C SAINT BERNARD

MATTHIEU 05, 13-19 (6)

Frères et sœurs, pourquoi l’amour doit-il prendre sa source en Dieu ? Saint Bernard de Clairvaux en était convaincu : pour aimer les autres, il est nécessaire d’aller puiser à la source de l’amour, Dieu. Et ajoutait-il, inspiré par Saint Augustin : « La cause de notre amour pour Dieu, c’est Dieu lui-même. La mesure d’aimer Dieu est de l’aimer sans mesure »[1].

Magnifique état, sublime sentiment, l’amour nous incite à nous dépasser pour prendre soin les uns des autres. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34 ; 15,12), phrase répétée plusieurs fois dans l’évangile de Saint Jean ; et encore : « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). Mais il semble parfois avoir déserté le cœur de chacun, laissant place à de l’amertume et au ressentiment. Comment l’expliquer et comment y remédier ? Docteur de l’Église qui a donné son véritable envol à l’Ordre Cistercien, saint Bernard de Clairvaux (1090–1153) s’est intéressé à cette question.

Sa doctrine, comme ses actes, reflète les inspirations d’une nature mystique et contemplative. Loin d’être coupé du monde, ses homélies, sont encore aujourd’hui brûlantes d’actualité. Sur l’amour, il déclarait ainsi : « L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit. Son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer ! »[2]. Mais poussant plus loin sa réflexion sur la source nécessaire à cet amour, il soulignait aux approches de la fin de sa vie dans l’un de ses derniers sermons sur le Cantique des Cantiques :

« Quelle grande chose que l’amour, si du moins il remonte à Dieu, son principe, s’il retourne à son origine, s’il reflue vers sa source, pour y puiser toujours son jaillissement. De tous les mouvements de l’âme, de ses sentiments, de ses affections, seul l’amour permet à la créature de répondre à son Créateur, non pas certes d’égal à égal, mais tout de même dans une réciprocité de ressemblance. […] Car dans son amour, Dieu ne veut rien d’autre que d’être aimé. Il n’aime que pour qu’on l’aime. Car il le sait : ceux qui l’aiment trouvent précisément dans cet amour la plénitude de la joie. Oui, quelle grande chose que l’amour »[3].

L’amour, parce qu’il est ancré dans le Christ, y puise la force nécessaire pour surmonter tous les obstacles. On retrouve d’ailleurs cet enseignement dans le Catéchisme de l’Église catholique (1878) : « L’amour du prochain est inséparable de l’amour pour Dieu ». De la même manière il est écrit (1832) : « Jésus fait de la charité le commandement nouveau (Jn 13,34). En aimant les siens ‟jusqu’à la fin” (Jn 13,1), il manifeste l’amour du Père qu’il reçoit. En s’aimant les uns les autres, les disciples imitent l’amour de Jésus qu’ils reçoivent aussi en eux.  C’est pourquoi Jésus dit : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour » (Jn 15,9). Et encore : « Voici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,12).

Saint Jean, qui comme chacun le sait, a vécu très vieux, au-delà des 90 ans, a pu réfléchir longuement sur son expérience avec le Christ pendant sa période terrestre, et encore plus depuis la résurrection. C’est de lui qu’au matin de Pâques, devant le tombeau vide, on a pu écrire : « Il vit et il crut » (Jn 20,8). Eh bien ce même Saint Jean a pu définir Dieu en trois mots : « Dieu est Amour » (1 Jn 4,7-8). C’est donc dire que l’on ne connaît vraiment Dieu que dans l’expérience d’amour, et que l’on ne se connaît véritablement soi-même que dans l’expérience d’amour qui nous révèle nos forces, nos faiblesses, mais aussi le chemin qu’il nous reste à accomplir pour pouvoir dire avec saint Bernard : « J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer ! »

 

[1] De Diligendo Deo, 1.

[2] Sermon sur le Cantique, 83,3-4.

[3] Sermon sur le Cantique, 83,4-6.