11e dimanche ordinaire A

(Mt 9, 36 – 10, 8)

Juin 2023 

« Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. » (36).  Frères et Sœurs, il y a 2000 ans, Jésus voyait des foules, des personnes en masse, comme abandonnées, esseulées, perdues. Et si nous suivons l’actualité, si nous regardons, écoutons, autour de nous, il semble bien que cela n’a pas changé. Or, si chacun revendique son autonomie, son indépendance, voire son individualisme, chacun aussi recherche une direction commune, un sens ; quelque chose, quelqu’un qui nous rassemble, qui nous rassure ; qui nous indique que nous sommes dans la bonne direction ; qui nous dit que nous ne sommes pas seuls, que nous sommes aimables, que nous sommes aimés... Mais, face à tous les défis de notre vie et à l’évolution de notre monde, ce quelque chose, ce quelqu’un semble manquer, et nous sommes, nous aussi, parfois « désemparé(s) et abattu(s) comme des brebis sans berger. »

Si aujourd’hui encore, donc, la situation est toujours la même, croyons alors que le regard de Jésus n’a pas changé. Quand il voit les drames de notre monde, les difficultés de nos vies, Jésus est toujours « saisi de compassion » et il se penche sur nos vies, y reconnaissant « la moisson […] abondante » (37) qu’elles recèlent.

Pour nous guider, pour nous tirer de notre errance et déshérence, pour rassembler la moisson, Matthieu dit que Jésus envoie des « ouvriers » (38). Mais, peut-être à notre étonnement, la première chose qu’il demande à ses disciples, ce n’est pas de faire ou d’aller, d’arriver avec leurs idées, leurs capacités ou leur bonne volonté, mais d’abord de prier. C’est-à-dire de nous tourner vers notre Père, vers celui qui est la source de la vie pour pouvoir propager la véritable vie dans notre monde. Cette vie ne peut venir que de lui, et si elle est en nous, si nous pouvons à notre tour la communiquer, en témoigner, c’est seulement parce que nous l’aurons nous-mêmes, en nous-mêmes, accueillie dans la prière.

Nous ne pouvons apporter une bonne nouvelle à nos semblables, leur offrir la consolation, l’espérance, l’amour que le Christ veut pour eux, que si, au préalable, nous nous sommes laissés touchés, habités, par le Christ, par les sentiments du Christ. Pour être ses témoins, pour être secours pour nos frères et sœurs, il nous faut, nous aussi, être « saisi de compassion envers » les foules « désemparées […], abattues […], sans berger ». C’est ce que dit saint Paul dans l’épître aux Philippiens : « Ayez en vous les sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (2,5). C’est là toute la radicalité du christianisme, tout le chemin qu’il nous reste à parcourir, tout le secours qu’il nous faut demander au « maître de la moisson ». C’est la mission même du Christ qui nous est confiée. Et Matthieu nous l’indique en utilisant les mêmes mots pour qualifier la mission des disciples et celle de Jésus : « proclame(r) […] le royaume des Cieux […] tout proche. Guéri(r) les malades, ressuscite(r) les morts, purifie(r) les lépreux, expulse(r) les démons. » (8).

Notre appel consiste donc d’abord et avant tout, à nous attacher à la personne de Jésus, à le fréquenter, l’accompagner, le contempler. Et de ce cheminement avec lui, nous recevrons notre mission, la capacité de venir en aide à ceux qui nous entourent. Nous découvrirons alors combien Dieu donne gratuitement, par pur amour, en nous laissant saisir pour donner, à notre tour, gratuitement, abondamment. La gratuité de notre mission – la pure perte, dirais-je – n’est pas cerise sur le gâteau, mais condition nécessaire et inséparable de l’annonce. C’est cette gratuité de l’amour de Dieu qui nous met en route tellement, en quelque sorte, elle nous déroute !

Au milieu de l’évangile, Matthieu relate l’appel des Douze. Un premier constat vient confirmer ce que nous avons dit. Quand Jésus appelle les Douze, il les connaît chacun par leur nom. Ce n’est pas une fonction, des capacités, qu’il sollicite, mais une personne avec son histoire, et une personne qu’il s’attache et qu’il appelle à le suivre. Et d’autre part, cette personne, s’il l’a liée à lui, il la lie aussi à d’autres personnes, une communauté. Tous ont leurs défauts, leurs limites, et même leurs incompatibilités. Pourtant, c’est bien eux que le Seigneur rassemble ; c’est bien eux – ensemble – qu’il conduit à la vie éternelle, à ce royaume tout proche, à la conformité avec lui.

Frères et sœurs, que cette eucharistie nous donne de bien comprendre que nous ne sommes pas « des brebis sans berger », qu’il est là au milieu de nous et qu’il nous conduit, dès maintenant, à devenir comme lui, des fils et des filles de Dieu, des frères et des sœurs, dans un monde guidé vers son salut.