine, alors qu’il est en réalité une consolation. Si le Christ nous avait dit que pour le suivre nous devrions apprendre à faire des miracles, à avoir un grand talent de prédicateur, ou pouvoir jeûner 40 jours et 40 nuits ... alors nous aurions de quoi nous désespérer. Seulement très peu de personnes pourraient suivre le Christ dans ces conditions. Mais le Christ nous dit que pour le suivre, nous devons prendre notre croix, alors pourquoi se décourager ? Le plus souvent nous faisons l’expérience de nos limites, de notre faiblesse, de notre incapacité... bref, de notre propre croix. Ainsi le moyen du salut est-il à notre portée. Il est toujours avec nous. Tout ce que nous avons à faire est de nous en charger humblement, affectueusement, en nous unissant à la croix du Christ.

C’est un appel à changer notre regard sur Dieu et sur le sens que nous donnons à notre vie. Le plus important ce n’est pas la réussite matérielle, la promotion, la mise en valeur du moi. Jésus voudrait nous orienter vers une autre logique, celle de l’amour vrai, du don de soi, de la gratuité. C’est sur ce chemin que nous sommes appelés à le suivre. En choisissant le Christ, nous choisissons la Vie. La vraie joie est au terme d’un dépassement. Le Christ vient déposer en nous une soif d’aller toujours plus loin dans sa recherche, dans le cœur à cœur avec lui au service des plus pauvres.

Être disciple du Christ, c’est donc prendre notre croix. Porter sa croix c’est accepter le risque de la fidélité, le risque d’être incompris, bafoué et ridiculisé. C’est accepter de donner la priorité au service des autres. Nous sommes loin des perspectives de la société ambiante qui met le « moi » au premier plan, le service des autres au deuxième et le service de Dieu en dernier (si toutefois il est considéré). Celui qui choisit les perspectives de ce monde peut obtenir des avantages matériels immédiats. Mais à quoi ça sert si nous devons y perdre notre véritable vie, celle qui conduit à Dieu ? « Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? » (Mt 16,26).

Voilà ces textes bibliques qui nous provoquent à nous ajuster à Dieu et à son projet pour nous. C’est une conversion de tous les jours qui ne sera possible que dans la méditation de l’Évangile et la prière. Si nous le voulons bien, le Christ sera toujours là pour nous guider sur le chemin de la vie et nous accompagner dans notre lutte contre la tentation. Avec lui, les forces du mal n’auront jamais le dernier mot. Il en a été victorieux et il veut nous associer tous à sa victoire.

C’est pour mieux répondre à cet appel du Seigneur que nous nous réunissons chaque dimanche pour célébrer l’Eucharistie. C’est là que nous nous nourrissons de la Parole et du Corps du Christ. Grâce au don qu’il nous fait, nous apprenons à ne pas nous conformer au monde mais à lui et à son amour. En lui, nous entrons dans une vie féconde source de joie et de partage, source de paix et d’amour. La Vierge Marie nous précède sur ce chemin ; laissons-nous guider par elle.