Saint Bernard 2025
(Si 39,8-14; Ps 118 ; Phi 3,17-4,1; Mt 5,13-19)
Frères et sœurs, pour cette homélie, je m’appuie pour la troisième année consécutive sur le Commentaire du Cantique des Cantiques de saint Bernard. Nous en sommes au sermon 4. S’il vous en souvient, commentant le verset « Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche », Bernard énonce trois baisers : celui des pieds, celui des mains et celui de la bouche, marquant ainsi les étapes d’un progrès spirituel. Au début de notre sermon, il revient sur le baiser des pieds qu’il décrit comme une faveur, celle de ressentir le pardon de Dieu. Et comment ne pas penser ici au lavement des pieds lors de la dernière Cène, moment où Jésus pardonne déjà à ses disciples l’abandon, la trahison, le reniement ? Comment ne pas penser à ce rite que nous vivons ensemble, en communauté, au chapitre, le Jeudi Saint, où celui qui lave comme celui qui est lavé, offre et reçoit le pardon de son frère. Peut-être pouvons nous garder cela en mémoire, en notre cœur, pour vivre au quotidien de ce pardon ; pardon donné, pardon reçu.
Mais Bernard, si poète soit-il, n’en garde pas moins les pieds sur terre. Ce pardon, il s’agit d’y travailler. « Enlev(er) », dit-il, « détrui(re) le péché qui nous séparait de Dieu » pour trouver ainsi la paix. Et enlever ce péché d’abord en se situant dans l’humilité plutôt que l’orgueil : l’humilité devant Dieu, en nous reconnaissant pécheur ; et en conséquence, l’humilité entre nous, envers chaque frère de notre communauté. Et c’est là tout un chemin…
Dans cette même perspective de l’humilité, Bernard évoque ensuite le baiser des mains qui est, après « le pardon de ses mauvaises action, la grâce d’en accomplir de bonnes […] à la condition toutefois de ne pas chercher notre propre gloire », mais celle de Dieu ; « à condition – [et Bernard est ici à l’école de saint Benoît et de sa Règle] – d’attribuer ces dons à [Dieu] et non pas à nous. » Dans le cas contraire, dit-il, se serait baiser sa propre main ! Et nous pouvons garder en mémoire cette image pour nous aider à dégonfler notre orgueil et à simplifier nos relations avec nos frères.
Enfin, « autant du moins qu’il est possible », l’âme reçoit le baiser de la bouche, la faveur de ressentir la présence du Seigneur.
Deux sermons plus loin, Bernard revient sur le baiser des pieds, nommant « l’un Miséricorde, l’autre Jugement. » Tout deux appartiennent à Dieu, mais sont également assumés par le Christ dans sa chair, et sont donc aussi de l’homme.
Alors Bernard déclare « heureuse l’âme, où le Seigneur Jésus a, une bonne fois, planté ses deux pieds ! » Et il nous donne deux signes pour reconnaître une telle âme : la crainte et l’espérance. La première étant liée au jugement, la seconde à la miséricorde. La crainte comme « commencement de la sagesse et l’espérance » comme son progrès ; la charité étant son achèvement. Bernard nous invite à baiser les deux pieds, parce que « le souvenir du seul jugement » nous enfoncerait dans le « désespoir, tandis que la fausse confiance dans la miséricorde engendre(rait) une dangereuse sécurité. » Notre saint – ou plutôt Dieu – ne veut donc pas que nous désespérions face à notre condition d’homme indécrottablement pécheur. Au contraire, notre condition de fils de Dieu doit faire de nous des hommes d’espérance pour nos frères et sœurs, notre communauté, l’Eglise et le monde. Être des hommes d’espérance en cette année jubilaire sous le thème de l’espérance, et aussi en cette année jubilaire pour notre communauté qui fête ses 175 ans. Comment notre communauté est-elle, pour celles et ceux qui nous entourent, un signe d’espérance ? Comment sommes-nous, chacun, une lumière d’espérance pour chacun de nos frères moines ? Quelle espérance ai-je à offrir ? Quelle espérance puis-je puiser dans chacun de mes frères ? Et rappelons-le-nous, nous qui vivons en communauté, Bernard associe l’espérance à la miséricorde, une espérance que nous sommes donc appelés à vivre par la miséricorde, à travers l’exercice de la miséricorde. La communauté comme lieu d’espérance et de miséricorde. Est-ce bien ce que nous vivons ?
Mais parallèlement, Bernard associe le jugement et la crainte pour éviter « une dangereuse sécurité ». Il parle pour lui-même de cette insouciance et négligence au point que sa prière « devenait plus tiède, [son] action plus indolente, [… sa] parole plus inconsidérée, [… son] état […] plus précaire ». Et si c’est ainsi que parlait le saint, combien plus il nous faut entendre cette invitation à ne pas nous assoupir, à ne pas nous laisser bercer, comme si Dieu n’attendait rien de nous, pantins que nous serions. Non, il nous invite à le suivre, à prendre résolument le chemin derrière lui, à revêtir la tenue de service, et particulièrement dans nos relations fraternelles.
Alors, en cette Eucharistie, par l’intercession de saint Bernard, puissions-nous désirer ce baiser des pieds, ce baiser du pardon, de la miséricorde, en vivre et nous l’offrir les uns aux autres.