Marie, Mère de Dieu

(Lc 2,16-21)

                                                                                                             2024

 Frères et sœurs, le Messie était espéré par tout un peuple. On l’attendait triomphant, Roi de la lignée de David ; un Messie glorieux et évident. Et voilà que les premiers chrétiens reconnaissent et proclament ce Messie dans la figure du fils d’un charpentier, originaire de la Galilée des Nations, du village ignoré de Nazareth, condamné par les grands prêtres, mis à mort par une infamante crucifixion et, selon eux, ressuscité. Il y a entre l’idée que l’on se faisait de lui et ce Jésus, un hiatus, un gap dirait-on aujourd’hui, un fossé apparemment infranchissable. Et c’est ce même fossé qui sépare la mort de la vie, ou encore qui oppose les deux termes que nous utilisons aujourd’hui pour célébrer Marie : Mère de Dieu. Comment une femme mortelle peut-elle être la mère du Dieu éternel ?

C’est à ce même fossé, cette même difficulté, ce même scandale que les évangélistes ont été confrontés, mais qu’ils ont surmonté, non par un truchement de style, par un arrangement de l’histoire, mais par la certitude que leur donnait leur foi, par la rencontre qu’ils ont fait avec cet homme-Dieu, avec le Ressuscité.

L’évangéliste saint Luc reconnaît sans conteste le Messie en Jésus. Par le récit de sa naissance, il nous dit qu’il est né à Bethléem, d’un père « adoptif » de la lignée de David. Pourtant, ce n’est pas sur cela qu’il fonde son identité, sa messianité, mais sur son lien aux pauvres et aux petits. Ces pauvres, nous l’avons dit dans l’homélie de la nuit de Noël, ce sont ceux qu’il vient rejoindre en naissant « dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (7). Ces pauvres, ce sont les « bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs ». Ces hommes à qui l’ange a annoncé la bonne nouvelle et qui, de leur propre initiative, « se hâtèrent d’aller à Bethléem » (8) et « repartirent [en] glorifia(nt) et loua(nt) Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu » (20). Ces hommes qui, sans conteste, ont reconnu en cet enfant le Messie alors qu’ « ils [ne] découvrirent [que] Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire » (16). Mais cela leur a suffi ; cela, Celui-là les a rejoints. Le signe de sa venue et de son identité était dans son dépouillement, signe qu’ils ont su percevoir et que saint Luc nous donne à voir pour que nous aussi nous reconnaissions le Messie espéré là où il se trouve, là où il naît encore aujourd’hui.

Jésus est le Messie, non d’abord parce qu’il serait né à Bethleem, de la lignée de David, mais parce qu’il est humble, et humble avec les humbles ; « Dieu avec nous ». Il est le Messie, reconnu « Fils de Dieu », parce qu’il est l’amour proche que Dieu veut pour nous.

Et ces pauvres, bien sûr, c’est encore et avant tout Marie, cette humble femme qui « retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » (19). Quand Luc cherchera la présence de l’Esprit Saint avant l’effusion de la Pentecôte – cet Esprit qui proclame en nous et autour de nous le Salut - il le trouvera en Marie qui l’accueille lors de l’Annonciation, et en ces bergers qui n’ont pas douté et se sont laissés conduire par lui. Elle et eux qui ont su le reconnaître caché dans la petitesse.

A la crèche, c’est donc l’humilité, le dépouillement, qui révèle le Messie. Et c’est cette même humilité qui fait de Marie la Mère de Dieu, qui rend possible qu’elle soit Mère de l’Impensable, Lui qui « déployant la force de son bras, […] disperse les superbes, [qui] renverse les puissants de leurs trônes [et] élève les humbles, [qui] comble de biens les affamés [et] renvoie les riches les mains vides. » (1,51-53). C’est l’humilité qui permet de combler le fossé dont nous parlions au début de cette homélie.

Au chapitre 1er de saint Luc, Jésus demeurait en Marie, sa Mère. Dans ce chapitre 2e, désormais, il demeure à la crèche, dans les pauvres, dans le monde, et son Temple, c’est nous. Voilà donc celui que Marie a enfanté, nous a donné : Dieu au milieu de nous ; nous, rassemblés, au cœur de Dieu. A notre tour, il nous faut donc pouvoir l’accueillir et le donner au monde, le faire naître au monde. Sommes-nous prêts à consentir à son humilité ? Sommes-nous prêts à renoncer à la gloire que nous attendrions d’un Messie plus fringant ? Sommes-nous capables de le découvrir là où il se cache, là où il se donne, là où il naît pour nous ? Est-ce bien ce Messie que nous voulons suivre ? En cette Eucharistie, par l’intercession de celle qui a su l’accueillir tel qu’il est et l’a ainsi enfanté, donné au monde, préparons-nous à recevoir cette grâce.