Saint Bernard

2023

Frères et sœurs, en cette fête de saint Bernard, j’ai simplement relu les deux premiers sermons de son commentaire du Cantique des cantiques.

Saint Bernard nous met en garde contre deux maux : « le vain amour du monde et l’amour excessif de soi » « qui sont […] les plus redoutables adversaires de l’âme », dit-il. Au premier – la mondanité - il oppose la raison qui démasque la vanité pour faire apparaître la vérité. Au second – l’amour de soi - il impose la discipline, l’ascèse. Il nous faut nous détourner du monde et de nous-mêmes pour que l’Esprit nous prenne sous son ombre, pour que le Christ nous rompe le pain de sa Parole. « Que vos regards qui se fixent sur moi n’aillent rien attendre de moi », écrit l’abbé de Clairvaux. Il s’agit, comme lui, d’être « de ceux qui attendent, mendiant […] la nourriture de [l’] âme. » Se reconnaître « pauvre et indigent », « ‘frapp[ant] ‘à la porte de celui qui ouvre’ […], en quête de lumière […], espér[ant] cette grâce de [la] bienveillance » du Christ.

Après tant d’années de vie monastique, de vie chrétienne, dans quelle mesure nous sommes-nous détournés pour retourner à Dieu ? Qu’attendons-nous vraiment de lui ? Sommes-nous ces mendiants du jour, comme nous le chantons parfois ; de chaque jour ?

Lorsque nous avons rejoint le monastère, nous avons chanté notre cantique, « un chant nouveau, puisque [le Seigneur] a fait des merveilles ». Mais, poursuit Bernard, « il faut aussi que les cantiques quotidiens – ceux d’aujourd’hui -, toujours renouvelés, rythment les victoires remportées dans l’ascèse et dans les combats quotidiens ». Et saint Bernard insiste : « la vie de l’homme sur terre est un combat ». Un combat qu’il nous faut mener, mais aussi un combat où chaque victoire doit faire « retenti(r) ‘l’action de grâce et le chant de louange’ […] à la gloire de Celui qui guide nos pas. » Ainsi, de victoire en victoire, de louange en louange, nous parviendrons, nous aussi, à ce Cantique des Cantiques, qui « n’est point un bruit sorti de la bouche – un simple formalisme – mais une jubilation du cœur, […] un mouvement de joie ; un concert des volontés […], l’accord des sentiments. » Mais avant d’arriver là, Bernard nous le redit, il y a un combat à mener, des progrès à faire, une vie « sous l’action de Dieu ». Il nous faut donc mener, chacun et tous ensemble, notre combat ; reconnaître que seul Dieu peut nous rendre vainqueur ; et le louer pour ces victoires, pour son salut. Voilà notre chemin.

Et ce chemin nous conduit au baiser : « qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ». Avec saint Bernard, nous pouvons nous écrier : « Quelle ardeur dans le désir de nos pères » ! Et en effet, pour ce chemin, il nous faut de l’ardeur, du désir, une « attente empressée », dit-il encore.

Et ce baiser tant désiré n’est autre que la « parole vivante et efficace ». C’est tout notre rapport à l’Ecriture, à la Parole, qui est ici stimulé. Quand nous commençons notre lectio, notre méditation, nous invoquons l’Esprit pour qu’il vienne nous éclairer. Nous pourrions aussi reprendre ces mots comme prière : « qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ».

« La bouche qui donne le baiser, c’est le Verbe qui a pris notre chair », dit saint Bernard. « La bouche qui le reçoit, c’est cette chair prise par le Verbe ; le baiser […] c’est […] ‘le médiateur […] Jésus’ […] notre paix ». Et nous en revenons à l’ « ardeur […] de nos pères » : attendre le Christ, recevoir le Christ, comme un baiser, un baiser de paix.

Pour tirer notre humanité de sa torpeur, il fallait ce baiser, il fallait que le Verbe s’incarne, qu’il vienne nous rejoindre dans notre chair pour donner corps à notre espérance née de sa promesse. Mais avec le psalmiste, saint Bernard s’interroge : « qu’est-ce que l’homme, pour que Dieu se manifeste à lui ? ». « Comment aurais-je l’audace de croire, ajoute-t-il, que Dieu se soucie de moi ? » Eh bien une nouvelle fois, c’est ce baiser qui nous le dit, c’est son incarnation, sa kénose, son chemin que nous sommes appelés à imiter : « Qu’il s’anéantisse, qu’il s’humilie, qu’il s’abaisse, s’écrie saint Bernard, ‘et qu’il me baise d’un baiser de sa bouche’ ».

Pour recevoir ce baiser, découvrir l’humanité de Dieu, la divinité de l’homme, il nous faut être comme Syméon qui « a exulté à la pensée – rien qu’à la pensée, rien qu’à la promesse - de voir le signe désiré ». Il nous faut être aussi comme les bergers accueillant « le signe qui vous est destiné, à vous les humbles, à vous les obéissants, à vous ‘qui n’avez pas le goût des grandeurs’, à vous qui veillez ‘et qui méditez la loi de Dieu jour et nuit’. » Ce ‘vous’, est-ce nous ?

A la fin du deuxième sermon, Bernard nous dit que ce « saint baiser a été bien utilement accordé au monde […] pour satisfaire le désir des parfaits. » Mais seconde raison, et qui est en fait la première, celle qui certainement nous concerne davantage, « ce baiser a été […] accordé […] pour fortifier la foi des faibles ». Puissions-nous le désirer pour y trouver notre force et notre vie.